
Après vingt ans de carrière, le grand enfant du cinéma français ne se raconte pas d’histoire, ne s’invente aucun personnage. Au recto, c’est un acteur sur qui tout semble couler avec une apparente facilité qu’on pourrait jalouser. Au verso, un homme qui a dû apprendre à être un peu moins civil. Et un enthousiasme pour son métier toujours intact.
Interview à retrouver dans Views Magazine 003 — Disponible ici

Manteau : Burberry
Blouson : GANT
Gants : Paul Smith
Au lendemain d’une nuit blanche pour mettre en boîte les dernières scènes du nouveau film de Thomas Lilti (Hippocrate, Médecin de campagne), François Civil grimpe au 27e étage d’un hôtel parisien pour une séance photo. Dans le film, il incarne Joris, un agent en recouvre- ment de dettes malchanceux qui, à 35 ans, reprend des études d’anatomie. Changement d’ambiance, l’acteur enfile un épais blouson en cuir et passe au maquillage pour fabriquer des bleus sur son visage, puis se glisse, avec aisance et affabilité, dans sa nouvelle peau de viri- lité, sous le soleil de juillet. En promo, l’acteur se plie à toutes les directives pour ménager les intérêts des uns et des autres et surtout le film. Encore aujourd’hui, il prend des notes sur son téléphone qui lui servent d'anti-sèches en interviews et sollicite ses amis d’enfance pour qu’ils lui soufflent leurs meilleures anecdotes à servir aux journalistes.
« Ça m’est toujours un peu douloureux de faire de la promo, c’est l’anti-cinéma, on parle de soi alors qu’on a voulu se cacher derrière un personnage. J’ai conscience que c’est une industrie mais mes intérêts à moi, ils divergent, donc le reste du temps, j’essaie de rester discret pour ne pas saouler les gens. » Pour la photo, il accepte donc de jouer le jeu, mais en plateau, cette performance de virilité le questionne. Sur le tournage des Trois Mousquetaires : D’Artagnan, il a d’ailleurs préféré amender quelques répliques de son personnage pour rendre sa drague moins chevaleresque et sa relation avec Constance davantage en phase avec les représentations contemporaines.


Blouson : GANT
Gants : Paul Smith
Sac : Ferragamo
Pantalon : Louis Gabriel Nouchi

Apprendre à s’opposer fut un long cheminement pour l’acteur, longtemps docile vis-à-vis de l’autorité. Il garde d’ailleurs un souvenir très précis de la première fois où il a osé assumer son désir : « J’avais 10 ans et ma mère m’a demandé si je voulais vraiment qu’elle me réinscrive au Conservatoire. Je me souviens avoir beaucoup pleuré parce que dire non fut une décision très lourde pour moi. C’est la première fois que je me posais vraiment la question de mon désir. Assumer ses goûts au risque de décevoir les gens, ça m’est très difficile, encore aujourd’hui. » S’imposer prend du temps et c’est donc d’abord pour ne pas faire trop de vagues qu’il démarre une carrière à l’écran, à l’âge de 16 ans. « J’ai longtemps continué à me mettre là où on me disait d’aller et quand il a été question de passer un casting, c’était une corvée. Je vivais mal le fait de performer et pourtant, je le faisais alors que j’aurais pu totalement dire non. J’arrivais pas à m’écouter, mais tant mieux parce que j’y ai pris goût. » Avant chaque casting, il vomit mais, le vice du jeu fini par l’emporter. Il enchaîne alors courts-métrages, séries, téléfilms avec un détour par Disney Channel.
Si sa scolarité fut douloureuse, « l’école c’est l’antichambre du capitalisme », l’acteur s’est toujours montré très discipliné sur un plateau. « J’ai eu tendance à vouloir satisfaire le réalisateur pour me déresponsabiliser car au final, c’est ma tête qui finira en 15 par 3 au Max Linder. Je me considérais vraiment comme un outil et tant que le réalisateur était satisfait, j’estimais que j’avais fait mon taff. »
Mais en 2014, le tournage de Frank du réalisateur irlandais Lenny Abrahamson transforme ses bonnes manières. François Civil a 22 ans et tient un petit rôle de bassiste aux côtés de Michael Fassbender qui incarne l'excentrique leader d’un groupe de rock. Son personnage n’a pas plus de trois répliques, mais une présence constante sur le tournage.
Il découvre cette « école anglo- saxonne », où les acteurs s’impliquent autant dans le travail que dans le plaisir. « C’était très différent des tournages en France, souvent un peu en dilettante, ça m’a beaucoup plu. » Surtout, il se lie avec Fassbender qui lui enseignera sa meilleure leçon de cinéma : « Il m’a convoqué dans sa loge et m’a fait une masterclass d’une heure en m’expliquant qu’il ne fallait jamais faire deux fois la même prise car si le réalisateur est satisfait, il sera juste satisfait de façon équivalente et qu’il faut donc toujours aller contre pour surprendre. »
Depuis, il apprend à s’impliquer davantage, à être un moins bon élève et parfois à oser le conflit, tant qu’il est fertile.
À l’écran, la nature de ses rôles change et il incarne plus volontiers des personnages en rébellion, en opposition, tout en aspirant à continuer, tant qu’il le peut, à se laisser doucement flotter au gré des envies et des opportunités. « Je cultive l’oisiveté, j’ai ce privilège, mais il faut admettre que ça m’est assez naturel. Puis ça permet de rester souple. Comme dirait Bruce Lee, ‘Be water my friend’. »


T-shirt : Louis Gabriel Nouchi

François Civil charme par son amabilité et son naturel. Mais cette seconde peau est le fruit d’un long travail, peut-être le plus difficile de sa carrière : « Mon premier rôle de composition, c’est de jouer l’acteur finalement. » En 2009, alors qu’il est pré-nommé au César de la révélation masculine pour son rôle dans Soit je meurs, soit je vais mieux de Laurence Ferreira Barbosa, il choisit pour parrain Cédric Klapisch dont les films bercent alors son adolescence. « Chacun cherche son chat se passe rue de la Roquette, là où j’ai grandi. Je sentais un ADN de vie commune, je captais toutes ses références culturelles, je me souviens notam ent d’un morceau de Just Jack qui était sur la BO d’un de ses films et que j’écoutais en boucle. » Pour la cérémonie, il arrive vêtu d’une chemise violette un peu douteuse, d’un pull Celio et les chaussures de costume de son père bourrées de papier journal. Dans les couloirs, il croise un jeune acteur de la même agence également nommé, habillé par Yves Saint Laurent. « J’ai compris que j’étais pas dans le coup et je me suis senti pas du tout à ma place. » Totalement inhibé, il n’osera pas adresser la parole à son parrain, de toute la soirée.
Mais l’intervention quantique est déjà en marche. Quelques années plus tard, François Civil se rattrape lors de son audition pour la série Dix pour cent face à Cédric Klapisch. Il décroche le rôle d’Hippolyte Barneville… sans jamais croiser le cinéaste qui ne réalise aucun de ses épisodes. « J’étais un peu dégoûté parce que je passais une nouvelle fois à côté de mon idole, mais un an plus tard, il me voit pour Ce qui nous lie et ça a été le début d’une belle coopération. » Pour ce film, le cinéaste délaisse l’Est parisien pour la Bourgogne et raconte la vie d’un vignoble tenu par une fratrie en conflit. Étrange échos avec celle de l’acteur. « Quand il m’a pitché le film, j’ai cru que c’était une caméra cachée. Il me parle d’une fratrie de trois, dont les prénoms commencent tous par un J, qui hérite d’un domaine en difficulté et c’est exactement l’histoire de ma mère, Françoise, et de ses deux sœurs Fabienne et Florence. Il y a forcément une intervention quantique là-dedans, il y a des particules qui vibrent en même temps. »


Veste : Paul Smith
Blouson : Berluti
Montre : Audemars Piguet - Royal Oak Quantième Perpétuel
Blouson : Delombre

On associe volontiers François Civil à la comédie : le bon mot, la bonne répartie. Mais les comédies sont rares dans sa filmographie bien fournie, à l’exception de celles signées par son ami Igor Gotesman. Et cette rencontre aurait pu, une fois encore, ne jamais avoir lieu… à cause d’une histoire de mauvais choix de tenue. En 2011, le réalisateur cherche un grand blond pour incarner le stoner Timothée dans son court-métrage Five, qui donnera naissance au long-métrage cinq ans plus tard.
Au casting, il tombe sur un petit brun d’1m60, pas encore sorti de l’adolescence, engoncé dans un veston satiné qui trahit qu’il n’a pas vraiment saisi le rôle. Pourtant, les références de comiques, Steve Carell, Adam McKay, Louis C.K., Ricky Gervais, sont partagées.
L’alchimie prend et Five, le film, place définitivement François Civil sur la carte du cinéma français. Dès lors, les scénarios lui tombent dans les mains, sans passer par la case casting. Il lui faut garder pourtant la tête froide et ne pas céder à la facilité d’incarner tous les zozos du cinéma français qu’on lui propose. « C’est très fragile la comédie. Tu prends davantage de risques à faire une comédie pas drôle qu’un drame un peu raté. On m’a envoyé des scénarios très marrants avec ce genre de personnages mais j’avais toujours l’impression que ça serait moins drôle qu’avec Igor et Pierre. Ne pas faire certains films te définit autant que d’en faire d’autres. »

Blouson : GANT
Gants : Paul Smith
Sac : Ferragamo
Pantalon : Louis Gabriel Nouchi
L’acteur sera bientôt à l’affiche de Deux pianos d’Arnaud Depleschin aux côtés de Nadia Tereskevitch, dans la peau d’un pianiste virtuose, avare de mots. Musicien, kiné, vigneron, pongiste amateur ou opérateur sonar : au cinéma comme dans la vie, François Civil est un faiseur. « Je me méfie de la trivialité et du côté conversation qu’il peut y avoir dans certains films. » Depuis toujours, il canalise ses problèmes d’attention, et peut-être aussi son anxiété, en occupant ses mains : ballon de basket, mur d’escalade, piano, batterie, guitare, poterie ou appareil photos. Autant de moyens de se sentir plus en prise avec le monde qui l’entoure. Sa plus belle création ? Un bol à bò bún avec « un tournassage de haut vol et un émail flambant ». Avec cette ingénuité intacte après deux décennies à l’écran, il conclut la discussion par un aveu qui vient droit du cœur : « Je suis vraiment trop fan de mon métier ! » Puisse ce ravissement durer encore vingt ans.
Photographe - Quieto Carlos représenté par Dependant.tv
Interview - Manon Marcillat
Direction artistique et stylisme - Iris Gonzales
Graphisme - Coline Cayzac
Rédacteurs en Chef - Matthieu Fortin et Leïla Ghedaifi
Directrice des productions - Ilona Rzepecki
Chargée de production - Pauline Sarlande
Assistant de production - Louis Boussard
Directeur de la publication - Corentin Saguez
1st AD - Raphael Muckensturm
Light design - Maxime Hemery
Ass light - Hugo Roux, Quentin Aussant, Pierre Dashier
Digit - Luc Alonso
Assistantes stylistes - Georgie Salama et Joëlle Nganga
Hair - Camille Coyere
MUA - Marie Guillon assistée de Sitara Nash
Figuration - Raphaël Salama et Matthieu Salama
BTS - Zamil Saïd Omar
Lieu - Too Hotel