Elia, portée par la vague

Tout récemment sur Twitter, Elia affiche son disque de platine d’Ultra pour avoir contribué à ce qui pourrait être le dernier album de Booba. Cette certification consacre une première moitié d’année qui introduit son prénom au grand public. Après son délicat piano-voix sur « Grain de Sable », la chanteuse transforme cette exposition avec l’EP, OCÉAN. Dans cette interview, Elia explore sa relation avec la musique : ses premiers contacts, ses premières expériences, ses premiers pas dans l’industrie. Cette vague rythme sa vie et la porte avec fraîcheur jusqu’ici.

L’objectif d’un photographe devine souvent la personnalité d’un artiste, encore plus à ses débuts. Un moment suspendu où derrière celui qui tient l’appareil toute une équipe scrute et commente chaque attitude, une mèche qui tombe trop, les pliures d’un vêtement.
Après avoir enfilée sa première tenue, un blazer noir et une parure imposante, Elia se révèle. À peine dirigée, elle multiplie les poses, s’approprie les accessoires, joue avec le stylisme… Elle est dans son élément, elle ose.
Dès que l’appareil photo retourne dans son étui et que l’interview débute, Elia reconnaît : « Ce n’est pas ce que je préfère, j’ai beaucoup de respect pour la parole et j’ai l’impression qu’on n’est pas obligé d’en dire autant. » Plus discrète, elle se prête malgré tout au jeu. Avant d’être chanteuse, elle est passionnée de musique : « C’est important de donner de sa personne. En tant que fan, j’ai toujours apprécié consulter les interviews des artistes que j’aimais. » À son tour maintenant.

Ton père est compositeur, quel regard portait-il sur ton intérêt pour la musique ?

Dans mon environnement, la musique c’est comme se brosser les dents (rires, ndlr). C’est tout le temps là. Avoir un père qui est dedans, ça a facilité les choses. Tout devient très instinctif. Cette richesse a été cultivée en famille avec ma mère et ma sœur, née deux ans après moi. C’est important pour tout le monde. La musique c’est une affaire de survie. Sans dramatiser, c’est mon rapport à la vie. Une journée sans musique, ça me fait mal.

Comment tu as cherché à développer ta passion ?

J’ai toujours chanté en reprenant les artistes que j’aimais, grâce à Internet. Je m’amusais à répéter les vibes de Mariah Carey, Whitney Houston, Shirley Bassey, Barbra Streisand… J’essayais de trouver la vibration la plus sincère, la plus cool.
À partir du moment où j’ai cherché à m’accompagner, j’ai pris des cours de jazz pour le piano. Je n’étais pas très conservatoire, mais à 15 ans, j’ai voulu apprendre à harmoniser. J’étais passionné par Bach et la musique sacrée, je trouvais ça impressionnant. Le matin, je peux écouter du Bach ; quand je vais au sport, j’écoute Booba ; quand je rentre et que ma voix se réveille, je mets du Mariah Carey (rires)…

L’écriture a-t-elle été instinctive aussi ?

J’ai vraiment commencé sans m’en rendre compte. Ça vient d’un besoin, d’exprimer quelque chose de plus fort que moi. Au début, c’était en anglais. Quand je suis rentrée des États-Unis, j’ai pris conscience que c’était plus impactant de toucher ceux qui parlent ma langue maternelle. De me retrouver au milieu de gens qui ne parlent qu’anglais, ça m’a donné envie de me différencier.
Mes premiers textes, c’était pour me moquer de ma prof d’anglais à 11 ans. Elle voulait qu’on se présente et je n’aime pas du tout ça, j’ai l’impression de passer un examen. Du coup, je lui ai fait « I like the morning when birds are singing » (elle chantonne puis rigole). Une connerie pas possible.

Le matin, je peux écouter du Bach ; quand je vais au sport, j’écoute Booba ; quand je rentre et que ma voix se réveille, je mets du Mariah Carey (rires)…

Elia

Tu n’étais pas gênée ?

J’ai plus peur de demander mon pain à la boulangerie que d’écrire une chanson. C’est démesuré comme déséquilibre. Je ne veux pas que ce soit pris comme quelque chose d’arrogant mais c’est un langage que je pratique plus que n’importe quelle langue.

Quand as-tu eu la prise de conscience que ça pouvait être ton métier ?

Comme j’ai toujours fait de la musique, il n’y a pas eu un moment où je me suis dit que je ne ferai pas ça. Il fallait juste que j’attende que mon niveau soit suffisamment bon pour que je me dise : « Je vais en faire ma vie. »
Quand je suis allée aux États-Unis vers 15 ans, je me suis rendue compte que je n’avais plus peur de chanter devant les gens. J’avais plus d’appréhension. Quand on décide de faire ça professionnellement, c’est le moment où on se libère de beaucoup de peur. J’y ai aussi rencontré mon premier amour pour qui j’ai écrit « Océan ».
J’y suis allée dans le cadre d’une bourse pour un stage d’été à la Berklee School of Music. Il y avait des gens du Panama, d’Espagne, de Colombie, d’Argentine, du Japon… L’objectif était de se confronter à d’autres musiciens, d’autres performeurs.

Tu sembles vouloir gérer tous les aspects de ta musique de l’écriture à l’accompagnement, tu as cette même autonomie sur l’enregistrement ?

Au départ, je mettais mon dictaphone sur mon téléphone et je faisais des piano-voix. Après, j’ai commencé à faire des bêtises avec GarageBand. Je suis passée sur un logiciel préhistorique, Digital Performer, parce que je voulais faire de la musique de film. Assez vite, j’ai eu un micro qui me servait pour la scène et pour l’enregistrement. C’est un SM58, Radiohead l’utilise aussi. Le home studio ça me paraissait logique. Ça a mis du temps évidemment, de la confiance, de l’investissement.
Aujourd’hui, pouvoir enregistrer chez moi n’empêche pas d’être ouvert aux autres, de faire des sessions un peu partout. La semaine dernière, j’étais avec Dany Synthé. C’était beaucoup plus riche que ce que j’avais fait la veille chez moi, toute seule.

Comment tu t’es activée pour te faire connaître ?

À la fin de mes études de lettres, ça devenait impossible pour moi de faire autre chose. J’ai rassemblé 5-6 chansons et j’ai commencé à démarcher. Mes parents ne m’ont mis aucun frein, j’aurais pu arrêter mes études au baccalauréat. C’est moi qui ai voulu faire deux années supplémentaires. Pour eux, la seule exigence tacite était que je sois la première partout.
J’ai rencontré un éditeur chez Because qui m’a aidé à signer chez Universal. Dès que je suis rentrée chez Universal, j’ai cherché un manager. Pour qu’un artiste garde son ADN, il  lui faut une bonne équipe. Du coup, j’ai rencontré Anne Cibron qui, de fil en aiguille, m’a fait rencontrer Booba. Je suis allée la chercher. Je voulais bosser avec une femme forte, il n’y en a pas 10 000. J’étais sûre que c’était avec eux que ça marcherait. C’est le flair.

Tu savais que ta musique pouvait séduire un artiste comme Booba ?

C’est une plume. J’ai trouvé ça super valorisant d’être reconnue par quelqu’un qui a une si belle plume. Anne lui a envoyé mes chansons et Elie rencontre Elia. On a fait un Skype avec Kopp (surnom de Booba) et Anne. C’était un moment heureux. Il m’a dit qu’on allait bosser ensemble et que c’était important que je reste moi-même.

Tu peux nous décrire le processus créatif entre vous deux depuis cette rencontre ?

Je lui envoyais tout ce que je faisais. Je suis très productive, c’est la seule chose que je sache faire. Il a dû recevoir 30 morceaux. À un moment, il m’a dit : «  On commence à avoir beaucoup de très bons titres. Au lieu de commencer par un album, sortons un EP. »
La chance que j’ai eu, c’est qu’au dernier moment, il m’a fait une place sur Ultra avec « Grain de Sable ». Ça a été l’opportunité de sortir un projet car il m’a donné une grosse visibilité. On a clippé le morceau, il n’y en a que trois autres qui ont été clippés.
Océan est un EP de 7 titres, mon chiffre préféré, et le nom est tiré du morceau qui a initié la rencontre. Je crois que c’est la chanson qui a créé le coup de cœur.

J’ai plus peur de demander mon pain à la boulangerie que d’écrire une chanson.

elia

Quand Booba t’a annoncé que tu participais à Ultra, tu as réagi comment ?

J’étais super émue, cette chanson est un peu un miracle. Je l’ai écrite en une soirée, il m’a envoyé un piano que je trouvais magnifique. 2 semaines après, j’ai appris que c’était sur Ultra ; 1 mois après, j’ai appris qu’on allait le clipper.

Comment tu  crées ta musique aujourd’hui ?

Sur mes notes iPhone, j’écris tous les jours des flashs. Je mets ça de côté. Quand je commence à écrire de la musique, je topline (poser la mélodie vocale) sur une prod ou un piano à moi. Une fois que la mélodie est solide je vais regarder mes notes, celles qui correspondent le mieux. 
Après il y a des rencontres comme avec Nasaya. On avait un ami commun, on a pris un café ensemble. Le café s’est plutôt mal passé. Je lui ai demandé : « Tu veux qu’on fasse une session. » On s’est retrouvés chez moi, on a fait « Chocolat » et « Boulevard » l’été dernier. Pour Dany Synthé, c’est Kopp qui m’a envoyé la prod de « J’ai entendu » avec Sofiane Pamart. J’ai également eu la chance de travailler avec Éric Chédeville, Rico, qui m’a envoyé beaucoup de prods.

Comment tu travailles sur ton image : covers, clips, shootings… ?

J’ai un œil sur tout. Le projet porte mon prénom, j’en ai qu’un seul. On tient à être exigeant. Dans la vie, j’ai du mal à être la « girl next door » même quand j’essaie. Dans ce que je propose, je cherche à permettre aux gens de se connecter avec l’univers, de rêver.

Photos : Félix Devaux
Assistant : Tony Raveloarison
MUA : Hannah Nathalie
Graphisme : Noémi Bonzi