Dali Benssalah Photo

Dali Benssalah, la force de l’exemplarité

Rencontre avec l'acteur franco-algérien de No Time To Die.

Actuellement à l’affiche du 25ᵉ film de la saga James Bond, Dali Benssalah entame un nouveau chapitre de sa carrière. Entretien avec un acteur porté par un parcours de vie singulier et un don pour la réinvention.

À peine descendu du taxi, l’acteur fait entendre une voix profonde, puissante. Dans ses yeux, le regard est pénétrant. Il a l’air en forme, lui qui, quelques jours auparavant, foulait le tapis rouge de l’avant-première londonienne de No Time to Die. Rapidement, il nous raconte les coulisses de cette soirée, entre une famille royale assise à quelques mètres de lui et du champagne planqué sous les sièges.

Dali s’allume une cigarette et poursuit la discussion d’un air apaisé. Son calme tranche nettement avec la frénésie de son actualité récente. Après sa révélation en 2017 dans le sublime “Territory” de The Blaze et une prestation saluée dans la série Canal+ Les Sauvages, le comédien rennais s’apprête à entrer dans une nouvelle dimension. Opposé à Daniel Craig dans le nouveau James Bond, Dali Benssalah rappelle la star anglaise pour sa présence physique, son autorité naturelle.

Plutôt taiseux, le comédien s’autorise tout de même quelques blagues pendant le shooting photo. Il capte l’objectif avec aisance, enchaîne les looks, tous envoyés à sa compagne via WhatsApp. “Je suis presque daltonien, donc Madame me conseille sur la mode” explique Dali dans un sourire. Il prend finalement place face à nous, pour raconter sa volonté de laisser une trace et d’inspirer les siens.

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On imagine que jouer dans un James Bond représente un gros tournant dans une carrière, comment est-ce que tu encaisses ça ?

Qui que tu sois, si on te dit que tu peux jouer face à Daniel Craig dans James Bond, tu prends les billets d’avion et tu y vas. 

Justement, comment était ta relation avec Craig ?

C’est quelqu’un de très disponible, de très humble. Même s’il est dans une dynamique de j’arrive / je repars, à chaque fois que je l’ai croisé, il est venu prendre de mes nouvelles. En clair, il essaie toujours de te mettre à l’aise. Daniel Craig, c’est le tonton de la “James Bond Family” comme dit la productrice. C’est sa personnalité, il est comme ça. La première fois que je l’aperçois, j’étais dans le hangar des cascadeurs. Il a traversé tout ce grand hangar pour venir faire ma connaissance, demander comment ça allait, si j’étais bien installé… Il est vraiment sympathique. 

Quand tu arrives sur le tournage d’une aussi grosse production, à quel point es-tu impressionné ?

Tu acceptes très vite que ça va tout le temps être impressionnant. Tu ne sais même plus si tu fais du cinéma ou de l’immobilier, car ils te construisent des décors à une vitesse ahurissante ! Ils reproduisent des quartiers entiers de n’importe quelle ville, donc au bout d’un moment, tu n’es même plus impressionné. Tu as toujours une petite surprise du style : “Ah ok, c’est ici qu’on tourne aujourd’hui ?” ou “Ah ok, on va en Jamaïque et après en Italie ?” Finalement, tu intègres ça très vite quand tu sais que tu es là pour le travail.

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Le premier jour de tournage à Pinewood, les studios historiques de la saga James Bond, que ressens-tu ?

Là, c’était forcément très impressionnant. Je débarquais d’un tournage juste avant pour Canal+ (la série Les Sauvages ndlr), qui était déjà une belle prod’. À côté de ça, l’ambiance d’un James Bond parait surdimensionnée. Tu penses : “Ok, je viens faire mon travail, mais qu’est-ce que je dois faire ? Je ne vais essayer de ne pas faire de bêtises, je vais faire les choses qu’on me demande et c’est tout.” À la fin de la journée, j’avais envie de rester pour regarder ce qu’il se passait, mais la mécanique de cette fourmilière est tellement huilée, je ne voulais pas être la fourmi de trop.

Comment se déroule tout le process pour arriver jusqu’au rôle ? 

J’ai d’abord reçu un message privé sur Instagram de la part de l’assistante du réalisateur. Un message chelou, dans lequel elle disait vouloir me contacter pour le prochain James Bond. J’ai appelé mon agent pour voir à quel point c’était une blague ou pas. Elle est entrée en contact avec Debbie McWilliams, la directrice de casting de la saga. Je l’ai rencontré dans un hôtel parisien pendant le tournage des Sauvages, pendant qu’on faisait les scènes d’intérieurs à Aubervilliers. Je suis resté avec elle environ deux heures.

Qui que tu sois, si on te dit que tu peux jouer face à Daniel Craig dans James Bond, tu prends les billets d’avion et tu y vas.

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Ça s’est fait à ce moment-là ?

Le résultat était positif. Donc la prochaine étape était le casting à Londres, dans les studios de Pinewood. J’avais un casting cascade, on m’a dit : “Viens en jogging, il y aura 45 minutes de cascades.” Ça s’est transformé en 1 h 15, parce que les producteurs et le réalisateur sont venus y assister. Après, j’ai fait un entretien avec le réalisateur, Cary Joji Fukunaga. 

Comment apprends-tu que tu es pris ? 

C’est mon agent qui m’appelle alors que j’étais dans une chambre d’hôtel à Saint-Étienne, pendant un jour off des Sauvages. Elle m’a simplement dit : “C’est bon, tu pars sur James Bond.”

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L’annonce de ton rôle a fait réagir en France, mais aussi et surtout en Algérie, du fait de ta binationalité. On a vu par exemple vu passer des articles titrant : “L’Algérien Dali Benssalah est dans le nouveau James Bond.” Comment as-tu vécu ça ?

(Rires) J’ai même vu des titres du style “c’est lui le nouveau James Bond !” Il n’y a pas de demi-mesure algérienne, on est toujours à fond. Il y a vraiment un truc patriotique qui est déclenché grâce à mes origines. Je ne pouvais pas mettre ça de côté. Pour James Bond, la première fois qu’on m’a mis face à la caméra lors du casting, j’ai dû me présenter. Je me suis décrit comme un acteur franco-algérien. L’Algérie était représentée, la France était représentée. Ça fait partie de moi, c’est mon identité. Je ne pouvais pas faire l’impasse sur l’un ou sur l’autre. 

Ça te tient à cœur de représenter l’Algérie à l’international ?

Totalement, il y a les deux drapeaux. Je sais que le peuple algérien a besoin de ça, surtout en ce moment. Depuis des années, les merdes s’enchaînent. On peut retracer ça jusqu’à l’indépendance si on le souhaite. En ce moment, c’est très compliqué. La Covid n’a rien arrangé et dans le même temps, on vit une situation géopolitique complexe. Les dernières nouvelles diplomatiques avec la France ou le Maroc, ce n’est clairement pas la joie. 

 Il faut se battre au quotidien contre soi-même, chercher des opportunités de travail, peu importe le milieu et la passion qui nous anime.

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Côté français, tu es né et tu as grandi à Rennes. C’est aussi un lieu que tu aimes mettre en avant ?

Bien sûr, ça me tient tout autant à cœur de représenter ma ville. Plus précisément la ZUP de Rennes, et encore plus précisément, mon quartier. Ayant grandi et vécu dans un quartier populaire, je connais les limites de cet environnement. Quand quelqu’un réussit à partir, à s’enfuir même, ça laisse une lueur d’espoir pour les autres. Dans mon quartier, on se dit que dans cette tour quelqu’un est parti à Miami, que dans ce bâtiment-là, quelqu’un est parti à Berlin…

Tu veux montrer que des perspectives existent. 

C’est ça. Il faut se battre au quotidien contre soi-même, chercher des opportunités de travail, peu importe le milieu et la passion qui nous anime.

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C’était comment ton enfance là-bas ? 

C’est comme tout : une fois que c’est passé, on ne garde que des bons souvenirs. Mes parents, mon frère et mon oncle sont toujours là-bas, j’y retourne souvent pour passer du temps avec mes proches. 

C’est à Rennes que tu te mets à la boxe thaï, une discipline dans laquelle tu finiras champion de France.

J’ai commencé dans mon quartier à la salle Kemal Cankaya. Qu’il repose en paix, c’était quelqu’un de prometteur dans les sports de combat. À la base, je viens du karaté. Je suis allé jusqu’aux championnats de France, où j’ai été disqualifié. C’est comme ça que je me suis retrouvé à la boxe thaï. Je voulais faire un sport où quand tu frappes, tu gagnes. Au karaté, quand on appuie un peu trop, on est disqualifié. Surtout que je n’avais pas trop appuyé d’ailleurs, je suis juste tombé sur quelqu’un de très malin (rires).

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Comment s’est déroulée la transition entre les deux disciplines ?

C’était encore à la salle du quartier. Ça se passait super bien, dans une ambiance Dragon Ball Z. On arrive en étant le plus nul, on se met en mode Végéta et on veut battre Sangoku, puis Broly. Ensuite, les petits du quartier ont volé le scooter du gardien, donc la salle a fermé ses portes. Je suis parti aux Cheminots Rennais, où c’était un peu plus structuré. Ils avaient les autorisations pour combattre et c’est là que je me suis lancé dans la compétition.

Pour quelles raisons te mets-tu aux sports de combat ? 

Nos parents nous ont mis très tôt dans le sport avec mon frère, pour que l’on se défoule. Rennes est une ville très à gauche, donc ça ne coutait rien. Pour un coupon sport de 50 francs (environ 46 euros ndlr), on faisait du foot, de la piscine, du tennis… Tout ce qu’on voulait. Il faudrait demander à nos parents, c’était peut-être un moyen de nous dire : “Laissez-nous un peu tranquilles, faites votre vie.” On avait vraiment besoin de dépenser cette énergie qu’on gardait en nous. J’avais besoin d’un sport de combat, d’aller au contact. 

Ton expérience dans les sports de combats te sert encore au cinéma ? 

Tu gardes en toi une exigence de concentration. Comme je n’ai pas réussi à remettre les gants ou à m’entraîner aussi fréquemment, ça s’estompe un peu. Mais la concentration, les objectifs, la progression… Ça reste un bagage quoi qu’il arrive. Et puis quand tu te retrouves sur un James Bond, un vrai film d’action, ça te sert d’avoir une crédibilité dans le geste, de connaître la chorégraphie d’un combat.

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Tu es déjà un acteur habitué des prestations physiques, que ce soit sur “Territory” de The Blaze ou dans No Time to Die. C’est quelque chose que tu as en toi ? 

Je ne développe pas ça spécifiquement, mais quand un rôle requiert une dimension physique, je m’y mets. Sur le prochain film de Romain Gavras pour Netflix, je joue un lieutenant de l’armée. Je me suis imposé une rigueur militaire, en me remettant au sport tous les matins. La journée commence comme ça : dès le réveil sport, comme si j’étais à la caserne. J’en avais besoin et c’était un bon prétexte pour m’y remettre. Et en même temps, ça sert pour un projet ciné. Ça va toujours de paire avec mes envies, pour que je garde un équilibre perso. Le côté “acteur physique”, c’est ce qui est ressorti du clip de The Blaze, mais le public et les réalisateurs me définissent comme ils le souhaitent. Je prépare des projets, pas une identité d’acteur global. 

Ayant grandi et vécu dans un quartier populaire, je connais les limites de cet environnement. Quand quelqu’un réussit à partir, à s’enfuir même, ça laisse une lueur d’espoir pour les autres. 

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Justement, as-tu un plan de carrière déjà établi ?

C’est le projet qui compte avant tout. Peu importe la nationalité ou le budget du film, c’est le bloc qui m’intéresse. Le scénario, la mise en scène, tous ces éléments qui servent mon calcul. Quand j’y crois à 100%, c’est oui. Quand j’y crois à 99%, c’est non. Je m’engage dans les films que j’ai envie de voir au cinéma. 

Tu es du genre à faire tes choix en solitaire ou tu as besoin d’avis extérieurs ?

C’est un triple coup d’œil. Il y a mon agent, ma compagne et moi. Quand je suis vraiment en galère, j’ai besoin de ces trois sensibilités. Ça arrive que je choisisse tout seul, en coup de poker, en disant : “Ne vous inquiétez pas, c’est une pépite.” Mais la plupart du temps il y a de l’entente, de la confiance et du débat.

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En tant qu’acteur, tu as peur d’être enfermé dans une case ou un stéréotype ?

C’est quelque chose auquel on pense tout au long de sa carrière, même si ça doit s’estomper avec l’âge. Là où je ne suis pas inquiet, c’est que je reste ouvert au monde du spectacle vivant, du théâtre. Si à un moment donné il n’y a pas de films qui me parlent, si le projet n’est pas “à la hauteur de mes expériences de comédien”, et qu’en parallèle j’ai du théâtre, je vais foncer. Je n’ai pas de plans, je fonctionne vraiment au coup de cœur. Concernant le fait de s’enfermer dans un genre en particulier, pour l’instant, ça va. Entre Les Sauvages, Mes Frères et Moi et James Bond, on est sur des œuvres assez différentes (rires).

C’est par le spectacle vivant que tu viens au cinéma ? 

Ma mère m’avait inscrit à un stage du Cours Florent, mais en cinéma. C’est après, en gardant en mémoire ce stage, que je me suis lancé dans une vraie formation. En arrivant à Florent, je me suis rendu compte que c’était une école de théâtre. J’étais déboussolé sur ce que ça voulait dire, mais je me suis engouffré là-dedans. J’ai découvert le théâtre et j’y suis resté. Il y avait une classe cinéma qui s’ouvrait en 2ᵉ année à Florent, mais je suis resté en théâtre. J’y voyais beaucoup plus de pratique, et surtout, une galaxie théâtrale avec plein d’auteurs, plein de pièces à découvrir. 

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Tu as été piqué directement ? 

Complètement. J’avais un retard culturel énorme en théâtre, donc je voulais combler ce manque. J’ai pris ça comme une revanche sur l’école. J’étais dans une formation qui me plaisait, je n’allais pas rester dans le fond de classe pour assurer la moyenne, en ayant fait semblant d’écouter. À ce moment-là, je veux être au premier rang et je veux manger le plateau au maximum. 

L’acting t’amène à quitter Rennes pour Paris. Tu avais l’impression de découvrir deux univers à la fois ? C’était quoi ton état d’esprit à l’époque ? 

Ça n’a pas été un choc, car je voulais être indépendant et avoir un parcours qui m’appartient. Avant de quitter Rennes, j’étais déjà assez carré, droit dans mes bottes. Tous ces trucs du quotidien du gnre : “Qu’est-ce qu’on mange ? Ok, il n’y a rien, je vais chercher à manger…” Je ne me suis pas retrouvé tout seul, à me demander comment me démerder. Mon père travaillait de nuit. Avec mon frère on n’était pas livrés à nous-même, mais on a appris à être débrouillards. On n’avait pas besoin d’être encadrés sur le plan parental on va dire. 

La richesse du travail de caméra, c’est savoir que c’est dans la boîte, que quelque chose restera. Ça fait du bien de se dire ça.

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Quand tu décides de devenir acteur, quel regard porte ta famille sur ce choix ? 

Il  y a de l’encouragement, ils sont fiers. Le clip de The Blaze m’a fait beaucoup de bien là-dessus. Je suis parti chez moi en 2012 et avec une formation théâtrale, il n’y a pas beaucoup d’images à montrer. Je devais jouer un spectacle à la Cartoucherie de Vincennes à l’automne 2015, mes parents allaient venir me voir, c’était un dimanche de novembre. Deux jours avant le spectacle, le vendredi, c’était les attentats du 13 novembre. Ils se sont déplacés et ils n’ont jamais pu voir ça, la représentation ayant été annulée. C’était le moment de bascule où je les invitais, en leur disant : “Rejoignez-moi à Paris, vous allez voir ce pour quoi j’ai bossé toutes ces années.”  

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Tout se concrétisait. 

Exactement. Ça s’est reporté à l’année suivante, au Festival d’Avignon. J’avais une lecture dans le In et un spectacle dans le Off. Pour la première fois, mes parents m’ont vu faire mon travail, l’aboutissement de cette formation. Le clip de The Blaze a aussi permis de les rassurer. Ils m’ont vu partir, m’investir, faire des nuits blanches à travailler pour payer mon loyer et mes cours. Pour eux, il reste quelque chose de ça sur YouTube. Ma mère passait tout son temps sur la vidéo et elle m’appelait sans cesse : “15 millions de vues, 16 millions de vues, 18 millions de vues !” J’étais là : “Arrête de m’appeler à chaque million” (rires)

C’est important pour toi cette idée de laisser une trace ?

C’est la richesse du travail de caméra. C’est dans la boîte, quelque chose restera. Ça fait du bien de se dire ça. J’adore le théâtre, mais le bémol du théâtre, qui fait aussi sa richesse, c’est qu’il fallait être là. Il fallait être présent à la représentation. Forcément, quand je pense à ce concept de “il fallait être là”, je pense à la Cartoucherie de Vincennes, je pense au 13 novembre 2015 et à un spectacle magnifique. Je suis toujours en contact avec le metteur en scène, si un jour on réussit à remettre les 12 acteurs sur le même plateau, on verra. L’histoire serait belle. 


STYLISME

Tenue 1

Veste : Dior x Peter Doig
Pull : Dior
Pantalon :
Dior x Peter Doig
Chaussures :
Stone Island

Tenue 2

Gilet : Stone Island
T-shirt : Scotch & Soda
Pantalon : Samsøe Samsøe
Chaussures : Stone Island

Tenue 3

Pull : Stone Island
Pantalon : Officine Générale
Chaussures : Stone Island
Casquette : BLS Hafnia


CRÉDITS

Photos : Tony Raveloarison (@tony.r3)

Direction Artistique : Selim Moundy (@selimmoundy)

Interview : Julien Perocheau (@julienperocheau)

Production : Julien Bihan (@julienbihan)