Coco Gauff est déjà le futur du tennis

Samedi 9 septembre, sur le podium du court Arthur Ashe, Coco Gauff sourit. À 19 ans, elle vient de remporter l’US Open contre Aryna Sabalenka, chez elle, devant ses parents, Kevin Durant, Spike Lee et les 28,139 autres spectateurs de la plus grande enceinte de tennis au monde.

Dans une atmosphère acquise à sa cause, l’Américaine a épuisé la numéro 1 mondiale, trouvant toutes les réponses nécessaires jusqu’à la faire complètement déjouer. Sur le court central de Flushing Meadows, le chronomètre vert Rolex affiche 2 h 06 de jeu. À 40-0 dans le dernier jeu du troisième set, Coco Gauff respire lentement alors que s’épuise la clameur éphémère qui suit chacun de ses points gagnés. La native d’Atlanta sert à 156 km/h, installe l’échange, attire la Biélorusse au filet et délivre la ferveur new-yorkaise d’un revers long de ligne.

À 18 h 26, elle lâche sa raquette, pose ses mains sur son visage et s’écroule. Coco Gauff vient de remporter un Grand Chelem.

Prodige annoncée

Si Coco Gauff donne l’impression qu’elle y est “enfin” arrivée, c’est avant tout car rarement, une joueuse de tennis n’a autant été attendue. Ces 20 dernières années, seuls les sacres des sœurs Williams ont alimenté le succès du tennis américain.

Au crépuscule de la plus belle carrière du tennis féminin moderne, tout un pays désespère de trouver l’héritière du règne de la reine Serena. Personne, jusqu’au titre de Sloane Stephens à l’US Open 2017, ne semble pouvoir atteindre ce statut. En 2018, Naomi Osaka prive Williams du record de tournoi du Grand Chelem (24), détenu par Margaret Court depuis 1973. Dramatique, la finale pendant laquelle Williams craque émotionnellement sonne comme un passage de témoin. Comme Serena, Naomi Osaka a grandi avec une grande sœur tenniswoman. Comme Serena, elle est entrainée par son père. Pourtant, Naomi Osaka montre rapidement qu’elle est une joueuse unique. Après quatre Grand Chelem, une ouverture candide sur sa vulnérabilité, l’importance de sa santé mentale, Naomi Osaka a mis le tennis entre parenthèse pour accueillir son premier enfant.

Dans le tennis aussi, la nature a horreur du vide. Devenue professionnelle à 14 ans, Cori Gauff, qui préfère qu’on l’appelle par son surnom, “Coco”, apparaît comme un ovni dans le monde du tennis.

En 2019, elle bat Venus Williams à Wimbledon, et peine à retenir ses larmes au moment de saluer son idole. À seulement 15 ans, elle atteint le quatrième tour du All England Club et nourrit les fantasmes d’un tennis qui cherche toujours sa nouvelle star.

Coco Gauff, après sa victoire contre Venus Williams lors du tournoi de Wimbledon, le 1er juillet 2019 (Photo : Tim Ireland / Associated Press)

La légende du tennis féminin Chris Evert lui prédit un titre du Grand Chelem, John McEnroe assure qu’elle sera un jour n°1 mondiale.

La méthode Gauff

Auréolée d’une notoriété exponentielle, Gauff incarne le pari tennis de New Balance et signe, comme Roger Federer, des partenariats avec Barilla et Rolex. La “Cocomania” de son aventure britannique anime inéluctablement les comparaisons avec Serena Williams, qu’elle décrit elle-même comme “la raison pour laquelle elle joue au tennis”.

Si les deux joueuses ne se sont jamais affrontées, elles n’en cultivent pas moins de nombreuses similarités. À l’image de Williams et d’Osaka, Gauff est aussi entraînée par son père, Corey. À Delray Beach, ville en bord de mer séparée d’un peu plus d’une heure de Miami, les parents de Coco l’éduquent avec le sport. Corey est un ancien basketteur à l’Université d’État de Géorgie, et sa mère, Candi, faisait de l’heptathlon à l’Université d’État de Floride.

Corey et Candi Gauff (Photo : The Times)

À six ans, elle se tournera vers le tennis. Corey devient son coach à plein temps et Candi assurera son école à la maison. La méthode, popularisée par Richard Williams, devient familière.

“Je pense que toute l’histoire des sœurs Williams, celle de M. Williams, et tout ce qu’il a fait pour elles, a inspiré mon père à continuer à m’entraîner et à m’aider, même s’il n’avait pas vraiment d’expérience dans le tennis”, raconte Gauff. “Mais il s’est dit : ‘Si M. Williams peut le faire, alors je peux le faire’.”

L’admiration entre la famille Gauff et la famille Williams est réciproque. Après sa victoire contre Venus à Wimbledon, Serena Williams exprime publiquement son affection pour les Gauff : “J’aime vraiment Coco et sa famille. Ils sont adorables, et son père est un homme bien.”

La méthode Gauff suit celle des Williams jusqu’au choix de ses entraineurs. Désormais plus mature, Coco part, comme Serena, s’entrainer au sein de la prestigieuse académie de tennis de Patrick Mouratoglou. Elle aussi devient un phénomène de précocité.

Pourtant, autant que pour Naomi Osaka, les comparaisons avec Serena Williams ne servent qu’à alimenter le fantasme médiatique qui cherche désespérément le diadoque au règne de la plus grande joueuse de l’histoire du tennis féminin.

Au micro d’ESPN après sa victoire en demi-finale de l’US Open, Coco Gauff n’alimente pas l’obsession autour de sa comparaison avec Serena Williams : “Serena, c’est Serena. Elle est la plus grande de l’histoire. J’espère arriver à faire la moitié de ce qu’elle a accompli. Je ne veux pas me comparer à elle. Le seul regret que j’ai est de ne jamais avoir pu l’affronter.” En effet, Coco Gauff est une joueuse singulière.

Appelez-la “Coco”

“Je suis juste une fille qui joue au tennis.” Dans son portrait publié en 2022 pour le magazine du New York Times, Susan Dominus raconte la réponse de Gauff lorsque son agent lui demande d’être plus précautionneuse sur le contenu qu’elle poste sur son compte TikTok (@cocogauff), qui doit mieux représenter le statut de tenniswoman professionnelle. “Ce n’est juste pas qui je suis.”

Si son compte Instagram rassemble son palmarès qui augmente aussi vite que les semaines ne passent, entre deux publicités Bose ou Barilla, Coco se révèle sur TikTok. Face caméra, elle s’y déguise en Spider-Man, déclare son amour pour Paris, où elle y pilotait des trottinettes avant leur mort annoncée, et prédit le premier son de Rihanna lors de son concert au Super Bowl. Malgré ses 8 millions de dollars de gains en compétition, Gauff reste une adolescente qui vit chez ses parents et aime les plaisirs simples comme le cinéma, les jeux d’arcades et le bowling.

Hors du court, Coco Gauff raconte aussi ce qu’est la vie d’une jeune femme aux États-Unis. À seulement 16 ans, elle s’installe devant l’Hôtel de Ville de Delray Beach et prononce un discours engagé en soutien au mouvement Black Lives Matter. “C’est si triste de me retrouver devant vous et dénoncer ce que ma grand-mère dénonçait aussi il y a 50 ans”, commence-t-elle. “Oui, nous sommes tous ici en train de manifester, et je n’ai pas l’âge de voter, et c’est entre vos mains de voter pour mon avenir, l’avenir de mon frère et pour votre avenir”, a déclaré Gauff. “C’est donc une façon de faire changer les choses.”

Dans un long entretien accordé à L’Équipe Magazine, Gauff raconte “cette journée éprouvante”, “dont elle n’a pas nécessairement envie de se rappeler” : “Je me souviens avoir dû convaincre mes parents de me laisser aller au rassemblement, ils n’en avaient pas franchement envie. À ce moment-là, aucun joueur de tennis n’avait pris position sur le sujet, j’étais la première, mais je tenais vraiment à m’y rendre”, explique-t-elle.

“À cette époque, je devais avoir 500 000 followers donc je me disais que si mon message atteignait ne serait-ce qu’un quart d’entre eux, c’était déjà beau. Je n’étais pas supposée prendre la parole, les organisateurs m’ont vue et m’ont demandé de venir à la tribune. Je n’avais donc rien préparé, tout ce que j’ai dit est sorti spontanément. J’étais très stressée à cette période, les incidents se succédaient et, en tant que jeune Américaine noire, j’ai connu des incidents dont je ne parle pas…”

Au combat pour la justice sociale dans son pays s’ajoute une lutte personnelle pour accentuer la lumière mise sur la santé mentale des athlètes de haut niveau. Une nouvelle fois, le discours de Coco Gauff est limpide : “J’ai vu d’autres athlètes dire la même chose. Et parce que les gens trouvent notre travail difficile, ils pensent que nous devrions être en mesure de nous adapter à cette vie, et de faire face à cette vie – qu’on est invincible”, explique-t-elle. “Et à cause des capacités physiques que les athlètes ont, ils pensent que cela s’applique au mental. Et les athlètes doivent être mentalement forts lorsqu’ils sont sur le terrain. Mais je suis capable de jouer au tennis parce que c’est juste ce que j’ai fait toute ma vie. Mais il y a certaines choses dans la vie réelle qui me rendent un peu anxieuse. Et je ne pense pas que les deux se recoupent du tout.”

Nouvelle membre du top 3 mondiale depuis son sacre new-yorkais, Coco Gauff cultive naturellement une personnalité accessible, qui répond à ses fans, à qui on peut plus facilement s’identifier.

Nouveau visage du tennis mondial

La fin du mythique “Big 3”, qui vit le départ de Roger Federer, le déclin de Rafael Nadal et patiente pour voir Novak Djokovic montrer un signe de faiblesse, plonge le tennis dans une nouvelle ère où seul Carlos Alcaraz semble s’imposer comme une future star transcendant son sport. Coco Gauff est de cette carrure-là.

Sacrée pour ce qui est déjà sa 17ème participation à un tournoi du Grand Chelem, Coco Gauff est la seule tenniswoman du top 20 ayant moins de 20 ans. De quoi annoncer un avenir radieux.

Pourtant, dans le tennis féminin, la précocité n’est pas un gage de sûreté. Avant elle, Bianca Andreescu (sacrée à l’US Open 2019 à 19 ans) et Emma Raducanu (sacrée à l’US Open 2021 à 18 ans) ont nourri les espoirs de voir une nouvelle domination perdurer dans le sport, tout en peinant à confirmer l’exploit réalisé. Depuis son titre à Flushing Meadows, Emma Raducanu a été éliminée avant le troisième tour de tous les tournois du Grand Chelem auxquels elle a participé.

En couverture des magazines les plus célèbres depuis son adolescence, Coco Gauff sait qu’il sera difficile de se défaire de l’ombre Serena, et que les attentes sont gigantesques. Gauff connaît aussi très bien le scepticisme qui accompagne son ascension. Trophée en main, c’est à tous ceux qui doutent de son succès qu’elle a adressé ses remerciements : “Merci à tous ceux qui n’ont jamais cru en moi. Il y a un mois, j’ai gagné un tournoi WTA 500, et les gens disaient que je n’irai pas plus haut. Il y a deux semaines, j’ai remporté un Masters 1000 et ils affirmaient que c’est tout ce que j’arriverai à remporter. Aujourd’hui, je suis ici, maintenant, avec ce trophée [de l’US Open]. À tous ceux qui pensent que vous versiez de l’eau à mon feu, vous n’avez fait que rajouter de l’essence.”

Déchargée du poids d’un sacre dans l’un des quatre tournois les plus prestigieux du tennis, Coco Gauff ajoute la légitimité à une personnalité qui manquait au tennis féminin. Contrastant avec la froideur dégagée par les joueuses de l’Europe de l’Est, à l’image d’Iga Swiatek, Aryna Sabalenka ou Marketa Vondrousova, Gauff incarne avec candeur la nouvelle génération d’un tennis plus chaleureux.

Samedi soir, alors qu’aucun siège ne s’est vidé la voir recevoir son trophée, Gauff révolutionne les discours fades et laconiques des vainqueurs de Grand Chelem. Attendue sur le podium pour l’officialisation de son sacre le plus important, elle conclut abruptement un FaceTime familial d’un “je dois y aller”, accompagné d’un éclat de rire nerveux.

Coco Gauff, lors de son sacre à l’US Open (Photo : US Open)

Après avoir reçu son chèque de 3 millions d’euros, elle remercie dans un trait d’humour la légende Billie Jean King, présente à ses côtés, de s’être battue pour l’égalité des revenus entre les hommes et les femmes. Devant ses parents émus aux larmes et les 28 000 spectateurs présents autour d’elle, Coco se paye son père Corey : “Merci à mes parents ! Aujourd’hui, c’est la première fois que je vois mon père pleurer. Il ne veut pas que je vous raconte ça, mais il vient de se faire attraper en 4K !”Comme l’indiquait le t-shirt que son équipementier s’est empressé de lui faire porter après son titre, Coco Gauff est une championne. Plus qu’une championne, elle est une bénédiction pour le tennis.