Umbro, la réinvention d’un héritage

Entretien avec Sébastian Strappazzon, co-fondateur d’AVNIER signant la nouvelle collection lifestyle d’Umbro, et Hugues Amani, responsable communication et marketing de la marque.

Comment rester pertinent tout en traversant les époques ? Alors qu’elle fêtera son centième anniversaire en 2024, la marque britannique semble avoir trouvé la réponse. Depuis 2019, Umbro s’active en interne pour perpétuer son immense héritage sportif, mais aussi et surtout, pour définitivement ancrer la marque dans l’univers lifestyle. Pour ce faire, la marque basée à Manchester a décidé de faire appel à des talents créatifs venus de l’extérieur, comme elle le fait depuis ses débuts.

Rapidement, le nom de Sébastian Strappazzon s’est imposé comme une évidence. Co-fondateur de la marque AVNIER aux côtés d’Orelsan, le créateur suisse est un fervent admirateur de Umbro. Après avoir imaginé une première collection pour la saison Automne/Hiver 21, Strappazzon matérialise la nouvelle direction de la marque, avec une ligne lifestyle estivale, dévoilée en fin de semaine dernière. L’objectif affiché est clair : consolider ces nouveaux acquis, en y apportant de la nouveauté et de la créativité.

 

Sébastian, quand tu commences à travailler avec Umbro, quelle image as-tu de la marque ? 

Sébastian : Le premier contact que j’ai eu avec eux, c’était lors de collaboration avec AVNIER qu’on avait dévoilée dans le clip de « Basique ». C’était la toute première fois que je dessinais pour une autre marque et c’était également la première collab’ d’AVNIER. Umbro, c’est l’une des marques qui m’accompagne depuis l’école. À l’époque, les gars un peu cool la portaient tous. C’est une marque qui a marqué l’esthétique de son époque, celle de mon adolescence, avec des icônes comme Éric Cantona et des groupes comme Oasis ou Blur. J’y suis plus venu pour le côté mode que pour le côté performance. Même si l’ADN de Umbro reste le foot, c’est aussi une marque très forte de mode. À l’époque, j’avais même du mal à avoir du Umbro, c’étaient davantage mes potes qui en portaient. Le jour où avec Orel’ (Orelsan, ndlr) on a réfléchi avec qui on aimerait collaborer, c’est l’une des premières marques qui nous est venues à l’esprit. Pour nous, c’était fou de faire quelque chose avec eux. J’avais une grosse pression la première fois où je suis allé chez eux, car j’étais fan de ce que Umbro représentait dans la street culture. Il y avait tout le staff de la marque en face de moi et je devais présenter ce que j’avais dessiné. Je m’en souviendrai toute ma vie, c’était la première fois que je faisais un truc comme ça. Même si maintenant j’ai la chance de le faire plus régulièrement, c’est un truc qui reste ancré en moi.

Orelsan, “Basique”

Et quand Umbro va chercher un profil comme Sébastian, quel est l’objectif ? 

Hugues : Dans toutes ses collaborations, Umbro va chercher des univers forts pour agrémenter son patrimoine. C’est une marque avec une grande histoire, faite de collaborations avec différents designers, issus de tous les milieux. Ce sont à la fois des créateurs précurseurs dans le tennis, comme Ted Tinling (le designer ayant révolutionné les robes des joueuses au XXᵉ siècle), et de très grands noms de la haute-couture, comme Kim Jones. Il est passé par Umbro à ces débuts, alors qu’il sortait tout juste de la Central Saint Martins College of Art and Design. On essaie toujours de trouver des personnalités, des talents et des compétences atypiques, que l’on ne voit pas partout. Sébastian est dans la lignée de ces créateurs, qui pratiquent un art brut et qui parlent vrai. Chez Seb’, il y avait de la compétence, un univers et de l’humain. À partir de là, la collaboration a nécessairement du sens pour la marque et pour le designer qui travaille avec nous.

Mannequins habillés par Tinling, 1954

Comment commencez-vous à travailler sur cette nouvelle collection ? 

Hugues : Notre idée première était de sublimer quelque chose de déjà existant. On est venu voir Seb’ en lui disant : « On a ce cadre-là. À travers ta compréhension de notre univers, comment peux-tu créer une collection lifestyle qui raconte ce qu’on est ? » Umbro est une marque qui fêtera ses cent ans dans deux ans, elle a traversé les époques, principalement à travers le football. À partir de cet héritage foot et de tes connaissances de la street culture, comment faire fonctionner ça et sortir des pièces marquantes ?

Sébastian : Je voulais reprendre ces codes pour en faire quelque chose de cool et facile à porter. En général, quand tu crées des pièces, il y a une partie design, mais aussi une partie modélisme, où tu choisis tes propres patrons, les coupes… Là, ce cadre existait déjà. Il fallait donc amener de la nouveauté, uniquement avec des patterns et des couleurs. Je voulais faire quelque chose de frais, avec du caractère. C’est pour ça qu’on retrouve beaucoup de noir, pour casser les couleurs vives de la collection. Pour moi, Umbro est une marque agressive, dans le bon sens du terme (rires). Je souhaitais quelque chose d’estival et de festif, tout en restant vif et agressif. J’ai beaucoup travaillé sur les dégradés pour rappeler les émotions du football, qui se traduisent par ces motifs de heatmap.

Tu disais que tu n’étais pas venu à Umbro grâce au foot, mais cette collection en reste imprégnée. Comment as-tu travaillé ça ? 

Sébastian : Là où tu retrouves le plus d’inspirations, c’est dans les archives de la marque. Donc je suis allé voir plein de bonnes boutiques vintage. J’en ai une à côté de chez moi en Suisse, lowkey, qui est spécialisée dans des pièces rares et mythiques. J’y ai trouvé plein de pièces Umbro. C’est une marque qui a plein de patterns intéressants, avec plusieurs niveaux de lecture sur chaque pièce. Tu peux avoir un jacquard, avec un imprimé par-dessus, et encore au-dessus, une broderie. Ce sont des éléments qui sont très intéressants à déconstruire sur un maillot de foot ou sur un ensemble de survêtements. À partir de là, tu peux remodeler quelque chose qui te ressemble.

Hugues : Sur l’univers lifestyle, on avait pour habitude d’emmener nos collaborateurs extérieurs à Manchester, au siège d’Umbro. C’est un véritable musée qui retrace les 98 ans d’existence de la marque. Ça donne une dimension folle à nos produits, qui fait son petit effet lorsqu’un créateur doit se projeter sur ce qu’ils représentent dans l’histoire du foot et du sportswear. La pandémie a changé les choses, mais c’est important pour nous de remettre ce process en place dès que possible.

Quelle place occupe actuellement cet héritage football chez Umbro, malgré le développement d’une gamme lifestyle ? 

Hugues : On est en train d’enclencher une nouvelle dynamique. Pour construire cette dynamique sur de bonnes bases, il fallait d’abord s’appuyer sur des succès concrets, ce qui, chez nous, correspond à la culture foot. L’idée n’est pas de s’enfermer à travers le sport, mais d’aller bien au-delà. C’est pour ça qu’on fait appel à un talent comme Sébastian. Pour développer cette stratégie à moyen et long-terme, il fallait toutefois qu’on s’appuie sur notre base, notre cœur de métier. On est forcément amené à aller au-delà, car Umbro est bien plus qu’une marque de football. On s’est diversifié dans d’autres sports à succès, en équipant le XV de la Rose en rugby et Williams Racing en Formule 1. Aujourd’hui, Umbro se positionne une marque de sport globale, basée sur un fort patrimoine football. C’est la base de notre univers lifestyle, mais une base ne peut pas constituer l’intégralité d’un univers.

En quoi est-ce important pour Umbro de développer ces gammes lifestyle ? 

Aujourd’hui, c’est indispensable pour une marque de pouvoir toucher toute une génération, la jeunesse, qui est très orienté mode et produit. C’est important de consolider notre univers de marque et notre connexion avec cette cible, qui n’est pas nécessairement fan de football, de F1 ou de rugby. On voulait ouvrir davantage notre audience et le lifestyle permet de connecter tous les différents aspects d’une marque.

 

En tant que créateur, comment arrive-t-on à renouveler la tendance vintage, comme c’est le cas sur cette collection ? 

Sébastian : Ce qui était bien avec les grosses marques sportswear de la fin du siècle dernier, c’est qu’on avait l’impression qu’elles n’avaient aucune limite. Il y avait des couleurs de partout, des patterns improbables. Je travaille beaucoup à partir souvenirs de trucs que j’ai interprétés à l’époque, les années 80/90 étant celles qui m’inspirent le plus depuis que je fais de la création. Il faut se servir de la mémoire d’une époque, reprendre les codes du vintage, pour en faire quelque chose qu’on a envie de porter aujourd’hui. Ça peut se jouer sur la coupe, les empiècements, les couleurs… Même si le sportswear old-school m’inspire énormément, ce n’est pas intéressant de faire du copier/coller. Il faut que les consommateurs aient encore envie de porter la pièce dans deux ans.

Umbro va prendre de plus en plus de place dans le milieu de la mode.

Sébastian Strappazzon

Quels sont les grands axes de développement d’Umbro à moyen et long-terme ? 

Hugues : On est sur un projet évolutif. Avec la collection lifestyle Fall/Winter 21, on a commencé à rappeler que Umbro était une marque presque centenaire, qui avait rencontré un beau succès dans le sport, mais pas que. À chaque saison, on ajoute une brique supplémentaire à l’édifice. Notre vision est à long-terme, avec une progression continue, que ce soit en termes de storytelling ou de produits. Les personnes qui nous suivent doivent sans cesse voir de l’avancée et du dynamisme. Même si on a bientôt un siècle d’existence, on va grandir avec l’audience qu’on essaie de fidéliser.

 

Sébastian : Umbro peut prendre de plus en plus de place dans la mode. Comme je le disais plus tôt, je l’ai toujours vu comme une vraie marque de mode. Grâce à son caractère et son histoire, elle a le potentiel pour se retrouver sur les plus grosses plateformes. Je vois plein de gens cool qui détournent cette marque pour la porter de façon stylée. Ce sont des gens qui ne pensent pas du tout au foot, ils ont juste envie de profiter de la marque pour les pièces qu’elle sort. Il y a peut-être même des gens qui vont oublier qu’à la base, c’est une marque de foot. Je viens d’une petite ville Suisse qui s’appelle Vevey, à côté de Lausanne, et il y a plein de gens là-bas qui se sont appropriés la marque, qui la portent comme quelque chose d’hyper cool. C’est le début d’une suite logique, où Umbro va prendre de plus en plus de place dans ce milieu.

Propos recueillis par Julien Perocheau