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Boycott des Grammy Awards par Drake : les failles d’un système obsolète

À sa demande, Drake a retiré ses nominations aux Grammy Awards 2022. Ignoré dans les catégories généralistes et plus prestigieuses, il suit le pas de plusieurs autres artistes majeurs de l’industrie.

Il concourait pour les prix de meilleur album rap pour Certified Lover Boy et meilleure performance rap pour son titre “Way 2 Sexy”, en featuring avec Young Thug et Future. Sans donner d’explication, Drake a jugé bon de renoncer à des potentiels cinquième et sixième trophées. Une volte-face inattendue, qui marque le dernier volet des relations conflictuelles que Drake entretient depuis plusieurs années avec les Grammy Awards. 

Les nerfs à vif

Considérée comme la plus prestigieuse cérémonie de l’industrie musicale, les Grammy Awards pâtissent d’un historique entaché par des boycotts à répétition. Des artistes qui dominent les classements du Billboard, qui génèrent les plus grands nombres de streams sont mis dans des cases, récompensés principalement dans des catégories dites “urbaines”. Une nomenclature fourre-tout qui pose problème. Après avoir remporté le Grammy du meilleur album rap pour IGOR, Tyler, The Creator regrette que le mot “urbain” soit “juste une façon politiquement correcte de dire le “n word.” Il condamne une catégorisation discriminatoire à l’encontre des “gars qui lui ressemblent”, y compris lorsqu’ils tentent d’innover ou de “renouveler le genre.”

 À cause des comités secrets, je ne permettrai plus à mon label de soumettre ma musique aux Grammys. 

The Weeknd

Pour l’édition 2017, Frank Ocean décide de ne pas soumettre son opus Blonde à la nomination. Selon lui, l’institution “ne représente pas très bien” les gens qui viennent de son milieu, avec qui il partage une histoire et une culture commune. “J’ai l’impression que toute l’infrastructure qui entoure les nominations est obsolète” constate-t-il à l’époque.

Drake confiera à son tour avoir éprouvé de la frustration en recevant le prix de la meilleure chanson rap pour “Hotline Bling”, bien que ce ne soit pas un morceau de rap. Il déplore un manque de considération à son égard, avoue s’être senti “presque comme aliéné.” L’année suivante, le Canadien refuse de soumettre son album More Life à la compétition en signe de protestation. Lors de la cérémonie 2019, il reproche une nouvelle fois aux Grammy Awards de ne pas traiter les artistes de hip-hop à leur juste valeur : “C’est un secteur qui dépend parfois d’un petit groupe de personnes ne comprenant pas ce qu’un gamin métis venu du Canada peut avoir à dire.”

Deux ans plus tard, The Weekend lui emboîte le pas, s’engage à boycotter définitivement la cérémonie après n’avoir reçu aucune nomination pour son album After Hours. Il dénonce la corruption dans le processus de nomination : “À cause des comités secrets, je ne permettrai plus à mon label de soumettre ma musique aux Grammys.” Un affront plus radical qu’un simple discours, qui a permis de légèrement faire bouger les lignes au sein de l’institution. Après la cérémonie, la Recording Academy a annoncé la fin du processus “secret” d’examen des nominations, qui, pendant des décennies a déterminé les listes finales de nominés.

Un problème systémique

Depuis 1995, les nominations définitives dans les quatre grandes catégories des Grammy étaient choisies par un comité restreint de membres de la Recording Academy, une stratégie visant à garantir que les nominations finales soient plus progressistes. Une étude menée par la Annenberg Inclusion Initiative, un think-tank qui analyse la diversité et l’inclusion dans le secteur du divertissement, met en lumière l’opacité de ce système.

Dans son rapport, le groupe de réflexion a recoupé le nombre de musiciens afro-américains ayant figuré dans le Billboard Hot 100 au cours des neuf dernières années avec le nombre de nominations aux Grammy Awards dans les catégories les plus convoitées : album de l’année, disque de l’année, chanson de l’année et meilleur nouvel artiste. Ils constatent que les interprètes noirs représentent environ 38 % de tous les artistes figurant dans les classements du Billboard de 2012 à 2020, mais ils n’ont reçu que 26,7 % des nominations aux Grammy Awards au cours de la même période. En 2021, 54% d’entre eux ont atteint au moins une fois la tête des charts du Billbord 200 albums. 42,5% des nominés aux quatre catégories majeures cette année sont noirs. 

Pour Stacy L. Smith, chercheuse qui a dirigé l’étude, la popularité de stars internationales telles que Jay-Z, Beyoncé ou Drake ne s’est pas traduite par une reconnaissance dans les principales catégories des Grammy. Si la popularité d’une chanson ne correspond pas toujours à sa valeur artistique, elle attribue tout de même ce manque de diversité à l’absence de votants et cadres de l’industrie non-blancs.

Ces modifications visent à passer outre le vote populaire pour se concentrer sur ceux qui font vraiment la meilleure musique.

Bill Freimuth, vice-président de la Recording Academy

Après des années d’opposition à l’apparente stigmatisation des artistes noirs dans les catégories “urbaines”, de nombreux noms de prix ont été modifiés, à l’image du “Meilleur album urbain contemporain”, rebaptisé “Meilleur album r’n’b progressif.” Une évolution encourageante, mais qui parait anecdotique et superflue. Le problème de la sous-représentation des rappeurs et chanteurs noirs dans les listes majeures n’a toujours pas été endigué, malgré les promesses de refonte du système.

En janvier 2018, l’institution annonçait une modification du protocole de vote, désormais en ligne, et la création de nouveaux comités pour rendre la compétition plus juste et inclusive. Ces changements visent à réorienter le choix des vainqueurs, “en passant outre le vote populaire pour se concentrer sur ceux qui font vraiment la meilleure musique”, comme l’indique Bill Freimuth, vice-président de la Recording Academy.

En se joignant à The Weeknd dans le boycott de la cérémonie, Drake pourrait impulser un mouvement plus large et subversif, pour conduire à une prise de conscience générale. En 2016, sous le hashtag #Oscarsowhite, l’industrie du cinéma avait également connu un soulèvement de la part des personnes issues de la diversité. Le mot-dièse avait permis de dénoncer la prédominance des cinéastes, interprètes et techniciens blancs dans les nominations. L’année suivante, Moonlight, un film retraçant la vie d’un jeune noir homosexuel, remportait l’Oscar suprême devant La La Land.