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Kekra, le son de la stratosphère

Un album sur le point de devenir disque d’or. Un Olympia sold-out. Kekra connaît en 2023 la plus belle année de sa carrière. Pourtant, derrière sa cagoule, le rappeur des Hauts-de-Seine raconte cette ascension sans effusion de joie, n’oubliant pas le chemin parcouru pour y arriver. “Mon premier projet s’est écoulé à 183 exemplaires. La semaine de ma Cigale, la salle n’était pas pleine. Elle ne s’est remplie qu’au dernier moment.

Qu’importe. Kekra reste solide sur ses appuis. Il ne craint ni le vide, ni l’échec. Au contraire, pour son dernier projet, il puise son inspiration en Felix Baumgartner. En 2012, le parachutiste extrême plonge dans le vide depuis la stratosphère. Paradoxalement, Stratos est pour Kekra une affaire d’ascension. Celle d’un artiste qui, sans jamais confondre confiance en soi et arrogance, n’a pas douté que le temps lui donnerait raison.

Tracksuit : Baara
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Cagoule : Balkinova

Views : L’idée de “carrière sans concession” et de “jusqu’au-boutisme” me fait beaucoup penser à toi, est-ce que tu es d’accord avec ça ? 

Kekra : Je ne sais pas si je suis d’accord avec ça, le fait de faire une carrière, c’est déjà une concession… Je n’ai pas non plus l’impression d’aller jusqu’au bout des choses sinon je ne ferais plus de projet. Le jour où j’ai l’impression d’aller au bout des choses, j’arrête. C’est dans ce sens-là que je comprends le “jusqu’au-boutisme”. J’ai toujours l’impression que je peux pousser un peu plus loin. 

“Jusqu’au-boutiste” c’est aussi l’idée d’arriver avec une DA pointue, des choix spécifiques, et ça ne parle pas forcément à beaucoup de gens. Mais sans lâcher ses idées et en se disant que le public comprendra avec le temps. Aujourd’hui, tu es bien plus compris. 

Ouais, ils commencent à comprendre, mais ils n’ont toujours pas compris au fond. Après, cette année, c’est l’année des incompris, on dirait. En tout cas, c’est comme ça qu’on veut nous le vendre. Je regarde ni à droite ni à gauche, si des artistes croisent mon chemin, on va s’intéresser mutuellement à ce qu’on fait, mais sinon je regarde tout droit, je regarde mon truc à moi. Je fais ce que j’aime, donc forcément, je ne calibre rien. Quand tu me parles de concession, ça se tient sur un truc : aujourd’hui les gens ont l’impression que j’en ai fait dans mes morceaux. Ils vont avoir l’impression qu’il y a des choses plus mainstream dans mes morceaux, mais ils n’ont pas compris que c’est juste le mainstream qui est en train de changer. Tu vois ce que je veux dire ? 

Bien sûr. L’industrie s’ouvre aux artistes de niche. 

C’est une suite logique. Au début, t’aimes bien l’omelette avec du sel, tu connais que ça. Après quelqu’un ramène du fromage, donc tu découvres l’omelette au fromage. Ensuite, c’est au tour du poivron, des champignons, des oignons et ainsi de suite. À la fin, si je te remets une omelette avec du sel, tu skip. Ça te paraît ancien et fade. Maintenant, on a tellement de recettes que celles qui faisaient partie de la dictature, elles sont claquées.

Tu penses que des artistes comme vous participent à une réponse au mainstream qui tourne en rond, qui ne prend pas de risques ?

Bien sûr. Moi, j’ai vraiment peur d’aucun style. On le constate en se penchant sur ma discographie. Ça, c’est parce que moi, je n’aime pas m’ennuyer, mais je n’en ai rien à foutre du style à la mode. Par contre, je reviens sur ton “vous”, il n’y a pas de “vous” parce que dedans, il y a des mecs qui essayent d’être atypiques parce que c’est à la mode de l’être. Un ou deux ans en arrière, ils étaient sur ce qui fonctionnait dans le mainstream sur le moment.

Le “vous” c’est aussi parce que l’industrie et le public aiment réunir des typologies d’artistes, les mettre dans des cases.

Oui, je le comprends, mais ce que je veux dire, c’est qu’il y en a beaucoup parmi eux qui essayent de s’inventer une profondeur, une technique, alors qu’il n’y a rien… Ils n’ont rien à raconter et on leur a donné une tribune, ce n’est pas normal. C’est une insulte envers les artistes qui ont vraiment souffert et galéré dans leur vie. Je ne parle pas de moi, je parle en général. C’est insultant envers ces gens d’avoir donné la parole à des mythomanes.

Il y a un peu cette idée de surfer sur des tendances…

(Il coupe) T’as des mecs qui rappent sur le crime alors que ce sont des grosses p*tes. Ils ont peur, ils ne sortent pas tout seuls. Le talent ne doit pas justifier cette mythomanie. Ce n’est pas parce que tu es fort en émulation, que tu arrives à copier le flow et les codes d’un Américain ou d’un Anglais que ça va marcher, que je vais te croire. Ce que j’aime bien, c’est que ça marche moins là, il y a quelques mythos qui commencent à se faire démasquer, ils marchent moins. Je suis content.

Pull : Parur
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Je n’ai jamais eu peur de l’échec, sinon ça fait bien longtemps que j’aurais arrêté. Mon premier projet s’est écoulé à 183 exemplaires. La semaine de ma Cigale, la salle n’était pas pleine.

Kekra

Tu penses que les personnages ça ne dure qu’un temps ?

C’est logique ! Tu es monté de toute pièce, ça ne dure qu’un temps. Tu pourras feinter six mois ou un an des auditeurs naïfs, mais ça ne tient pas. Ces petits, ils grandissent, donc ils voient que tu es un menteur.

Ce qui est intéressant dans ta musique, c’est que tu racontes des choses sans chercher à les glorifier. Il y a un sentiment d’amour/haine avec ton environnement, tu répètes souvent ton envie de “te barrer d’ici“.

C’est logique de vouloir se barrer. Qui veut rester à la cité frère ? Attention, ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas aider les siens. Moi, je veux aider les gens avec qui j’ai grandi, qui sont passés par le même chemin que moi. Mais sinon personne ne veut y rester, en tout cas pas ceux qui la connaissent vraiment. Ceux qui ont connu la guerre veulent la paix mon gars. Ceux qui prônent la guerre veulent juste capitaliser dessus. Au fond, il n’y a pas mort d’homme, j’ai d’autres chats à fouetter que m’intéresser à ces personnes. Mais tu connais, si j’en croise un ou deux comme ça, que je sais que ce sont des menteurs, je serais obligé de les checker. Comme je l’ai déjà fait dans le passé. C’est vérifiable ça. Il y a des gens que j’ai checkés, ils ont arrêté de chanter pendant 6 ou 7 ans.

Pour revenir plus globalement sur ta carrière, au départ, du fait de ton statut d’artiste underground, on entendait beaucoup “Kekra est sous-coté“. Est-ce que c’est quelque chose qui te faisait “peur” de ne parler qu’à une niche ?

Pas du tout. Je n’ai jamais eu peur de ça, sinon ça fait bien longtemps que j’aurais arrêté. Mon premier projet s’est écoulé à 183 exemplaires. La semaine de ma Cigale, la salle n’était pas pleine. L’organisation m’a dit d’annuler ou de reporter. Je leur ai répondu que s’il y avait seulement une seule personne au concert, je serais présent. Est-ce que tu m’as déjà vu aller rectifier ce que des gens disent sur moi ? Jamais de la vie, pourtant sur tous les gens qui parlent de moi, beaucoup racontent n’importe quoi. Parce que je m’en fous de ce que les gens vont dire.

Tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais c’est une vraie force d’être détaché de ça. Dans la musique, c’est quelque chose que des artistes vivent très mal.

Oui totalement, je m’en rends compte. Mon premier projet est sorti il y a 8 ans. Avec les 183 ventes, tout le monde aurait pu me vanner. Mais je savais ce que je valais. Pour moi, très peu m’arrivent à la cheville musicalement, donc je n’en avais rien à foutre de ce que les gens allaient dire. Twitter, je l’ai enlevé il y a 4 ou 5 ans, le jour où j’ai compris que les gens qui parlaient c’était que des p*tes que je n’allais jamais voir en vrai. Et si c’était le cas, ils allaient venir me demander une photo. Du coup, pourquoi s’empoisonner la vie ?

De toute façon, le temps t’a donné raison. Ton succès n’a fait que s’accroître.

Oui, et encore. Tu connais, on est des éternels insatisfaits. Il faut rester lucide et pragmatique. Moi je n’ai pas de double platine, j’ai qu’un single d’or et c’est avec mon frérot Niska. Et lui, on sait que c’est pas n’importe qui.

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Oui, mais on sent que la trajectoire est toujours ascendante, peu importe sa vitesse.

Le plus important, c’est d’y arriver en restant soi-même. Je copie personne, je regarde personne. Autour de moi, il n’y a pas de musicien. J’ai eu quelques bonnes rencontres dans la musique, mais dans mon quotidien personne n’est dans le son. Moi, je n’ai pas de certification en solo alors qu’il y a des mecs qui ont commencé en même temps que moi, ils ont de quoi monter des sets de table avec leurs plaques. Ils peuvent remplacer les assiettes avec. Mais ils ne sont plus là. Ils ont fait des envolées spectaculaires, mais aujourd’hui, il n’y a plus rien. Moi, je suis toujours là, dans la discussion avec des artistes qui ont fait plusieurs platines.

Contrairement à certains artistes, tu n’as jamais été dans une dynamique de singles. Les artistes “à projets” durent généralement plus longtemps.

Bien sûr, oui. Le single “Vréalité” j’aurais pu le demander en fabrication pour l’avoir et faire le bandeur de CD. Mais qu’est-ce que j’allais en faire ? Je ne vais pas le montrer à mes enfants, je ne veux pas qu’ils sachent ce que je fais dans la vie. Ça ne me fait pas bander une plaque. Moi, c’est l’argent que j’aime, je ne me suis jamais caché là-dessus.

Pour revenir sur ton actualité du moment, il s’est passé des choses importantes. Il y a notamment eu l’ouverture aux collaborations. Il y avait déjà eu Niska, mais là, il y a 4 invités sur l’album, ce qui est inédit. Pourquoi c’était le bon moment ?

Parce que j’ai assis mon identité et que personne ne pourra me dire “C’est grâce à untel que tu as percé“. C’est interdit de me la sortir à moi celle-ci. Quelqu’un cherche mon nom, voit tous les projets, il ne peut pas se dire que je le dois à quelqu’un d’autre que moi. Du coup, c’est logique, d’autant que maintenant, il y a davantage d’artistes intéressants. Mais je laisse le destin faire, j’aime quand les rencontres se font naturellement.

Tu l’avais anticipé au début de ta carrière le fait d’attendre d’être installé pour faire des feats ?

Exactement. Et d’attendre que des gens en valent la peine. C’est pour ça que je l’ai bien clamé au début. Pour créer une énergie, “on ne vient pas lui demander de feat”. Malgré ça, certains ont demandé, mais je n’ai pas fait le mec à vouloir afficher sur Internet ou quoi. Ça serait de l’arrogance mal placée. Je leur ai répondu non avec le plus grand des respects.

Les invités sur Stratos sont Alpha Wann, La Fève, Hamza et Zamdane. Pourquoi eux ?

Alpha, on avait fait des morceaux ensemble déjà. La Fève aussi, on avait déjà fait de la musique ensemble. Je trouve ça bien de réunir deux générations. D’autant que La Fève a une vraie technicité dans ses rimes. J’avais l’impression de faire le pont entre le rap des années 2010 et 2020, parce qu’ils se sont chacun révélés au début de la décennie.

Avec Hamza, on l’avait fait dans le cadre d’un autre projet, mais du coup, je l’ai gardé. Il date d’il y a un an et demi, je crois. Pour Zamdane, il y a des gens très proches de son management qui sont proches de moi à Marseille. Je l’ai rencontré, il est venu me souhaiter la bienvenue en accompagnant mes potes, donc on a discuté. J’avais entendu son nom, mais je ne connaissais pas sa musique. J’ai vu comment il était, ses valeurs, ses principes, il est respectueux. Il m’a demandé d’être sur son album, et comme j’ai bien aimé sa démarche, je lui ai dit : “Tu sais quoi ? Toi aussi tu vas être sur mon album.

Avec tous les artistes, c’était très bien dans le sens où personne n’était dans une compétition. On était dans l’entraide pour le bien du morceau.

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C’est compliqué de mettre son ego de côté quand des rappeurs collaborent entre eux, quand on sait comment le public aime discuter de “qui a gagné” ?

Non, non, franchement, ça va. Hamza m’a parlé de ça en rigolant, en me disant que ça le saoulait cette énergie. Moi, franchement, je n’en ai rien à foutre de ces compétitions, ça ne touche en rien à ma famille ou mon compte bancaire. Les commentaires ne m’intéressent pas.

Est-ce qu’à l’avenir, tu aimerais t’ouvrir encore plus aux collaborations, avec peut-être des connexions qu’on attendrait moins ?

C’est possible oui. Je laisse le temps faire. C’est le destin qui nous dira, mais je ne suis pas fermé. Et puis, tu penses bien que maintenant, avec les collaborations que j’ai faites, il y a d’autres gens qui sont revenus. D’ailleurs, j’ai aussi collaboré avec TripleGo sur leur album. C’est un groupe qui ne feat pas souvent non plus. Ce ne sont pas forcément des gens exposés, mais c’est authentique. On tue dans l’œuf l’idée de collaboration par intérêt.

L’un des éléments les plus discutés sur ton nouvel album, c’est le “coup de com” avec Billy/RebeuDeter sur la cover et dans le clip de “Iverson”. Elle vient d’où cette idée ?

Je suis bloqué en Thaïlande, je savais que je n’allais pas pouvoir faire la cover. D’autant que je devais initialement la faire avant mon départ. Donc j’ai anticipé, la veille de mon départ, j’ai appelé Billy, je lui ai dit “Remplace-moi, s’il te plaît“. Quelqu’un allait me remplacer, autant que ce soit une personne proche de moi, qui soit identifiable. Billy a trouvé l’idée super, le reste, tu le connais.

Est-ce que t’avais anticipé que ça allait autant faire parler les gens ?

Je savais que ça allait être commenté, mais vraiment pas autant que ça. Après, je savais que ça ferait réagir parce que Billy et moi, on a une relation. On s’apprécie réellement. C’est l’une des rares personnes de ce milieu avec qui je suis proche, on peut se voir tous les jours. On a les mêmes inspirations. Je l’ai connu quand il était encore que sur Twitter. Il m’a donné énormément de force au début, à tel point que des haters ont commencé à lui dire qu’il était payé pour faire ma promo. Je lui ai conseillé d’arrêter si on lui disait ça, qu’il se concentre sur son business à lui.

Ce qui est beau dans cette histoire, c’est que vous vous connaissiez tout au début de vos carrières respectives et qu’aujourd’hui, vous réalisez un gros coup de com’ ensemble, à des niveaux bien plus avancés de vos carrières.

Exactement ! Mais je trouve qu’il a beaucoup plus step-up que moi lui (rires). Je suis content pour lui.

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Le fait que Stratos ait réalisé ta plus grosse première semaine, qu’il va bientôt devenir ton premier disque d’or, est-ce que ça te fait prendre du recul sur ta carrière ou te procure un sentiment particulier ?

La symbolique, c’est qu’il faut avoir confiance en soi. Les gens confondent trop l’arrogance et la self-confidence. Quand je parle, les gens pensent que je suis arrogant. Mais si ça me faisait quelque chose que mes propos soient mal interprétés, je n’en serais pas où j’en suis. Même si je ne suis pas très loin. Je reste conscient de qui je suis. Je reste à ma place. Ce qui m’intéresse vraiment, c’est faire plaisir à mes auditeurs et mettre ma famille à l’abri. Si je peux générer des emplois autour de moi, créer des cercles vertueux, ça peut me motiver à rester encore un peu.

À t’écouter, on comprend que les chiffres ne sont pas une fin, mais un moyen pour toi.

Voilà. En plus je ne serai pas là pour voir le plus haut de mes chiffres. Les gens ne s’en rendent pas compte, mais le sommet de mon succès aura lieu quand je serai mort. Pourquoi je m’embêterais avec mes ventes actuelles ?

Arrêter, j’y pense depuis le début de ma carrière, c’est pour ça que je dis que le rap, c’est de la merde, quitte à choquer. Après, si les gens prennent le rap pour une religion, c’est un problème qu’ils doivent régler avec eux-mêmes, pas avec moi.

Kekra

Un autre succès symbolique pour toi, c’est ton concert à l’Olympia, comment tu l’as vécu ?

C’était une bonne ambiance de fou, on était tous ensemble. C’était le concert du public aussi. C’était assez petit pour garder cette ambiance intimiste qui est importante pour vraiment voir ton public. On n’est pas à la course des plus grandes salles, parce que si c’est pour avoir la moitié de l’audience qui est invitée ou avoir des gens qui ne connaissent pas tes morceaux, ce n’est pas bon. C’est Niska qui m’avait dit que mon public était trop à fond derrière moi. Je m’en rends même pas compte parce que je ne les vois pas comme un public que je vais exploiter, je ne vois pas l’aspect commercial, je rigole juste avec eux. Je devrais communiquer plus avec eux sur les réseaux, mais comme j’essaye de me détacher de ce milieu-là… C’est bizarre, plus je me détache, plus on dirait que ça me rattrape.

Ça me fait penser à Al Pacino dans Le Parrain III…

(Il coupe)Just when I thought I was out, they pull me back in!” Oui, c’est ça !

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Deux ans après l’album Kekra, qu’est-ce que tu as voulu faire de différent ou de mieux avec Stratos ?

Je n’ai pas cherché à faire quelque chose de différent, je n’ai juste pas été au studio pendant longtemps. À terme, la différence, c’est que je vais essayer de m’impliquer un peu plus dans le prochain projet. Conceptualiser davantage. Stratos c’est comme tous mes projets précédents, les gens veulent l’appeler un album mais les “Freebase” je les ai travaillées pareil, je n’ai pas fait de fil conducteur. Je me suis juste dit que je voulais des intrus qui me font penser à l’espace. Je n’ai pas intellectualisé la construction de l’album. Si je fais un vrai concept à l’avenir, c’est pour faire plaisir à mon public, mes premiers soutiens. C’est comme pour les collaborations, je veux leur faire plaisir, même si certains me disent “Tu avais dit que tu ne ferais jamais de feats…

Justement, quand on fait ce genre de choix, est-ce que c’est délicat de gérer la réaction des premiers fans, ceux qui sont assez intenses ?

Ils ne vont pas être méchants. Ils vont se ranger dans le rang. S’il te soutient vraiment, il te voit collaborer, même s’il n’était pas prêt, sa bienveillance veut qu’il se dise que plus de gens vont me connaître, que je vais être reconnu à ma juste valeur. S’il ne pense pas ça, qu’est-ce que j’en ai à foutre de lui ? Ce n’est pas un vrai supporter. C’est juste quelqu’un d’égoïste qui veut faire le bandeur de rappeur devant les gens en mode : “Je suis le seul à le connaître“. Mais je ne suis pas ton chien ma gueule, j’ai des têtes à nourrir. Je dois évoluer dans ma vie.

Le fait d’avoir sorti 11 projets, est-ce qu’aujourd’hui cette expérience t’aide dans la manière dont tu abordes la création ?

Oui bien sûr. Avant, je ne mixais pas mes projets. Les 5 ou 6 premiers ne l’étaient pas. Quand ils disent “Vréel c’était les meilleurs sons“, ce sont des menteurs. Il ne faut pas les écouter, je les ai faits à l’arrache. Ils veulent juste s’inventer une vie et faire les anciens. J’ai essayé de leur dire gentiment, mais ils ne veulent pas comprendre. Après pour le reste, oui il y a plus de facilité. Au niveau de l’interprétation, l’exécution est meilleure.

Tu penses qu’avec le temps, tu as développé une formule Kekra ?

Ouais bien sûr ça existe, demande aux nouveaux rappeurs, qui sont là grâce à elle. D’un côté, je ne peux pas laisser les gens faire les aveugles, mais de l’autre, je n’ai pas le temps de m’attarder là-dessus. Mais évidemment qu’il y a une formule, plusieurs même. Il y a eu des formules pour chaque arc. Il y a eu une formule avec Kekra qui se met à cheval dans son clip, un mois après, c’était devenu le centre équestre le rap français.

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J’ai particulièrement retenu “Nuages” sur Stratos, déjà parce que c’est la première fois qu’on t’entend dans un délire un peu hyperpop, mais également parce que je me suis dit que tu avais encore une nouvelle corde à ton arc.

“Nuages” c’est vraiment l’énergie des clips de mon enfance qui tournaient sur M6. J’aime cette ambiance entêtante. Pour ce qui est des nouvelles cordes, il y en a toujours, c’est juste que c’est volontaire de ma part d’y aller progressivement. Si je t’envoie tout d’un coup, c’est fini. Tu me revois plus l’année prochaine. J’ai gardé du jus pour essayer de sortir un truc frais à chaque fois. J’en ai encore sous le coude.

“Bloc de glace” est également un morceau qui est très important, c’est un premier bilan de carrière et de vie dans lequel tu te livres plus que jamais. Tu as aussi terminé ton Olympia avec ce titre…

Il résume beaucoup de choses oui. Plus je pense être seul, plus il y a d’auditeurs. Il y a un rapport avec d’où je viens, le temps qui passe, le destin des gens avec qui j’ai grandi… Tu vois des destins fulgurants, des destins tragiques… Quand je parle d’Anderson par exemple, les gens pensent que je fais référence à un chanteur, alors que pas du tout. Les gens qui me connaissent dans la vie savent qu’Anderson c’est un frère à moi. Je parle de ma vie, mais je le fais sans chercher à faire verser une larmichette.

Et l’idée de “Plus j’chante qu’j’finirai seul, plus y’a du monde“, tu es à l’aise avec le constat que plus ça va avancer, plus le succès va ramener du monde ?

C’est comme si ma mentalité partait d’un côté et ma carrière de l’autre. Mais j’ai le sentiment qu’à un moment, elles vont rentrer en collision et il faudra que je fasse un choix entre les deux. J’y pense depuis le début de ma carrière, c’est pour ça que je dis que le rap, c’est de la merde, quitte à choquer. Après, si les gens prennent le rap pour une religion, c’est un problème qu’ils doivent régler avec eux-mêmes, pas avec moi. Mais jusqu’à preuve du contraire, il n’y a pas de lieu de culte consacré au rap, donc ils ne devraient pas se sentir autant touchés par ce propos.

Qu’est-ce qui pourrait créer un déclic et te faire dire que demain, tu arrêtes ?

C’est l’aspect financier. Si demain, je fais un contrat avec une marque de chips et qu’ils me donnent 25 millions, tu penses vraiment que je vais faire un autre album derrière ? Moi, je ne pense pas du tout. Tu vas plutôt me voir te vendre des chips goût ketchup, goût fromage… Je prends mes sous et salut frère. Si ça permet de changer la vie de mes proches, qu’ils aient tous leur société, je n’hésite pas.

À un moment, sur l’album, tu dis “J’ai toujours la même vie, moins les selfies“. Quel est ton rapport à la célébrité ?

Je n’en ai pas. Dehors, je ne le sens pas parce que je suis moi-même et personne ne me calcule. C’est génial. Heureusement que j’ai ça, parce qu’imagine que je me sois lancé sans masque : mets-toi à la place d’un artiste qui a 0 certification malgré 20 ou 30 clips et qui va faire ses courses dehors. Tu imagines le poids psychologique ? Le regard des gens ? Tu deviens fou frère.

Qu’est-ce que ça a changé pour toi de devenir père ?

J’ai de l’amour à la maison, mais je peux encore niquer des mères. Ça j’aimerais bien que tu le mettes dans l’interview, c’est très important. Mais sinon pour mes enfants, je suis content. C’est pour eux que je travaille.

Photographie : Moïse Luzolo
Assistant photographie : Félix Devaux
Direction artistique : Naël Gadacha
Coordination artistique : Iris Gonzales
Stylisme : Luca Delombre
Production : Selim Moundy et Alice Poireau-Metge
Interview : Corentin Saguez
Graphisme : Noémi Bonzi
Remerciement : @lepicerie_