La dernière fois que le nom de Dinos était associé à la sortie d’un “vrai” projet, c’était le 14 avril 2014, lorsque celui dont le surnom était alors suivi par un “Punchlinovic” dévoilait son EP Apparences. Quatre ans plus tard, ce qualificatif mis de côté et une absence bien trop longue au goût de nombreux fans, Dinos sort enfin son album Imany, preuve que prendre le temps peut être l’un des meilleurs ingrédients pour faire de la musique de qualité.
Lorsqu’on le rencontre dans un hôtel parisien du quartier de Pigalle, Dinos semble avoir la tête ailleurs. Après s’être installé et avoir commandé une limonade, le rappeur semble obnubilé par l’écran de son téléphone. Ce n’est pas par désintérêt, ni en raison d’une quelconque addiction aux réseaux sociaux : il vient simplement de recevoir par e-mail la pochette définitive de l’album Imany, qui doit sortir dans deux petits mois. Bien-sûr, il connaissait déjà cette pochette, photographiée et réalisée par l’incontournable Fifou, mais là, c’est l’une des dernières fois qu’elle n’existera que sur un écran. Il nous explique qu’il vient, en effet, d’avoir la confirmation que la fabrication des versions physiques de son album était désormais lancée. Après avoir hésité entre plusieurs options pour ce qui sera la couverture de ce projet travaillé de longue date, il en connaît enfin la pochette par laquelle ces années de travail seraient visuellement reconnues par le grand public. “C’est le travail frère, je suis heureux. Je suis vraiment content quand même, parce que cette pochette je l’aime beaucoup. C’est Fifou qui a pris la photo, il l’a choisie parmi plusieurs pochettes,” précise-t-il, en ayant toujours un peu de mal à décrocher les yeux de son écran, sourire en coin. S’il a ce sentiment de bonheur, c’est parce que ce projet est pour lui une forme de renaissance au point qu’il va jusqu’à le considérer comme son premier vrai projet. Il nous l’explique ainsi : “Les autres, ce sont des projets dans lesquels j’ai mis de l’amour, bien sûr. Mais ce ne sont pas des projets que j’ai confectionné de la même manière que celle avec laquelle j’ai confectionné cet album là. Dans le sens où, quand je faisais ces projets-là, je ne réfléchissais pas comme je réfléchis aujourd’hui, je ne voyais pas les choses de la même manière. Donc je les considère, mais pour moi Imany est mon premier vrai projet.”
Cette absence de longue durée qui aura vu tout un nouveau public arriver au rap, Dinos la voit à la fois comme un challenge et comme une chance : “Aujourd’hui, en 2018, Dinos c’est un nouveau rappeur, qui a déjà une base tu vois. Mais y a beaucoup de gens qui savent pas qui c’est. Y’a beaucoup de gens qui écoutent un tel, un tel… Y eu un mec sur Twitter qui a fait un thread, et son thread il est long sa mère, de tout ce qu’il s’est passé depuis que j’ai annoncé mon album” dit-il en riant bruyamment. “C’est incroyable ! Il a fait un thread, il a même parlé des rappeurs qui ont eu le temps de venir et de mourir, tu vois ce que je veux dire ? Et quand tu vois ce thread, tu te rends compte que, certes, les gens qui m’attendent m’ont pas oublié parce que je pense que les gens qui m’attendent, ils m’attendent réellement, mais y’a plein de gens qui savent pas qui je suis, donc c’est comme si j’arrivais.” L’évolution entre ses anciens projets et ce premier album se retrouve dans plusieurs aspects. Le Punchlinovic qu’il apposait à son nom ? Disparu. “C’est parce qu’on est dans une nouvelle époque. 2012, 2013, 2014… C’était une autre époque. Je ne suis plus le même artiste, je suis beaucoup moins “punchlines”, maintenant je m’en bat les couilles de faire des punchlines.” Lorsqu’on lui oppose nos doutes quant à cette affirmation, étant donnée la quantité de punchlines malgré tout présentes dans son album, il s’explique : “J’ai toujours eu une écriture comme ça, très imagée. Mais je ne suis plus à la recherche de la punchline, je suis à la recherche de la citation. Je veux faire des citations, maintenant.”
Son sens de la punchline, ou plutôt de la citation, on le retrouve particulièrement dans le morceau Helsinki, l’un des points d’orgue de l’album, qui est aussi le premier morceau enregistré pour Imany en 2015. On y retrouve son écriture particulièrement imagée, comme lorsqu’il chante “Mes larmes ne servent qu’à irriguer ma fleur de peau“, mais aussi à travers la construction particulière de ce morceau. Au début du morceau en effet, on tombe sur la messagerie de Dinos et tout ce qui suit est donc un message que lui a laissé une femme, comme le montre la voix féminine du refrain et les nombreuses références aux moments de vie qu’ont partagés les deux acteurs de “Helsinki”. Un morceau qui s’émancipe de nombreux codes donc, ce qui n’empêche pas l’artiste de le décrire comme étant son favori du projet. Si cette distinction faisant que Dinos n’est pas la personne s’exprimant dans ce morceau semble être un clin d’oeil à son morceau “Comme un dimanche”, elle n’est volontairement pas très claire. Quand on lui fait remarquer, le rappeur explique ainsi : “Mais c’est ça le truc en fait. Le truc c’est que j’ai fait exprès que ce soit trouble, tu vois. Mais c’est pas moi qui parle, c’est elle. T’es le premier à comprendre, mais ouais, c’est pas moi qui ai écrit “Helsinki”, c’est elle qui me parle, en vrai.”
Dès les premiers retours du public sur l’album, “Helsinki” s’est particulièrement démarqué et on pourrait donc dire sans trop s’avancer que Dinos a frappé juste. “En fait, la production, la manière dont je rap, le refrain et tout,… C’est pas quelque chose d’ancré dans une école. Ça correspond pas à une école, c’est de la musique, c’est tout. Donc c’est juste ça, je pense.” Si ce morceau a été enregistré environ 3 ans avant la sortie du projet, cela pose forcément la question de savoir comment l’album a été construit et comment une cohérence a pu être trouvée dans sa construction. “Déjà, il faut savoir que ce projet a été fait en plusieurs étapes et en plusieurs versions. Il y a certaines choses que j’ai rappé, enregistré, pour cet album là et qui ne sortiront jamais. En fait, toutes les choses que j’ai englobé pendant toute ma vie, de l’an 0 à aujourd’hui, et ben j’en parle. Cet album c’est un condensé total. L’album, il est séparé en deux parties aussi, faut le savoir. À partir de “Helsinki”, tu as une autre partie de l’album. Il y a une partie où je me lâche en freestyle et après c’est la partie plus où, comme je dis, c’est la partie plutôt pour les meufs, il y a plus de chansons, des trucs comme “Magenta”, des trucs chantonnés avec une belle mélodie. Donc c’est vraiment séparé.”
C’est donc un tout nouveau Dinos qui se présente au public avec Imany, l’intéressé lui même n’hésitant pas à se présenter comme un “nouvel artiste”. Cette différence entre ses débuts et la période qu’il traverse actuellement, il en joue habillement dans les textes d’Imany. Quand en 2014 dans “Comme un dimanche” il disait : “Ne le prends par pour toi, parfois j’aime rester seul sur Playstation et écrire tard le soir“, son discours est maintenant opposé : “Prends le pour toi, t’auras tout le temps de rester seul sur Playstation et d’écrire tard“, raconte ainsi la personne lui laissant un message vocal. De la même façon, il oppose le “Quelqu’un de bien” d’Apparences au “Quelqu’un de mieux” d’Imany. Mais cette évolution affirmée dans les textes passe aussi par un univers musical beaucoup plus étoffé et travaillé. Quand on lui demande la façon dont il a pu sélectionner ce qu’il gardait pour son album et au contraire ce qu’il ne gardait pas, Dinos nous raconte les heures de débats et de doutes. Pourquoi si longtemps ? Car, pour en arriver à Imany, le nombre de chansons enregistrées et écrites par l’artiste de La Courneuve a été tout simplement pléthorique. “Tu sais que j’ai, genre, une bonne trentaine de morceaux sur le côté… J’ai tellement morceaux gros que je me souviens même plus des morceaux, frère. Je sais même pas lequel est lequel. Genre par exemple, je regardais ma boîte mail tout à l’heure et je vois des titres, je me dis “Mais quelle est cette chanson ? De quoi parle le morceau ?” Genre je vois le titre d’une chanson et je ne sais même pas ce que c’est !”
Les différentes anecdotes semblent avoir réveillé Dinos, dont le téléphone est désormais retourné sur la table. Il se penche régulièrement en travers de la table pour couvrir le vacarme du bar d’hôtel dans lequel nous nous trouvons et contre lequel sa voix ne porte pas assez pour que nous nous entendions parfaitement. Nous discutons de son concert à la Boule noire, prévu pour le mois de juin (NDLR : une date à la Cigale en décembre a depuis été ajoutée), quand il décide de raconter une scène assez surréaliste à laquelle il avait participé, lorsqu’il jouait en première partie de Joke à la Cigale en 2015. “C’était la première partie de Joke, à la Cigale. Genre je suis arrivé et je faisais la première partie de quelqu’un. Je sais qu’on a un public pareil tu vois… Mais quand je suis arrivé sur scène j’ai cru que c’était mon concert, pareil ! On aurait dit que c’était le concert à nous deux, frère, tu vois ce que je veux dire ? Et quand “Namek” est entré… Enfin, je sais que les gens connaissent les paroles, mais là ce qui s’est passé c’est que c’était toute la salle qui chantait. Et y a eu un turn up… C’est-à-dire que il y a eu la scène, là où j’étais, elle tremblait ! Et c’est la première fois de ma vie que j’ai eu peur sur scène. Je me suis dit « Wouuuuah, qu’est-ce qu’il se passe là ?! »” Le morceau “Namek”, justement, aura été ce qu’on appelle communément un “tube” mais aussi un accélérateur assez fou dans la carrière de Dinos”. Avec des dizaines de millions d’écoute en cumulé, il aura permis à l’artiste de toucher un public très large qui l’a ensuite en grande partie attendu, jusqu’à la sortie aujourd’hui d’Imany. Un sourire de satisfaction sur le visage, il nous explique que Namek “fait encore des écoutes aujourd’hui” tout en précisant ne pas chercher à avoir de morceau d’une telle ampleur sur Imany : “Mon but c’est de toucher les cœurs, trop curieux des émotions. Je te procure des émotions, j’ai envie que tu puisses écouter mes sons quand tu vas bien, quand tu vas mal, quand t’as un exam, quand tu viens de quitter quelqu’un, quand tu viens de perdre ta meuf, quand tu viens de perdre ta mère, peu importe. Les émotions qu’elles soient positives ou négatives je veux pas qu’elles soient superficielles. Je veux juste que tu sois touché par musique, c’est le point 1. Et le point 2 c’est de faire de l’argent, c’est tout. Et je suis là que pour ça moi. Et je le répète et je le répèterai jusqu’à temps qu’ils le comprennent. Je suis là pour ça, faire plaisir aux gens. Vraiment, toucher les gens c’est important. C’est important pour moi d’aller plus loin, de toucher le cœur des gens. Si j’y arrive, c’est ma mission première et après c’est faire de l’argent.”
Son parcours dans la vie et l’industrie musicale l’a amené à rencontrer plusieurs artistes, dont deux sont présents en featurings dans son album Imany : Joke et Youssoupha. Sur “Beuh & Liqueur”, il est rejoint par celui dont il faisait la première partie à la Cigale dont ses oreilles se souviennent encore, pour un morceau planant et halluciné dans lequel les deux artistes se jouent de la production aérienne et inhabituelle avec une décontraction surprenante. Sur “Bloody Mary”, c’est Youssoupha qui l’accompagne pour un morceau plus sombre, presque lugubre qui voit les deux artistes faire le constat d’un monde dur et abruti et tirer les conclusions d’une vie dont la conclusion est inconnue et peu rassurante. “Ce sont deux personnes que j’affectionne particulièrement. En fait tu sais quoi, ce qui est marrant c’est que je me rends compte là tout de suite que c’est comme si j’étais le pont entre ces deux artistes. Parce que Joke et Youssoupha, ça n’a rien à voir. Comme si j’avais du Youssoupha du côté des lyrics et un bail de Joke, entre la trap et du plus conventionnel. Tu vois ce que je veux dire ? Je suis le pile équilibre entre ces deux-là, donc en vrai… [Le fait de choisir ces deux featurings,] c’était instinctif. On a parlé avec d’autres de faire des choses mais au final naturellement ça c’est fait avec ceux là. Avec Joke, on est proches et on avait déjà fait d’autres morceaux aussi ensemble, comme “Plaque Diplomatique” qui devait être sur , et on a fait d’autres morceaux qui sortiront aussi, je pense…”
Originaire de La Courneuve, Dinos a construit une partie importante de sa culture musicale lorsqu’il vivait avec sa tante qui écoutait énormément de R’n’B et son frère qui oscillait entre le gangsta rap et Michael Jackson. Il a été marqué par son quartier, ce qui lui a amené cette gimmick qu’il porte aujourd’hui en mantra, “le quartier mais pas la rue.” Il explique ainsi être un mec du quartier mais pas une caillera et refuser de s’inventer une vie. Son quartier, c’est surtout pour lui le lieu qui lui a tout appris, du foot aux embrouilles en passant par les codes et les premières bagarres, sans que tout cela ne fasse de lui une caillera. Désormais, Dinos voit plus loin que le quartier qui lui a tout donné et se dessine un avenir plus simple, plus serein : “Une vie, une vie ça se fonde en vrai. Une vraie vie, quelque chose de viable. Je sais même pas ce que ça veut dire être riche tu vois. Mais moi, mon but dans ma vie, c’est de pouvoir avoir envie de faire quelque et juste faire ça et sortir les billets et pas avoir besoin de les compter, tu vois ce que je veux dire ? Je veux juste avoir envie de faire des choses que je sais que j’ai, tu vois ce que je veux dire ? J’ai pas besoin d’être milliardaire ou je sais pas quoi. Je veux juste, faut juste que je puisse vivre sans compter, sans avoir à me dire “Ah putain ça va être galère à la fin du mois, y’a ça à payer à la fin du mois, y a les couches de la petite…”, tu vois ? Peut-être que ça veux dire être riche ça, je sais pas, mais moi c’est comme ça que je veux vivre. Et pour vivre comme ça faut que tu te battes, frère. Et tu deviens pas comme ça en 6 mois. C’est… C’est un travail de plusieurs années. Tu sais, arriver à 30 ans et te dire que okay, là tu as fondé quelque chose.”
Notre entretien touche à sa fin. Dinos retourne son téléphone, rattrape quelques notifications et s’étire dans le coin de la banquette sur laquelle il a pris place depuis trois quart d’heures. En sortant de l’hôtel, il est soucieux de recueillir notre avis sur son album et de connaître nos morceaux préférés. Il prend la température une dernière fois, en somme, avant que son “bébé” qu’il prépare depuis si longtemps ne voit enfin le jour. On lui demande s’il appréhende la façon dont Imany sera reçu alors que cette journée approche, ce à quoi il nous répond, la mine sérieuse : “Je n’attends pas de retour, je donne, je transmets des émotions, c’est ça mon taff. Je suis là pour donner des émotions, c’est ça mon métier ! Je n’attends rien, je donne, c’est tout. Je donne et on verra ce qui adviendra.”