Malo : les cicatrices du froid, la violence de dehors

“Froid comme dehors”, plus que le nom de son premier EP, l’expression est devenue un véritable mantra pour Malo. Le symbole d’une vie dure et âpre. Celle d’un enfant racisé ayant grandi dans un quartier, celle d’un homme obligé de se barricader pour se protéger des vices qui le guettent, celle d’un rappeur qui n’a pas d’autres choix, s’il veut s’en sortir, que de réussir.  

Alors pour avancer, Malo s’est armé d’une détermination tout aussi glacée, aussi impitoyable que ce qu’il vit, aussi froide que dehors. Le rappeur brûle de réussir pour se mettre à l’abri lui et ses proches, au point que ça le démange. C’est d’abord dans cette optique qu’il sort ses deux premiers EPs FROIDCOMMEDEHORS en 2021, puis 4X4 en 2022. 

Ces deux projets lui ont permis de s’imposer comme l’un des visages de la “new wave” et de partager avec son public la détermination froide qui nourrit une musique pleine d’égotrip, d’attitude et de variations de flow. Une musique qui se voulait sans faiblesses comme l’armure de Malo face à la vie.  

Mais une armure ne protège pas de tout. Lorsque le rappeur a perdu l’un de ses proches cousins, il s’est découvert une vulnérabilité qu’on ne lui connaissait pas. Une vulnérabilité qui s’est intégrée à sa musique sur ID, sa dernière mixtape, à la fois dans le fond plus introspectif et même mélancolique, mais aussi dans la forme avec des morceaux plus mélodieux, plus chantés. Sur ID, le froid ne représente donc plus seulement la soif de réussir et la solide détermination de Malo mais il évoque aussi la mélancolie hivernale et les brûlures qu’elle inflige. 

Pour Views, Malo revient sur son parcours et sa musique. 

 Comment tu as commencé à rapper ? 

C’est lorsque j’ai découvert Lil Bow Wow quand j’étais petit, parce qu’il avait percé enfant dans le rap. Mais j’étais surtout dans le basket aussi à l’époque et justement, Lil Bow Wow rappait mais à côté, il jouait aussi dans le film Magic Baskets. Du coup, dans la vraie vie c’était un enfant rappeur et dans le film c’est un enfant qui finit en NBA. Pour moi c’était une dinguerie, je m’identifiais beaucoup. Après quand je me suis mis au rap… C’est venu bien plus tard, en 5ème quelque chose comme ça. 

A ce moment-là, ça a été quoi le déclic ? 

En fait, c’était des grands de chez nous qui étaient surveillants dans mon collège. Ils ont fait des ateliers de rap pour nous canaliser un peu, nous les petits, pour matérialiser ce qu’on pensait ce qu’on ressentait, pour mettre notre énergie ailleurs que dans les conneries. Du coup, ils nous ont appris à écrire. Parce qu’à la base on écrivait que des menaces (rires) ! Ils nous ont vraiment appris à utiliser le français et mon amour de l’écriture est parti de là. 

Tu écoutais qui à ce moment-là ? 

J’écoutais du Sefyu, du Booba… Après j’ai surtout écouté du rap US. Beaucoup, beaucoup de rap US. J’écoutais Lil Wayne à mort. Il y avait aussi Rick Ross, Wacka Flocka, Gucci Mane… 

Tu te souviens du premier morceau que tu as sorti. Le premier pour lequel tu as commencé à te considérer rappeur ? 

Je crois que mon premier vrai son, je le sors en 2016 avec Junior Alaprod qui a fait l’instru et m’a enregistré à l’époque. En vrai, Junior c’est mon pote depuis longtemps, avant même que ça pète pour moi. On a fait le morceau avec un clip à la wanegaine, on l’a sorti sur Youtube et aujourd’hui on l’a supprimé, il n’existe plus (rires) ! Ça s’appelait “Résiste”. Il n’est jamais sorti sur les plateformes parce qu’à l’époque je ne savais même pas comment mettre un morceau là-bas, je ne connaissais rien, je ne savais même pas que DistroKid existait. 

Ton premier projet identifié, c’est FROIDCOMMEDEHORS qui sort en 2021. J’ai trouvé que tu avais installé ton univers très vite avec beaucoup d’égotrip et de détermination. C’est quelque chose qui caractérise ta musique, j’ai l’impression. D’où elle te vient cette détermination là ? 

Je viens d’une famille de sportifs. Mon père notamment a beaucoup joué au basket. C’est comme ça qu’il est arrivé en France. Et en gros, c’est une mentale qui vient du basket. Tu as différents profils de joueur comme au foot aussi, comme partout. Mais on va dire que c’est une mentalité un peu Zlatan, si je dois faire un parallèle par rapport au foot. 

Ou Kobe ? 

Voilà, ou Kobe, ou Gary Payton… Le genre de mecs qui font la gueule toute l’année et qui ne sourient que lorsqu’il y a de vraies victoires. Parce que même si tu mets 70 points ou je ne sais quoi, le job n’est pas fini tant que tu ne gagnes pas au final. 

Il y a ce mantra “froid comme dehors” qui existe depuis ton premier projet et qui continue aujourd’hui de caractériser ta musique. Qu’est-ce que ça veut dire et que représente le froid pour toi ? 

Quand je m’installe dans mon premier appartement à l’époque, en coloc avec un frérot, il n’y a pas de chauffage. Il y avait deux chambres, et la deuxième ne servait pas. Il n’y avait rien dans cette chambre, pas de matelas, pas de meubles, vraiment rien. Du coup, pendant presque un an j’ai vécu comme ça, sans chauffage, même pas un chauffage d’appoint ! Il faisait vraiment froid… comme dehors. Et la phrase est venue de là en fait. Tous les jours, on se réveillait énervés avec le frérot, à se dire qu’il faisait “froid comme dehors”. Tu rentrais du taff et tu n’enlevais même pas ta veste.

Vous étiez en doudoune même chez vous ? 

Mais clairement, je dormais capuché en doudoune ! Donc oui, c’est parti de là. Et puis le froid, c’est symbolique. Le froid qui durcit les choses, notamment l’eau. Le mantra part de plein de choses différentes. C’est de la psychologie autant qu’un truc un peu social, parce que le monde dans lequel on vit est froid. Bruce Lee disait qu’il faut être de l’eau “Be water”, c’est s’adapter aux situations. Et vu que dehors il fait froid, pour s’y adapter il faut être endurci, il faut être prêt, solide. 

Sur FROIDCOMMEDEHORS, il y a une volonté d’être versatile, notamment sur les flows et les changements de voix. Quand tu as fait ce projet là, qu’est ce que tu voulais montrer au public, comment tu voulais te présenter ? 

A l’époque, je suis déjà conscient de ma singularité. Et avec Platinum (Platinumwav, le beatmaker), avec qui je bosse tout depuis le premier jour, on est en mode “vas-y, on est singulier mais il faut taper fort, viser dans le mille”. Donc quand on sort FROIDCOMMEDEHORS, on essaie de montrer qu’on est tout terrain mais de la façon la plus équilibrée possible. Et il a fallu condenser et faire des choix de morceaux pour vraiment taper où il faut.

Et c’est ce qui s’est passé, j’ai l’impression parce que je me souviens t’avoir découvert avec ce projet là. Et quand ça sort, j’ai plein d’amis et de connaissances qui m’en parlent aussi. Il y avait un vrai truc autour du projet. 

Ça a super bien marché et je crois que c’est parce que ce n’était pas ce qu’on entend tous les jours. Les gens ont apprécié ça, je pense. Et puis c’est ma phobie de faire écouter l’un de mes morceaux et qu’on me dise “c‘est vu et revu”.

J’ai l’impression que la réussite de FROIDCOMMEDEHORS, ça t’a poussé aussi à sortir 4X4 derrière. Ça t’a donné de l’assurance. Parce que ça se voit rien que sur la cover du projet, avec le monster truck, que le message c’est “on va vous rouler dessus” avec la confiance qui en découle. 

C’était très clairement ça ! 

Comment vous avez pensé cette cover ? Et comment FROIDCOMMEDEHORS vous a incité à travailler 4X4

FROIDCOMMEDEHORS quand ça sort, je vois que les gens m’ont capté et l’ont bien reçu. Même si on n’a pas encore trouvé l’équilibre de ma musique, je vois un peu dans quelle direction je veux aller. 

Donc je pars sur un EP de 4 titres avec 4 couleurs différentes, pour montrer encore une fois que je suis tout terrain. Je voulais vraiment faire des morceaux singuliers les uns par rapport aux autres. Et je crois que c’est ce qu’on a réussi à faire, encore une fois. Donc au vu des sons qu’on avait, j’avais déjà pensé au titre 4X4. Et en fait la cover, c’est venu tout seul. Le 4×4 c’est une automobile qui est tout terrain comme la musique de l’EP et j’en voulais un pour montrer qu’on arrive déterminés parce que c’est imposant. Du coup, on voulait celui qui fait le plus flipper. Le monster truck c’était parfait. 

Il y a quand même un morceau qui porte le projet aussi, c’est “OK”, le feat avec La Fève, qui a fait pas mal de bruit. Tu t’attendais à autant d’engouement ? 

A l’époque, La Fève vient de sortir ERRR, fin 2021 et il baise tout. En 2022 c’est devenu une star même si concrètement, il n’a pas sorti grand chose cette année-là. “OK” d’ailleurs, c’est l’une de ses seules apparitions de l’année si je ne dis pas de bêtises. La prod est terrible, le morceau aussi, on a kiffé le son mais le fait qu’on soit tous les deux calés sur deux BPM différents sur la prod, que ce soit un son très kické, sans refrain… Je trouvais le morceau frais mais je ne pensais pas que les gens allaient autant kiffer. Et finalement, c’est le titre qui porte le projet. Ça a poussé les gens à écouter le reste de l’EP, les morceaux comme “VENDREDI” ou “BREITLING”. 

Comme sur FROIDCOMMEDEHORS et 4X4, la soif de réussite est encore très présente sur ID. D’ailleurs, tu ouvres avec un morceau référence à un symbole de l’ambition et de la réussite : Kobe Bryant. Dans quelle mesure il a été important pour toi ? 

Pour te dire à quel point il est influent pour moi, le mieux c’est peut-être de te raconter mon état quand il est mort… J’ai pleuré comme une madeleine. J’étais à Aubervilliers avec Beeby (le rappeur) quand j’ai appris la nouvelle. On est posé dans un appart tranquille, on vit notre meilleure vie. Je suis sur Twitter et c’est moi qui ai vu l’info. Je n’arrivais même pas à parler, j’ai juste fait passer le téléphone et j’ai dit “les gars salam je rentre” et je suis rentré chez moi. Le lendemain, ma mère m’a appelé parce qu’elle avait appris la nouvelle pour savoir comment j’allais. Et en fait le fait que ma mère m’appelle pour demander si ça va alors que le poto je l’ai jamais vu de ma vie ? Je me suis dit “je ne peux plus faire semblant”, je me suis lâché, j’ai fondu en larmes. J’avais des rendez-vous ce jour-là, je suis arrivé en retard sous grandes lunettes, les yeux gonflés, un veuf (rires) ! En plus, je crois que c’était l’année de mes 24 ans comme le numéro. 

Kobe Bryant, c’est quelqu’un qui correspond très bien à l’image que je me fais de la détermination froide. C’est un peu à l’image de ce que tu véhicules dans ta musique. 

Oui, et il y a ce truc là aussi de ne pas avoir peur de passer pour le méchant pour la bonne cause chez lui, quelque chose dont je me suis inspiré. Kobe a longtemps eu une réputation de croqueur et de mec difficile à gérer. Il ne fallait pas l’énerver ! Tous les mecs qui te racontent quand ils ont joué contre lui, qui ont essayé de rentrer dans sa tête en l’insultant, en le bousculant ou quoi que ce soit… ils te disent qu’à la fin, ils ont regretté. 

Ils te regardaient alors que le match était loin d’être fini, il te lâchait “Tu as fait un bon match” avant de t’éteindre. 

Toi, tu as regardé cette interview de Iman Shumpert ! 

Mais oui (rires) ! Mais l’interview est flippante ! le mec pense bien défendre Kobe et au 4ème quart-temps, Kobe lui dit “tu as fait un bon match frérot” et après il le boit (rires). Et tu vois, des années plus tard il est encore désemparé. 

Pour plus rentrer dans ID, c’est plus profond que les autres projets. Et même au niveau de ton ambition, c’est plus deep parce que ce n’est pas juste dire que tu l’as, c’est aussi exprimer qu’elle est nécessaire. Il y a plusieurs phases comme “ne pas lever son cul c’est dangereux” ou “j’ai tellement faim que j’ai mal au ventre”. Pourquoi c’est vital cette détermination là ? 

C’est le contexte dans lequel je suis arrivé. On part de rien. Ça veut dire qu’il n’y a rien sans rien. Et encore, je te dis ça mais la vie est beaucoup moins injuste avec moi qu’avec certains. J’ai fait mon lot de conneries, j’ai aussi fait des choses bien qui ont payé derrière. Mais je connais des gens qui viennent du même endroit que moi et qui ont fait des choses bien toute leur vie, sauf qu’ils n’ont jamais eu leur chance. Et jusqu’à aujourd’hui, il n’y a rien qui avance pour eux. Donc je n’ai pas le droit de chill, je dois aller le plus loin possible. Je n’ai pas le droit d’être satisfait. 

Ne serait-ce que pour ceux qui n’ont pas cette chance là. 

Oui. Pour ceux qui n’ont pas eu cette chance là ou qui n’ont pas eu de modèle pour les inspirer. J’ai des potes qui m’ont vu toute ma vie. Ils m’ont vu ne rien foutre quand j’étais un branleur. Et puis quand j’ai commencé à me bouger, pour certains ça les a incités à faire pareil ! Parce que des fois, tu as envie de t’en sortir mais tu ne sais pas vraiment comment. Et en même temps, tu as beaucoup de trucs en tête. Il faut être là pour la famille, pour l’entourage, en même temps tu veux chill et tu n’as pas envie de trop te malmener parce que tu n’as pas envie de mal faire. Tu as peur d’échouer. C’est la mauvaise mentalité. A la fin, quand j’ai juste levé mon cul et que j’ai commencé à charbonner, c’est là que les choses ont commencé à se décanter pour moi, quand j’ai arrêté de me poser mille questions. 

Il y a un symbole de cette détermination là qui revient pas mal dans ta musique, c’est l’argent. Comment tu définis ton rapport à la réussite financière ?  

C’est une obligation. Je le vois comme ça depuis que je suis tout petit. Mon père a beaucoup joué au basket donc depuis tout petit, chez moi on a été élevé comme des carriéristes. Ça veut dire qu’il faut taffer plus que tout le monde si tu veux plus que la moyenne. Ça veut aussi dire que lorsque tu es issu de quartier et en plus métisse comme moi, tu dois fournir plus que tout le monde pour arriver à faire ta place parce qu’on ne te donne aucune place. Mais avec l’argent, la place tu l’as partout. 

Ici en France, il y a de la misère. Je l’ai compris en voyant la pauvreté, les traitements des policiers par rapport aux quartiers etc… Mais j’ai aussi de la famille afro-américaine. Et petit, j’ai vu la pauvreté en allant voir ma famille aux States, en Alabama. C’est des meurtres tous les jours et c’est la pauvreté qui tue. Dans ma famille proche, on est les seuls à porter mon nom de famille sans vivre aux US, loin de toute cette pauvreté là. Donc plus vite on fait de l’argent, plus vite on sort tout le monde de ce merdier. J’ai des petits cousins aux US à 13 ans ou à 15 ans, ils entrent dans des gangs, ils se font tirer dessus. Ils grandissent dans des conditions impossibles. Sans père, avec des frères qui tombent en prison… C’est des petits qui n’ont pas d’inspiration pour bien faire, il n’y a rien. Mes cousines aussi élèvent leurs enfants en gardant de la drogue pour d’autres mecs elles n’ont pas le choix. Donc oui pour nous les tals, c’est une obligation et c’est aussi la libération. 

Autre chose que le froid symbolise, c’est une forme de tristesse, de mélancolie. Et tu y vas à fond dans ce projet là, avec aussi beaucoup d’introspection. C’était important pour aller plus loin dans ta démarche artistique ou même pour toi en tant que personne ? 

D’un projet à l’autre, ma musique change parce que ma vie aussi. A la base, la vulnérabilité, il n’y en avait pas beaucoup dans FROIDCOMMEDEHORS ou 4X4. Il n’y en avait même presque pas du tout. C’est pour ID que c’est arrivé. En fait, ça part d’un truc, c’est la mort de mon cousin avec qui j’ai commencé la musique. Il est parti trois ou quatre mois après la sortie de FROIDCOMMEDEHORS, pile quand j’ai vu que ça commençait à bien se passer pour moi et que je me suis dit que la musique, c’était envisageable. Ça m’a mis un énorme coup derrière la tête et ça a bouleversé toute ma personne. Ça m’a rendu humble aussi. Je me suis dit “Ne fais pas la machine. Ne mens pas là maintenant. Tu es triste, tu es vulnérable, tu n’es plus en beast mode, intouchable dans ton armure. Là, ton armure s’est faite ouvrir en deux donc autant rester entier par rapport à ça”. Et donc sur ID j’ai juste assumé le fait d’être perdu, triste. J’ai assumé tout un tas de trucs que je n’aurais peut-être pas pu assumer il y a quelques années. A l’époque, je me serais dit “t’es une salope”

Mais la vérité, c’est qu’il n’y a pas de salope ou de quoi que ce soit, il fallait que je donne du sens à tout ça et juste en le mettant en musique déjà, ça m’a aidé à comprendre certaines choses, à retrouver un peu ma voie. Rien que le fait d’écrire, ça structure la pensée. Et ça m’a fait du bien de sortir ID et de voir qu’on me capte. Surtout ceux qui ont grandi comme moi, des gens de mon univers qui me disent “merci”. Parce que les sujets que j’ai abordés, c’est une vulnérabilité que j’ai moi-même eue du mal à assumer et je pense que je ne suis pas le seul. Mais je ne te mens pas, avant la sortie du projet, j’ai les chocottes quand je pense à des morceaux comme “MOI-MÊME” ou “YAMAHA INTERLUDE… Parce que je n’ai jamais poussé la mélodie aussi loin avant, je n’ai jamais autant donné dans l’émotion etc.  

Mais oui, un son comme “YAMAHA INTERLUDE” sur la forme, c’est presque une balade ! 

C’est ça ! Il y a des moments, je l’écoutais et je me disais  “Wesh frérot tu fais la chanteuse ?!” mais c’est l’ego qui parlait. Je me disais que “les gens ne m’écoutent pas pour ça” et finalement, le son fait le taff et ça rassure beaucoup, ça fait plaisir. Et puis en faisant ce genre de morceau, il y a un sentiment de liberté. Tu peux être toi-même. 

Sur ID tu parles beaucoup de l’avant, des galères que tu as traversé. Tu expliques que tu as dû t’endurcir pour y faire face. Et tu dis plusieurs fois que le Malo d’avant n’était pas comme ça et que c’est la vie qui t’a rendu plus dur. Il était comment l’ancien Malo ? 

Petit, j’étais très innocent. Mais la vie, mon père, l’endroit où j’ai grandi… Tout ça ne m’a pas trop donné droit à l’innocence. Donc je me suis construit une armure pour en garder un peu. Le vrai moi, c’est le Malo sous l’armure, celui que ma mère reconnaît. Quand cette armure est arrivée et qu’elle a pris énormément de place au collège, au lycée puis après, ma mère ne me reconnaissait presque plus. Je faisais toutes les conneries de mecs de la zone, je n’étais pas sur le bon chemin du tout. 

C’est la musique qui t’a aidé à sortir de ça au final ?  

Clairement. J’ai eu la chance d’avoir des potes qui m’ont conseillé, qui m’ont aidé. Et à un moment, tu n’as plus trop le choix. Pour moi, c’était soit trouver un travail, soit me focus dans la musique, soit rester à 100% dans la rue mais à ce moment-là, il faut être prêt parce que ça vient avec des peines de prisons et des embrouilles. Moi, j’avais réussi à faire mon chemin dans la street jusqu’au moment où justement, les vrais problèmes ont commencé à arriver. Des choses qui peuvent baiser ta life. J’ai des potes qui étaient dans ça aussi, à un niveau plus haut et qui m’ont dit et répété de rester concentré sur ce que je fais de mieux. Je crois que c’est le meilleur conseil qu’on m’ait donné.

Du coup, quand le covid est arrivé avec le confinement, je ne travaillais plus, je ne bicravais plus non plus. Et j’ai un pote qui m’a proposé de m’avancer de l’argent pendant un an pour que ça décolle pour moi dans la musique. Et ce truc, là ça me faisait peur. Parce que j’ai toujours eu des connaissances qui m’ont proposé ça “Je te paye tout, studio, clip…etc”, parce que ça les enjaille. Mais la musique, c’est mon truc à moi, c’est personnel. Je ne veux pas que les gens s’immiscent. Ce frérot là, je savais qu’il n’allait pas en faire trop, il m’a juste dit “si tu as besoin, tu m’appelles”. Je ne suis pas quelqu’un qui aime demander. Si je demande, c’est de façon raisonnable et c’est surtout qu’avant j’ai déjà fait 80% du travail. Il me fallait juste les 20%, le truc en plus pour finir. Et il m’a donné pile ce qu’il me fallait. Je faisais le maximum de prod avec son aide et le reste à la force des contacts. Il m’a prêté des fonds pendant un an et demi. Et une fois que ça a démarré pour moi, je lui ai tout remboursé d’un coup. Comme ça c’est mon truc, je ne suis plus dépendant. 

Tu parles pas mal de médication sur ID, c’est clairement une référence à la weed. Est-ce que c’est quelque chose qui te permet justement de méditer, de te retrouver avec toi-même ? 

En fait… oui. (rires) On ne va pas se mentir. Je ne fume pas du pilon de cité, mais je fume de la bonne beuh importée de Californie. Ce que je veux dire, c’est que la beuh que je fume est légale aux US, elle est même médicale. Ce sont des weeds avec des noms, qui ont des bienfaits classés par variétés. J’essaie de toujours fumer des beuh qui vont réduire l’anxiété, augmenter la créativité, améliorer le sommeil et apaiser la douleur. 

Ça m’aide vraiment à être au calme et c’est aussi un moment que je prends de rouler un joint, de me poser. Pour moi, c’est comme de la méditation. Je fais le vide dans ces moments-là, parce qu’il n’y a plus rien qui compte. Et puis j’en ai besoin aussi parce que ça me permet de gérer mon anxiété. Je suis quelqu’un de très anxieux, j’ai rongé mes ongles toute ma vie. Je sais qu’il faut que j’arrête mais je n’y arrive pas (rires). La beuh, c’est ce qui m’a aidé en premier sur l’anxiété et maintenant, j’ai aussi l’Islam. 

Il y a un morceau dans lequel tu parles justement de ta religion, c’est le dernier, l’outro “MOI MÊME” qui est un peu l’apothéose du projet dans le message que tu as voulu délivrer, dans l’introspection, dans le fait de casser l’armure… C’est vraiment le titre sur lequel je t’ai le plus entendu te livrer. Tu peux raconter le processus de création de ce morceau là ? 

Ça part d’une discussion avec mon frérot Benjay (beatmaker français). On parlait de nos objectifs de carrières, vraiment des goals. Je lui disais que l’un de mes objectifs, quelqu’un avec qui je voulais vraiment bosser ou avoir sur un projet, ce serait Tarik Azzouz, un producteur qui a fait des morceaux incroyables, trop de top titres que j’ai poncé ! C’est quelqu’un qui a travaillé avec de très gros noms du rap américain et que je trouve super fort. Quand j’en parle à Benjay, il me dit “Mais Tarik c’est le frérot !” et il me conseille de le follow et de lui envoyer un message sur Instagram, en m’assurant que ça va être tranquille.
Du coup bon, je le follow. Mais je le follow juste et je jette le téléphone (rires). Je me réveille le lendemain, je vois qu’il me suit. J’étais sûr que Benjay lui avait parlé entre-temps mais lui me jure que non ! Je lui envoie un premier message il me répond etc. A ce moment là, je ne te mens pas je suis un peu en mode fanboy. Je me demande comment je vais lui parler sans l’emmerder et puis en même temps, je veux lui montrer que c’est quelqu’un que je respecte beaucoup et avec qui je veux absolument travailler, mais sans non plus faire le fan. Donc je commence à parler avec lui, ça démarre avec des formes de politesse et puis rapidement, je vois qu’en fait, il est archi cool, bon délire. 
Du coup, je tente ma chance, je lui demande des instrus et je lui propose de passer en studio s’il veut. Il me répond en deux notes vocales qu’il est chaud pour m’envoyer un pack de prods. Quand je reçois le message, je pète un plomb devant mon téléphone. Je suis devenu fou. Dans ma tête, c’était “là, j’ai des prods de Tarik Azzouz, il faut que je sois Ronaldinho, il faut que je sois… Tout ce qui se fait de mieux !” 
Il se trouve que la prod de “MOI-MÊME” était dans le pack qu’il m’a envoyé et je flash dessus tout de suite. Et tu sais, c’était une prod un peu Rick Ross sur les bords, une prod sur laquelle il faut délivrer, dire les choses. Donc je me dis “Ah il faut parler ? On va parler”
Donc j’écris ce texte, je fais le morceau etc. Mais comme je m’ouvre par rapport à ma conversion et à toutes ces choses personnelles, la réaction de Tarik par rapport au son était super importante pour moi dans le sens où si je faisais quelque chose de maladroit en tant que musulman, il saurait me le dire directement. 
Je lui envoie le son, il kiffe direct. Je me dis “Wesh la dinguerie !”. Carrément, je n’y croyais pas, je psychotais (rires). Je me disais “si ça se trouve, il n’a pas kiffé mais juste il ne veut pas me dire et il s’en fout”. Et le temps passe et il me relance ! Il me dit des trucs du style “le son il est trop chaud ça sort quand ?!”, c’est là que j’ai compris. Et c’est vraiment grâce à Tarik que j’ai pu réussir ce morceau. Parce que personne d’autre ne m’aurait envoyé ce genre de prod. Le fait que ce soit l’un des plus grands en France et de poser sur l’une de ses prods, c’est incroyable. Il faut voir son catalogue aux States ! Tu vois un Murda Beatz, top beatmaker US par exemple, je le trouve trop chaud, il a fait des instrus de fou mais le catalogue de Tarik Azzouz ?! Rick Ross, Meek Mill, DJ Khaled… Tarik, il a fait un feat Meek Mill – JAY Z. Il a fait un John Legend – Nipsey Hussle. Il y a toujours de l’âme dans ses prods, ce truc en plus. Tu sens que le mec est vraiment un musicien. 

Il y a deux invités sur ton projet, Zamdane et Khali. Comme toi, ils symbolisent cette nouvelle génération de rappeurs qu’on appelle la new wave ou la next gen. Et tous les rappeurs qu’on associe à ce mouvement, j’ai l’impression qu’ils s’entendent très bien entre eux. D’où vient cette bienveillance que vous avez entre vous ?

Je pense qu’on a vu ce que la compétition a fait au rap quand on était plus jeune et je crois aussi que le rap ne demande plus les mêmes choses des rappeurs aujourd’hui, par rapport à l’époque. Quand j’étais petit, pour être rappeur, il fallait être un dur, savoir se battre, être méchant, intimidant. Aujourd’hui, avoir un message positif c’est important et j’ai l’impression que ce qui constitue ce que les gens appellent la new wave, c’est qu’il y a un fond de message positif dans notre musique. Du coup, ce serait bizarre d’être en compétition malsaine entre nous alors que, visiblement, on est tous des bons gars. Et quand on se croise, ça se ressent ! C’est toujours dans le respect, la bonne humeur, personne ne fait l’ancien, personne ne fait le dur. 

Il y a quelque chose qui me frappe aussi avec cette génération, c’est que vous faites chacun votre musique et elle peut être assez différente d’un artiste à un autre alors qu’on vous associe au même courant. 

Moi non plus je ne comprends pas. Parce que j’ai déjà vu des gens dire qu’on faisait un peu tous la même musique, ce que je trouve hyper faux. Je pense que c’est juste une question de moment, on a de l’exposition tous en même temps. Et puis c’est entre guillemets de la “musique de gentil” donc on nous range dans la même catégorie, on nous visualise comme ça. Si je devais faire des comparaisons, ce serait un peu comme une flotte, on n’est pas tous sur un même bateau mais tu vois un ensemble qui avance dans une direction similaire. Chacun va quand même explorer son chemin et chercher son idéal à lui. Que ce soit Zamdane, Khali, La Fève ou même moi. Et on se soutient, on s’envoie de la force parce qu’on sait ce que ça implique pour chacun. 

A quoi doit-on s’attendre pour tes prochaines sorties ? Un premier album ?

Il y aura de la musique bientôt, mais l’album…. Pas encore. C’est un step, c’est un big step un premier album. Pour moi, tu sors un album uniquement si tu es une star. Parce qu’on attend d’un album plus de choses, de profondeur même en termes de recherche ou de prise de risque. Tant que je ne m’estime pas à ce niveau là, il n’y aura pas d’album. En attendant, l’objectif c’est de sortir des tapes mais avec des qualités d’album, essayer de continuer d’avoir une proposition singulière, forte, qui se démarque de ce qui se fait au niveau mainstream. Là où certains vont tourner autour d’une formule qui marche, mon objectif à moi c’est de toujours changer de formule d’un projet à l’autre, apporter de nouvelles choses, une plus-value qu’il n’y avait pas sur le projet précédent. ID je l’ai approché comme ça. Comme si c’était un album. Mais je ne suis pas encore prêt. 

Dans quelle mesure tu penses avoir passé une étape avec ID

ID m’a libéré d’un bon poids quand même. Ce projet, c’est un peu comme une bonne première saison d’un rookie en NBA. Tu prouves que tu peux jouer avec les grands. Maintenant, il faut confirmer.