La musique est un monde impitoyable. Terrain où les artistes sont confrontés aux attentes de leurs fans intransigeants, les transformations sont accueillies avec des réactions parfois hostiles. C’est ce à quoi Doja Cat a dû faire face durant l’année écoulée. La chanteuse-rappeuse-trolleuse qui prépare sa tournée européenne, et dont l’année a été rythmée par un explosif mélange de succès commerciaux et polémiques, fascine autant qu’elle déstabilise. Retour sur l’année tumultueuse d’une artiste sans compromis.
Propulsée au-devant de l’arène médiatique, toutes ses actions sont scrutées. De ses visuels sulfureux qui lui attirent les foudres d’un public réticent, l’affublant d’accusations de satanisme à sa relation très critiquée avec le streamer Twitch J. Cyrus (accusé d’avoir abusé émotionnellement de membres de son équipe et de son audience) en passant par son présumé soutien au comédien d’extrême-droite Sam Hyde… Les faux-pas s’enchainent. Et le public, lui, se déchaine.
Face à l’indignation générale, Doja crée la confusion et s’en amuse. Son YouTube Poop dévoilé dernièrement atteste de son goût pour la satire et le détournement. Elle rebondit sur les controverses et les parodies. Ce qui a le don d’agacer son public. Celle qui a la certitude de ne rien devoir à personne distord son image et se réapproprie les conventions médiatiques. Une façon de se libérer du poids de la starification, bien trop lourd à porter sur son dos recouvert d’un tatouage représentant un squelette de chauve-souris, symbole de la mort. Pour une artiste en pleine renaissance, rien n’est laissé au hasard.
Passage à l’offensive
Coincée entre célébrité et refus catégorique d’être admirée, Doja est un personnage complexe. Fermement décidée à rejeter les idéaux que certains fans déconcertés projettent sur elle, elle n’hésite pas à aller à la confrontation. Quand elle exprime dans un tweet qu’elle n’aime pas son public, surtout, qu’elle ne veut pas se conformer à leurs expectatives, les réseaux sociaux s’enflamment. Ses lives Instagram sont lieux de frictions. Dans la cacophonie d’une fanbase fissurée, c’est le concert des frustrations. D’un côté, ses fans déçus, attachés à son ancienne image. De l’autre, l’artiste en pleine mutation, qui ne demande qu’à être acceptée telle qu’elle est, non sans maladresse. Doja Cat s’est transformée en créature incomprise, repoussée par ceux-là mêmes qui la chérissait autrefois.
Ce sont près d’un million de followers qui ont quitté le navire quand elle est allée au front contre ses fans qui se surnomment “The kittenz”, en référence au nom de scène de l’artiste. “Mes fans ne se donnent pas des surnoms de merde” leur a-t-elle balancé froidement. Des mots virulents, assurément à la hauteur de la pression dont les artistes sont victimes, une fois pris dans l’engrenage de cette stan culture qui les érige au rang de “Queen” et autre “Mother”. Ils dictent un certain nombre d’injonctions qui pèsent majoritairement sur des femmes, souvent mises en compétition. La contrainte à maintenir une image lustrée est étouffante. Pour ne pas flancher, Doja Cat s’arme. Celle qui a expliqué ne pas vouloir afficher ses failles à son public de peur qu’elles ne soient utilisées pour lui nuire, s’est construite une solide carapace. Rien ne l’atteint, en apparence.
Cette rupture avec une partie de ses fans aurait pu impacter drastiquement sa carrière. Mais rien ne résiste à la torrentielle Doja. Cette année a marqué un record dans sa carrière. L’entêtant “Paint the town red” est la première chanson solo d’une rappeuse à figurer en tête du Top 50 mondial et américain de Spotify. L’artiste audacieuse séduit toujours.
Scarlet, fil rouge écarlate
Doja Cat s’est illustrée cette année par sa capacité à moduler son art. Elle a marqué une nouvelle phase de sa carrière avec son quatrième album, “Scarlet” sorti en septembre 2023. Reflet d’une génération qui se déconstruit et se reconstruit, Doja a fait de “Scarlet” l’incarnation de sa métamorphose artistique. Quoi de plus évident pour une passionnée que de nommer son alter-ego d’une nuance de rouge vif ? Le personnage de Scarlet, nu et couvert de sang, est aussi effrayant que vulnérable. Catalyseuse d’une créativité débordante et libératrice, elle a fait le choix radical de s’émanciper d’une partie de son audience au profit de la valorisation de sa vision artistique.
Carrière à la trajectoire ascendante, querelles légitimes autour de sa personne… L’année de Doja Cat renvoie à des dilemmes contemporains. Révélatrice des paradoxes d’une époque où les adeptes s’interrogent sur l’art, débattent, invectivent, appellent au cancel, tout en continuant de consommer.
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