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L’esthétique paparazzi : quand la mode s’approprie les clichés volés

3 octobre 2023. A$AP Rocky souffle sa 35ᵉ bougie. Pour l’occasion, direction le Carbone, restaurant italien prisé de toutes les stars américaines. Il n’en fallait pas plus aux paparazzis new-yorkais pour dégainer leurs appareils et mitrailler le rappeur en compagnie de sa bien-aimée. Ensemble, Rihanna et A$AP Rocky flânent dans les rues de la Big Apple avec leur aisance habituelle et complémentarité évidente.

Moins d’un mois plus tard, TMZ dévoile une vidéo dans laquelle le Fashion Killa se fait alpaguer par une paparazzi en plein jogging. Celle-ci va jusqu’à courir avec lui pour obtenir quelques croustillantes informations. Et finalement, voilà que Bottega Veneta offre à ces “clichés volés” une seconde vie. Aux côtés d’A$AP Rocky, c’est Kendall Jenner qui prête ses traits à la griffe italienne pour une opération marketing réussie visant à présenter la collection Printemps/Été 2024. Une référence clairement assumée à la culture paparazzi que d’autres avant elle se sont emparées.

Cette esthétique des “photos volées” a fait une percée fracassante dans le monde de la mode. Parmi les campagnes les plus notables, on peut citer la campagne Yeezy en 2018 qui mettait en scène la mythique Paris Hilton transformée en son amie Kim Kardashian, à Balenciaga au printemps de la même année, en passant par Skims, et plus récemment Avavav… L’exploitation de cette esthétique est croissante.

D’ailleurs, l’emballement autour de la démarche du photographe street-style Johnny Cirillo, à l’origine du compte instagram @watchingnewyork en est une preuve évidente. Surnommé le “paparazzi du peuple”, le photographe américain immortalise la coolitude des new-yorkais en capturant leurs looks depuis 2016. C’est dans cette même lignée que Bottega Veneta s’inscrit avec sa dernière campagne. La griffe italienne a puisé ses inspirations dans les codes visuels des chasseurs de scoops qui entretiennent des relations tumultueuses avec les célébrités depuis la fin des années 1960.

Faire sensation

Ce choix de se réapproprier les codes de la publicité dans le luxe est audacieux. Il est aussi symptomatique d’une époque où les marques doivent se distinguer pour espérer exister digitalement. L’attrait croissant des griffes pour cette esthétique est loin d’être un hasard. Dans une ère où l’économie de l’attention domine et est de plus en plus compétitive, il faut faire sensation. Adopter ces codes est un moyen pour les marques de faire parler d’elles. Voire, de moderniser leur image. Dans cette culture de l’instantané et du scroll compulsif où les tendances apparaissent aussi vite qu’elles disparaissent, cette revisite des paparazzades permet de jouer sur la frontière entre l’authenticité et la mise en scène.

Cette fausse spontanéité est caractéristique d’une époque où chacun met en avant ce qu’il veut bien montrer sur les réseaux sociaux et donne l’illusion d’une réalité. En jouant sur la dimension intime de photos prises sur le fait, les marques font le choix de s’adresser directement aux consommateurs. Elles façonnent une expérience plus décontractée, en opposition à la rigidité habituelle des shootings de mode.

La rupture avec des images traditionnellement lisses offre une possibilité de découvrir une pseudo-face cachée des célébrités, créant un sentiment de proximité. Une stratégie plus que pertinente puisque les images capturées par les paparazzis ont la particularité de lancer des tendances, comme les looks “street-style” des stars qui sont scrutées en long et en large par des fans et souvent adoptés par la masse.

La fine frontière entre l’intime et le public

L’esthétique paparazzi renvoie à des séquences emblématiques de la pop culture. Surtout, les années 1990 et 2000 ont été cruciales pour la presse people. Le shooting Gucci mettant en scène Kendall Jenner et Bad Bunny est d’ailleurs un hommage direct à l’emblématique couple Beckham qui déambulait dans un aéroport, tout de Gucci et Louis Vuitton vêtus. Ces images du couple légendaire ont inondé les réseaux sociaux ces dernières semaines dans l’engouement qu’a suscité la sortie de la docu-série Netflix consacré au footballeur.

Au début du siècle, l’empiètement continu sur la vie privée des stars a notamment conduit Britney Spears à se raser la tête en 2007. Ce craquage sous les flashs incessants des photographes après des années de matraquage médiatique est désormais un évènement marquant de la Y2K era. Avant cela, ce sont bien les paparazzis qui ont été accusés d’avoir provoqué l’accident ayant coûté la mort à Lady Diana sous le pont de l’Alma à Paris dans la nuit du 30 au 31 août 1997.

Indéniablement, les paparazzis ont joué un rôle important dans l’altération de la relation entre certaines stars et leurs fans, créant une frontière poreuse entre sphère publique et privée en modifiant totalement la façon dont le public consommait l’information. Les années 2000 sont synonymes de mode audacieuse et provocante. Les stars de l’époque, parmi lesquelles les iconiques Lindsay Lohan, Nicole Richie ou encore Paris Hilton, étaient traquées sans relâche. Cette dernière avait par ailleurs pris l’habitude de sortir avec une écharpe innovante “anti-paparazzi” autour du cou de la marque londonienne Ishu, permettant de devenir invisible sous les flashs des photographes.

C’est précisément l’immersion que cette culture des tabloïds nourrie par des paparazzis à l’affût des moindres faits et gestes et détails intimes sur la vie quotidienne des stars que Bottega Veneta, comme les autres marques avant elle, a choisi de remettre sur le devant de la scène. Les “photos volées” plus que soignées, entre mode et publicité, explorent les notions d’intimité, surfent sur la démystification des célébrités et évoquent une nostalgie dans l’ère du temps.

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