De Slim Kunta au Grand Maigre, au fil des personnages qu’il s’est créé sur ses précédents projets, Slimka a toujours suivi son instinct plutôt que la norme. Flows déroutants, prods détonantes, ad-libs ou arrangements complètement décalés… C’est ce rap imprévisible mais unique dans lequel Slimka a mis toute son énergie. Une énergie que le rappeur magnifie, décuple en concert, à l’image d’une scène de rap suisse dont les shows retournent toutes les salles.
Aujourd’hui considéré comme l’un des piliers du rap suisse après 9 ans de carrière, Slimka veut encore passer la vitesse supérieure : ne plus être cantonné au statut de rappeur de scène et contribuer à ce qu’on mette enfin le rap suisse à la place qu’il mérite. Avec “le Grand Mystico”, à l’heure où le rap de niche arrive lui aussi à générer une économie, le Genevois a choisi d’être encore plus radical, plus personnel dans sa proposition plutôt que de lisser sa musique. Et si l’énergie de Slimka n’a jamais faibli, c’est peut-être sur cet album qu’il la maîtrise le mieux. Son nouveau personnage le Grand Mystico nous emmène dans l’univers du cirque, un lieu excentrique et spectaculaire… comme l’est le rap de Slimka.
Ta direction artistique est très axée autour du cirque sur ce nouvel album, pourquoi tu as choisi ce thème là, qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Ça vient de mon enfance. Quand j’étais petit, j’allais beaucoup au cirque et je trouvais cet endroit intriguant donc j’ai voulu y plonger. J’ai trouvé ça intéressant de partir d’un endroit que je kiffais petit et puis de développer ça dans un univers pour un projet personnel. Et puis les personnages du cirque… J’arrive bien à voir ma connexion entre eux et mon univers. Au final, je trouve qu’elle est logique parce que tu ressens que ma personnalité va bien avec la folie du cirque et ce côté fanfare qu’il peut avoir.
Ce côté cirque, on le retrouve aussi dans la direction artistique de l’album qui est très forte également, notamment la pochette. Comment tu as réfléchi cette cover ?
La référence principale que j’avais, ma première inspiration, c’était une pochette un peu comme Dangerous de Michael Jackson, donc une cover avec beaucoup d’éléments. J’ai aussi eu en tête un tableau de Salvador Dalí que ma grand-mère avait, quand j’étais petit. Je suis parti de ça et j’ai mélangé le tout avec des éléphants, le château volant… Il faut savoir qu’il y a aussi des références de Harry Potter et de ce genre de films liés à mon enfance. Harry Potter je l’ai vraiment saigné petit, le Seigneur des Anneaux aussi… En fait, je suis fan de tout ce qui est fantastique, magique.
Tu te dis fan de fantastique et de magie, il y a de ça finalement dans le cirque.
Oui et c’est aussi spécial parce que c’est à la fois triste et joyeux, il y a ce côté un peu plus sombre et l’autre plus ensoleillé. Il y a des dualités dans le cirque.
Il y a d’autres albums qui ont pu t’inspirer dans cette direction là, celle du cirque ?
Pas vraiment autour du cirque. Après, évidemment il y a Astroworld qui emprunte au cirque même s’il y a plein d’autres choses. Plus largement, Travis Scott est une source d’inspiration pour beaucoup de monde, je pense. Personnellement, il m’a inspiré sur plein de choses mais surtout de l’ouverture d’esprit. Ici aussi dans la francophonie, il y a des artistes super motivants. Un mec comme Laylow, par exemple, a ouvert beaucoup de portes et d’horizons au rap. Il n’est pas dans un délire de cirque mais il a son univers. Et au-delà du cirque, c’est mon univers à moi que je voulais amener, quelque chose de complet. Je ne voulais pas proposer un projet sur lequel il y a juste des sons où je suis en mode street et je fais mes trucs comme d’habitude. Je voulais pousser un peu ma proposition.
Tu as toujours dégagé beaucoup d’énergie. J’ai l’impression que c’est sur cet album que tu as le mieux réussi à maîtriser cette énergie sans la réprimer, à pousser ta proposition justement. On a vraiment l’impression d’entrer dans un univers en écoutant Le Grand Mystico. Il y a eu un déclic par rapport à ça ?
Le déclic, c’est juste quand j’ai commencé à produire, à m’enregistrer et à faire tous mes arrangements seul. Sur l’intégralité de l’album je suis présent à 85% sur tout ce qui est hors interprétation. Après il y a les arrangeurs, les feats.. mais toute la DA de A à Z, c’est Monsieur Lacroix et moi. La différence majeure avec les précédents projets, c’est surtout que je suis vraiment concerné sur tous les aspects de l’album. C’est très différent de la façon dont j’ai pu travailler avant. D’ailleurs, tu l’as écouté et tu arrives à le ressentir, c’est l’objectif. Ça veut dire que je suis dans le juste. Et à l’avenir, je pense de plus en plus être dans cette mentalité, faire mes propres prods, mes arrangements… Je n’ai plus le temps d’attendre des gens pour m’enregistrer ou autre. Je sais le faire moi-même donc autant le faire.
Quand est-ce que tu t’es dit que tu allais faire tes propres enregistrements, tes propres arrangements ?
En vrai, j’ai toujours eu ce truc : je n’aime pas attendre des autres. Pendant le covid, en allant au studio de Colors (son label) où je m’enregistre depuis toujours, j’ai commencé à travailler moi-même, à m’enregistrer seul etc. Et je me suis rendu compte que je savais le faire. Donc pourquoi demander à quelqu’un alors que je peux le faire et qu’au final soit il ne va pas capter ma vision, soit je ne vais pas réussir à lui expliquer clairement ce que je veux ? Après, c’est vraiment à partir du projet QUI A VOLÉ LE SOLEIL avec Mairo que je me suis mis dans cette mentale. Parce que dans ce projet là j’ai vraiment fait pas mal d’arrangements.
C’était comme une espèce de test ?
Hmmm… Ce n’était pas vraiment un test parce que je m’enregistrais déjà depuis longtemps. C’est plutôt venu confirmer mon taff. Sur le projet, j’ai pu prendre des risques sur certains morceaux et je me suis rendu compte que les gens kiffaient en plus ! Ça m’a poussé à me faire encore plus confiance, à me dire “en fait, c’est mieux que je m’écoute tout le temps.” Ça ne veut pas dire que je n’écoute pas les autres mais je privilégie mon instinct.
Je t’ai déjà beaucoup entendu parler de “vitesse”, une autre notion importante pour toi. Paradoxalement, j’ai l’impression que tu as réduit un peu ta vitesse sur Le Grand Mystico. Est-ce que se poser aussi ça ne t’a pas aidé à concentrer ta vision ?
Oui bien sûr. En fait, maintenant je gère ma vitesse. Il ne faut pas aller trop vite. Quand tu veux aller trop vite, quand tu veux être partout à droite à gauche, tu te brûles les ailes. Tu vois les mecs qui pètent en trois mois ? 3 ans après, ils ne sont plus là pour la plupart. Avant je pensais comme ça, à aller vite. Mais en fait je suis dans ce marathon. Je dois gérer ma vitesse, j’étais dans une accélération, j’ai ralenti un peu et j’accélère à nouveau. La clé c’est de maîtriser son rythme, les hauts et les bas.
Tu as toujours utilisé beaucoup de personnages dans ta musique. Il y a eu Slim Kunta, le grand Maigre, Diego… Là, c’est le Grand Mystico. Qu’est-ce qu’il a de particulier ce personnage-ci ?
C’est une version plus aboutie, plus poussée de moi et de mes alter ego. Ça sonne grandiose aussi, en mode “bienvenue au spectacle”. Je voulais amener l’univers comme ça. Et puis ça m’amuse aussi de me trouver des noms et des personnages. Pour celui-ci, ce qui me plaît aussi c’est la notion de “mystique”. Je trouve que c’est un mot qui me correspond bien. J’ai toujours été dans ma vibe, dans mon univers un peu bizarre à tester plein de choses. Tu pouvais sentir ce côté mystique dès mon premier couplet, c’était sur “Cadillac”, il y a presque 10 ans avec Makala. À l’époque, tu regardes comment je pose, comment je suis sappé, il y a déjà cette vibe. Du coup aujourd’hui, je trouve que ça a du sens d’appeler le projet Le Grand Mystico, ça me caractérise bien.
Ça rejoint toujours cette métaphore avec le cirque : un spectacle impressionnant mais souvent bizarre. Ce côté bizarre, on le retrouve beaucoup dans l’album sur des sonorités, des arrangements un peu décalés. Est-ce que Le Grand Mystico, ce n’est pas le projet dans lequel tu assumes le plus ta bizarrerie ?
Bien sûr, j’ai un âge où je capte mieux, j’ai une meilleure vision des choses. J’ai compris qu’il faut s’assumer à 100% et se faire confiance à 100%. Donc là, je suis vraiment dans cette mentalité. C’est dans ce sens que je dis que mon album est le plus radical et c’est aussi le meilleur.
Dans cet esprit radical, les feats du projet sont un vrai parti pris avec des artistes assez surprenants, mis à part Makala dont tu es proche. Est-ce que ce sont des gens que tu avais déjà en tête quand tu as commencé à penser l’album ?
Je n’avais pas les noms au début mais je savais déjà que je voulais des feats avec lesquels je n’avais jamais collaboré avant. Je voulais aussi des artistes qui ont une vraie identité, une vision qui leur est propre. C’était mes deux priorités. Autre chose, les gens que je suis allé chercher, ce sont des artistes avec qui j’ai un vrai feeling que je connais avant même le studio ou la musique. Tous les feats ont coulé de source et au final ils sont tous logiques sans être réfléchis.
Toujours dans cette énergie de feeling et d’instinct, finalement.
C’est ce qui marche pour moi en tout cas ! C’est aussi ce que je préfère écouter, des projets dans lesquels tu sens qu’il y a une vraie âme.
Il y a quelqu’un qui est super important sur cet album, c’est Monsieur Lacroix avec qui tu as réalisé le projet. On peut dire qu’il est ingénieur du son et compositeur, même s’il a un rôle bien plus important sur la scène suisse. Qu’est-ce que ça t’apporte de travailler avec lui ?
Déjà, c’est le mec qui m’a appris à m’enregistrer. Il m’a donné les clés du studio et m’a laissé y tester beaucoup de choses, il m’a donné beaucoup de force… C’est un boss. C’est comme un Mike Dean, le Mike Dean de chez nous, de notre zone. Quand tu regardes, il est vraiment sur tous les projets de Colors que ce soit Varnish, Makala ou tous les autres. Il est dans son monde, il est discret mais il est super important pour nous. Je lui dis tout le temps qu’il faut que les gens le voient un peu mais si tu vas sur son Instagram, il y a juste une photo de fleur (rires). Plus sérieusement, c’est un vrai génie et il fait vraiment de la musique pour lui. Il chante en anglais aussi, il fait ses propres morceaux… Il est trop fort.
Il chante aussi ?
Oui bien sûr, comme moi je le fais. Lui, ça fait même je ne sais pas combien de temps qu’il fait ça ! Il est vraiment matrixé par les synthés, vraiment en mode Mike Dean. Sur l’intro de l’album, on le sent de fou (il fredonne l’air de “Nouvelle aventure”) ! C’est vraiment sa patte à lui.
C’est lui qui t’a introduit la première fois à la composition la première fois ?
Non, la première fois c’était avec Makala et Di-Meh pendant le Xtrm tour donc ça devait être il y a 4 ou 5 ans. C’était sur mon téléphone sur une application, on faisait des prods comme ça pendant la tournée. On était comme des fous en mode “oh écoute ça !”, on s’envoyait ce qu’on faisait. Ensuite après le tour, j’ai installé FL Studio et je m’y suis mis directement.
Tu as des références en prods, des gens qui t’ont inspiré ou impressionné ?
Il y en a beaucoup qui sont chauds même sans forcément m’inspirer. Déjà, je suis obligé de te citer Varnish et Monsieur Lacroix, ils ont leur truc et c’est le plus important : avoir sa signature. En France il y en a aussi qui sont très très forts. Un gars comme Abel 31 par exemple, il est super technique, super chaud. Tu sens l’âme dans ses productions.
Tu parles beaucoup d’âme. J’ai l’impression que dans le rap, il y a un modèle qui se forme à côté du schéma mainstream “classique” avec des artistes comme Laylow, Alpha Wann, Freeze Corleone. Ce sont des rappeurs qui ont persévéré dans leur vision…
…Et ils le font depuis longtemps aussi. C’est ce qui est impressionnant. J’y reviens, c’est le marathon frère ! Ces gars-là, ça fait je ne sais pas combien d’années qu’ils font leur son à eux et c’est après des années encore qu’ils percent. Et quand je te dis percer, c’est percer pour de vrai ! En plus, tu construis une fanbase solide. Les auditeurs savent qu’ils vont toujours avoir de la bonne musique, une vraie proposition parce que ça fait 10 ans que l’artiste garde son cap et son identité. Et c’est ce succès-là que je veux atteindre.
Est-ce qu’à un moment ça t’as traversé l’esprit d’aller vers une proposition un peu plus formatée ?
Mais toujours. Il y a souvent des remises en question quand tu es un artiste. Tu te dis “ah est-ce que si je fais ça ou si je sors ce son, ça va plus parler à ces gens là ?”, mais au final est-ce que moi je vais kiffer quand le morceau va sortir ? Est-ce que quand ça va sortir, je vais le défendre corps et âme ? C’est le raisonnement qu’il faut avoir. Mais c’est normal de se poser des questions. Mon premier album par exemple, Tunnel Vision, c’était bien plus ouvert que celui-ci, j’avais essayé de faire un petit pas vers la France.
Oui, je me souviens l’avoir ressenti en l’écoutant. Tu n’avais pas travesti ta proposition mais c’était un peu plus accessible que ce qu’on avait l’habitude d’entendre de ta part.
C’est ça. Mais aujourd’hui 2 ans après, le game a changé. J’ai compris que c’est limite plus bénéfique d’être un artiste de niche. Tu développes ta niche, tu peux avoir 20 000 personnes dans ta niche, tu es bien. Même avec 1000 personnes qui achètent tes bails systématiquement, c’est carré. Il n’y a pas besoin de faire 500 millions de streams pour avoir une économie. C’est toujours mieux mais ce n’est pas forcément nécessaire.
En venant de Suisse, j’ai l’impression, un peu comme pour les Belges à une certaine époque, que vous avez cette nécessité là d’arriver avec quelque chose de singulier.
En fait, ça se fait automatiquement. Parce que notre culture est différente. La façon dont on a grandi, les musiques qu’on a écoutées… C’est différent. Même sans le vouloir, comme ce ne sont pas les mêmes références, on produit une autre musique et c’est ce qui fait notre force.
Quelles étaient tes premières influences à toi par exemple ?
Les premiers albums c’était The Massacre de 50 Cent, I care 4U, l’album d’Aaliyah et puis sinon, ce sont des morceaux de reggae, même des morceaux comme “Barbie Girl” de Aqua… Chez moi, ces sons-là tournaient en boucle mais il n’y avait pas vraiment de variété française par exemple. Je n’ai pas grandi avec ça donc je ne vais pas m’en inspirer pour mes sons, je n’y arrive pas. Je pourrais le faire mais en me forçant. Ça ne veut pas dire que je n’aime pas juste que ce n’est pas mon truc. Moi, j’ai grandi avec les Bloods et les Crips. C’était ça, chez nous on était matrixés dans des délires de Street Dancer ! On se sappait en baggy, dans nos têtes c’était les States.
Sur “J’avance”, tu dis “j’aurais déjà percé si j’étais français”. J’ai l’impression que chez toi, il y a toujours cette urgence de percer. Pourtant il y a des gens qui pourraient dire que c’est déjà le cas. Ça veut dire quoi percer pour toi ?
Ça fait longtemps qu’on est là et on a fait beaucoup de choses. Au bout d’un moment, il faut qu’on graye et il faut que les gens captent. Moi, je me suis déjà pris la tête avec des gens qui me disent que j’ai percé. Mais mec, je n’ai pas percé. Quand je pourrai mettre bien les miens, quand moi-même je pourrai prendre soin de moi à 100%, là on en reparlera. Pour le moment, on est encore dans le développement dans le charbon. On est loin d’avoir percé.
Est-ce que ce n’est pas l’un des derniers albums de rappeurs suisses sur lesquels on peut entendre ça, “j’aurais déjà percé si j’étais français” ?
On y arrive, on y arrive gentiment. Même pas forcément uniquement pour les Suisses ça peut être d’autres rappeurs aussi belges ou canadiens. Après cette phase, je suis obligé de la placer, parce qu’on me l’a trop fait ressentir. À ce moment-là, je dois le dire mais dans le futur je pense que je ne le dirai plus.
Il y a quelque chose dont je suis obligé de te parler. Aujourd’hui, tu es venu avec un t-shirt sur lequel on peut lire un tweet de Booba à ton sujet, “ça ne peut plus durer” avec un screen de l’interview que tu as donné au code. Comment tu as réagi suite au tweet ?
En vrai… Il fallait s’y attendre. Après ce qui s’est passé avec Serane, il fallait s’y attendre. Moi j’arrive avec mes pics etc, Booba il n’a pas checké ce que je propose, il n’a pas écouté l’interview, il s’est juste arrêté à l’image et il veut tirer sur Mehdi Maïzi en ce moment. Moi, je suis passé là au même moment et au final, c’est tout bénef parce qu’en vrai il n’a pas critiqué ma musique, il n’a même pas critiqué les pics. Il a juste dit “ça ne peut plus durer” mais tu peux l’interpréter comme tu veux. Nous (il montre son t-shirt, ndlr) on a mis ça en dessous : “Effectivement, il est temps qu’on graille”. Ça peut vouloir dire plein de choses…
Je voulais évoquer la scène, l’une de tes spécialités. Dans ta discographie, il y a des morceaux de concert. Je pense à “Bushido Massaï”, “Plug”, sur le dernier, c’est “Mystico”… Quand tu fais ce genre de son, est-ce que tu as déjà la scène en tête et comment ça vient ?
La scène, c’est la phase finale. C’est là que tu présentes ta musique, c’est là que les gens te rencontrent vraiment donc j’ai toujours la scène en tête quand je fais des sons. Je sais que lorsque je vais faire ce titre là, il va être comme ceci ou comme cela en concert. Je vais pouvoir l’amener à ma façon. Je suis un enfant de la scène, je suis un punk en vrai, je kiffe. Si je peux mourir sur scène, je vais mourir sur scène. C’est full feeling aussi les concerts pour moi, sans trop réfléchir.
Tu évoques le fait de changer les morceaux pour les concerts, tu fais un travail particulier par rapport à ça ? Comment ça se passe ?
Il y a toujours une setlist et de la préparation. Là par exemple, on prépare la tournée donc on a bien bossé, on a fait une résidence etc. On avait déjà fait ça pour l’album précédent également. Cette préparation-là me sert à être en harmonie, en osmose avec toute mon équipe que ce soit le Dj, l’ingé son, la technique… Au moment du show, il faut qu’on soit tous connecté. C’est ce qui demande du travail. L’interprétation en revanche, c’est au feeling.
Cette capacité à retourner les salles, c’est un truc que vous avez tous en commun toi et tes gars en Suisse : que ce soit Makala, Di-Meh ou Mairo sur scène ça explose. Comment tu expliques cette capacité à produire des concerts explosifs comme ça ?
Personnellement, je n’ai pas eu d’exemple et je pense que c’est pareil pour les autres. On n’avait pas grand chose en Suisse. Personne ne m’a montré comment faire chez moi, personne ne m’a montré de concert. Le premier qui m’a marqué, c’était Travis Scott qui me saute dessus, en 2016. À partir de là, c’est allé vite dans ma tête, je me suis dit “c’est ça que je vais faire, je vais rapper tous mes sons comme ça sur scène” et c’est ce que j’ai fait. C’est à ce concert là que j’ai réalisé ce qu’est la scène.
Et puis en ce qui concerne l’énergie, je l’avais déjà. Avant d’être sur scène quand j’allais en concert, j’étais créateur de pogo. J’étais dans le “sbeul” avec mon équipe. Tu vois ce gars au milieu dans les pogos, celui qui fait les backflips (rires) ? C’était moi. Je suis passé par là avant de le retranscrire sur scène. Je suis vraiment en transe quand j’y suis, c’est là que tu vois mon personnage dans son entièreté. je ne saurais même pas te l’expliquer, je suis en transe, ce même gars qui faisait des pogos sauf que je suis passé de l’autre côté.
J’ai l’impression que pour toi la scène, c’est le moment le plus important pour toi quand tu fais de la musique ?
Oui, parce que c’est là que tu vois vraiment l’artiste, que tu vois s’il est chaud, s’il prend les gens pour des cons ou pas. La scène ça ne ment pas. Le studio, tu peux mentir. Tu peux faire semblant, il y en a plein qui font semblant. Mais sur scène tu les vois, miskine. Quand je vois ce genre de gars en concert je me tire direct. Je ne reste même pas un morceau. Je suis très déter sur scène donc je juge beaucoup les performances des autres artistes. C’est important les concerts, les gens viennent te voir, il y a je ne sais pas combien de personnes devant toi qui payent pour toi et tu ne rappes même pas ton texte ? Non, ce n’est pas possible. De toute façon, je pense que les gens réalisent de plus en plus qu’on les prend pour des cons et qu’ils payent parfois cher pour aller voir des gens qui n’en valent pas la peine. Et c’est quelque chose dont ils parlent de plus en plus sur twitter mais il faut qu’ils nous citent plus.
Tu n’as pas l’impression que vous, la scène suisse, vous amenez cette énergie avec vos propositions ?
Pour revenir à “j’aurais déjà percé si j’étais français”, ça c’est un très bon exemple. Parce que si nous les Suisses on était d’ici, le fait qu’on foute la merde sur scène ça aurait déjà fait du bruit depuis longtemps. Certains l’ont remarqué mais c’est resté cantonné à “ce sont des Suisses”. Ça veut dire que médiatiquement parlant, on n’est pas défendu. Les médias français ne vont pas nous traiter comme ils pourraient le faire avec des gens de chez eux. Cette phrase “j’aurais déjà percé si j’étais français”, c’est pour ce genre d’exemple même si je pourrai t’en citer 25 000 autres.
J’ai cru comprendre que tu allais modifier la façon dont tu fais tes concerts. Tu es resté assez mystérieux sur le sujet, en tout cas je n’ai pas trouvé d’informations. Pourquoi tu as décidé de changer alors que sur scène, tes shows font déjà partie des meilleurs ?
Je ne vais pas tout changer, ce sera toujours moi. C’est juste que dans la proposition scénique, je ne veux plus arriver et juste taper du pied. C’est lourd en soi d’arriver avec cette énergie, de provoquer des pogos etc mais moi, dans ma recherche je n’ai plus envie de ne proposer que ça. Je pense que ce sera le cas avec ce projet, mais j’ai envie que les gens chantent mes paroles. Là c’est plus personnel, plus identitaire… c’est ça que je veux aussi, c’est que le public puisse vivre le truc différemment pas qu’il ne vienne que pour trouver cette énergie de pogo. Je veux ajouter d’autres énergies sur scène, gérer un peu plus mon show.
Ça rejoint un peu ce que tu dis depuis le début de l’interview, j’ai l’impression que tu ne veux plus être cantonné à la scène, à l’énergie, à la science du banger. Tu as rendu ton propos plus audible avec la D.A et la réalisation de cet album et finalement cette nouvelle approche de la scène ce n’est que le suivi logique de l’album.
C’est ça. C’est trop cool qu’on te dise “les Suisses ils sont trop chauds sur scène”. C’est trop stylé et merci beaucoup, ça fait plaisir. Mais au bout d’un moment, tu me dis ça, je le sais gros. Je suis conscient que je suis trop chaud sur scène. Les Suisses ce n’est pas que “ils sont chauds sur scènes”. J’ai l’impression que les gens nous résument à ça. Ils disent ça tout le temps. Ils ne disent pas “les Suisses ils sont trop chauds dans la musique”, ce n’est que les concerts qui sont bien apparement. Je ne veux plus de ça, c’est mort. Je veux qu’on soit respectés pour notre son. Je veux que mes auditeurs aient le courage de dire ce qu’ils pensent, de donner leurs avis.
Interview : Lucas Désirée
Photographie : Félix Devaux
Assistant photo : Moïse Luzolo
Direction artistique : Iris Gonzales
Graphisme : Noémi Bonzi
Post-production : Joshua Peronneau
Production : Alice Poireau–Metge, Nicolas Pruvost
Stylisme : Johan Lin
Assistant stylisme : TJ Alostom
Maquillage : Mathilde Moncamp