Concrètement, ça donne quoi la France dirigée par le FN ?

Les sondages viennent de tomber, et ils sont très significatifs : Le FN, emmené par Marine Le Pen, domine les tendances françaises avec pas moins de 25% d’intentions de votes sur le domaine national. A l’heure où le parti d’extrême droite se trouve plus que jamais en pôle position dans la course à l’Elysée, retour sur les territoires précédemment conquis par le Front National.

L’accession à la mairie : une surprise … pas si grande que cela finalement
M. Le Pen, alors président du Front National, et M. Le Chevallier, ex-maire de Toulon

Juin 1995, coup de tonnerre politique. Le FN emporte, lors des municipales, ses 4 premières villes : Orange, Marignane, Vitrolles et … Toulon. Une grande surprise pour la 14ème ville de France à plus de 165 000 habitants, mais aussi pour le parti, se présentant comme “l’outsider” de cette municipalité devant les 10 ans de directions de François Trucy (UMP).

Mais ce résultat n’est pas qu’une affaire de chance, le FN a su pousser des portes déjà bien ouvertes. Une droite locale qui n’a plus la confiance des électeurs, une gauche complètement désunie, accompagné d’un candidat FN opportuniste : voilà la recette du second tour, une recette qui a souri au parti nationaliste.

Les électeurs ont-ils voté par conviction, ou avec un sentiment de ras-le-bol de la politique mise en place ? “L’un n’empêche pas forcément l’autre” s’en défend M. Navarranne, le numéro 1 du FN dans le Var, ajoutant que “le Front National est inséré dans la vie politique à Toulon depuis très longtemps, faisait toujours de très gros score dans le sud-est et que, de toutes les manières, ce “ras-le-bol” correspond à l’offre politique du Front National ; une politique se situant au-dessus des partis traditionnels du système, qui ont été les principaux fautifs de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui”.

Aujourd’hui 3ème force politique française, hier encore, “Ordre Nouveau” (union de la droite nationale en 1971 rassemblant pétainistes, néo-nazies, ou encore poujadistes), comment ce parti a dirigé et dirigera différents territoires? Zoom sur Toulon, aux prémices d’un éveil nationaliste.

Retour sur un mandat décevant … pour ne pas dire catastrophique

En 1995, la percée politique que l’on connaît. Six années plus tard, en 2001, ce même parti se fait écraser dès le premier tour des municipales, Hubert Falco (UMP puis LR) gagne alors la mairie toulonnaise (il est d’ailleurs encore en fonction à ce jour). Alors que l’implantation du FN fut considérable dans le Var (Le Luc, Cogolin, Brignoles et Fréjus), Le Chevallier a mystérieusement quitté le parti en même temps que le paysage politique français. Pourquoi cette défaite ?

Mme. Marion-Maréchal Le Pen accompagnée de M. Navarranne

“Inutile”, “un accident”, “il (Le Chevallier) et le parti n’ont jamais été prêt à diriger la ville”. Les toulonnais sont clairs à propos du passage du parti nationaliste à la tête de leur ville, qui ne laisse qu’un mauvais souvenir. Une défaite d’ordre politique dans la tête des électeurs, le parti nationaliste rétorque: “c’est une rupture humaine et une très forte division dans la majorité qui laissera une image négative. Ce qui fait qu’en 2001, nous trouvons une liste Front National, une liste Le Chevallier et une liste divers-droite nationale, pour le résultat que l’on connaît”.

Simple division politique, ou réel problème de fond? Retour sur les 6 années de gestion d’une ville dans les mains du FN.

Un grand “STOP” à la culture

Sur le plan culturel, l’objectif était clair: “Rendre aux toulonnais une culture provençale”. Ce projet passerait donc par la croisade contre une “culture élitiste” selon les dires de Le Chevallier. Cela commence par l’offensive, de la part de la municipalité FN, du Théâtre national de la danse et de l’image (TNDI), et le “boycott” de son directeur Gérard Paquet, refusant les subventions des nouveaux arrivants à la mairie de Toulon. Le TNDI survivra à cette attaque… pas son directeur qui fut licencié.

Le maire supprime également “les ateliers éducatifs” et les différentes rencontres sur la culture organisées au sein du musée de Toulon. En contrepartie, Le Chevallier met en place différentes célébrations historiques dans des hauts-lieux toulonnais (reconstitutions du baptême de Clovis à l’opéra en 1996…). Un échange qui laisse à désirer.

Mais le scandale qui a le plus défrayé la chronique est bel et bien celui de La Fête du Livre. Le maire en fonction refuse catégoriquement que la manifestation la plus importante de la ville rende hommage à l’écrivain Marek Halter, souhaitant faire de cette manifestation culturelle une manifestation “plus démocratique” en mettant davantage en lumière des auteurs et éditeurs d’extrême droite. Les libraires manifestent et organisent un “contre-Salon du Livre” à La Garde (commune limitrophe de Toulon). Trois ans plus tard, la Fête du Livre ferme.

Une jeunesse mise à l’écart

Quant à la jeunesse, question majeure à considérer dans le programme d’un candidat, ce point a été quelque peu mis sur le banc de touche. En effet, la majeure partie des centres aérés, et ceux qui accueillent les familles les plus démunis, ont été “oubliées”. Et pour ceux qui ne l’ont pas été, ils ont connu d’énormes difficultés.

La difficile gestion de l’association “Jeunesse Toulonnaise” est également notable (sans compter l’implication de cette association dans un emploi fictif d’un montant total de près de 290 000 francs). La responsable ? Mme Le Chevallier, la compagne du maire et chargée du service jeunesse. Cette dernière a préféré investir la totalité du budget accord à la jeunesse dans un projet de maison de vacances appelé “Les Vallons du Soleil”.

Un bilan économique calamiteux

Côté économique, nous retrouvons en 2001 une dette colossale. Une dette s’élevant au budget initial de la commune (entre 1,5 et 2 milliards de francs). Le Chevallier un gestionnaire? Un très mauvais en tout cas. Il accorde des centaines de millions de garantis d’emprunts à des sociétés, signe des contrats de rénovation et réhabilitation à coup de millions de francs alors qu’il ne dispose même pas de la moitié de la somme.

Mais pour sa défense, M. Navarranne s’est exprimé à son égard: “Il y a eu un travail remarquable sur la dette, il y avait une dette abyssale pour la ville de Toulon en 1995 causée par des folles politiques de dépense des élus en place. Certes, il y a toujours une dette importante à la fin du mandat, mais elle est 35% moins importante qu’à son arrivée”.

Il laisse donc derrière lui un bilan compliqué. Son successeur, en la personne d’Hubert Falco, doit reprendre en main ce lourd dossier économique dès le début de son mandat. Il a du en effet emprunter près de 145 millions de francs afin d’équilibrer le budget de 2001.

“Têtes hautes et mains propres” (enfin presque)
“Mains propres et tête haute”, slogan historique du FN

Il est certain que le mandat de Le Chevallier a été largement entaché par de sales affaires. Diffamations, viols, agressions, discriminations à l’embauche et autres harcèlements sexuels ont fait partie intégrante du mandat de l’équipe du maire FN, contrastant avec le slogan historique du Front National.

L’équipe adjointe ne s’est en effet pas illustrée pour sa transparence et ses coups de maître politique. Des affaires, comme le coup de force d’une école maternelle (une école maternelle avait fait tout un travail de sensibilisation, avec une exposition d’œuvres d’enfants et de documents dans le cadre de la semaine contre le racisme. Cette école servit comme lieu de vote lors des régionales en 1998. Un membre du parti a ordonné d’enlever tous les documents, déclarant que cette exposition est une atteinte à la “liberté d’opinion” et “une provocation envers les électeurs FN”) ont souvent pris le dessus sur le réel fond de politique de la municipalité.

Et le maire en personne est très loin de montrer l’exemple. Condamné à un an de prison avec sursis et 30 000 francs d’amende pour subornation de témoins et propos diffamatoires, Le Chevallier a été impliqué dans une affaire de meurtre en 1995, une sombre histoire d’assassinat de Poulet-Dachary alors adjoint au maire considéré comme “l’homme fort de la mairie”. Mais également, l’emploi fictif abrité dans une association municipale, détournement de fonds publics et les multiples infractions sur la législation au financement électoral sont très loin de “laver” les mains du maire FN.

Quant à l’éthique de la gestion interne de la mairie, les points positifs sont difficiles à percevoir, et cette gestion possède des traits assez caricaturaux. Une ambiance de “clientélisme clanique” (des militants, des adhérents, voire des cadres du parti sont embauchés à tour de bras), de “népotisme” (la municipalité préfère et favorise l’embauche des membres de la famille et proches des employés, rétrograde en touchant le stade de l’humiliation et, dans le pire des cas, ne reconduit pas les contrats du personnel lié à la majorité sortante) règne durant le mandat Le Chevallier. Mais le phénomène le plus notable est bel et bien le “clientélisme électoral” (le parti va utiliser son pouvoir sur  la ville pour favoriser des associations proches du parti, notamment l’association d’Eliane La Brosse, partageant une ligne politique idéale pour le parti frontiste à la mairie), vivement décrié par les toulonnais et le parti frontiste lui-même en la personne de Jean-Yves Waquet, candidat FN en 2014 pour les municipales toulonnaises.

Et pour aujourd’hui ?

Un mauvais souvenir  pour les toulonnais, un bilan relativement difficile pour le parti lui-même, via M. Navarranne qui a avoué que “face à l’hostilité générale des politiciens du système, les réussites ont été moins nombreuses, même s’il y a eu un certains nombres de projets comme celui du palais Liberté ou encore celui du tramway”, un projet qui n’a d’ailleurs jamais vu le jour.

Mme. Le Pen, actuelle présidente du parti

Toulon fut l’une des premières villes a avoir essayé l’alternative Front Nationale. Une réelle “alternative” aux vues de ce bilan plus que mitigé? La question est à se poser. Les français “font de plus en plus massivement confiance au Front National”, nous lança l’élu et membre du comité central du parti en ajoutant que “c’est bel et bien la situation qui changé, et non le parti lui-même” en réponse aux derniers sondages donnant Marine Le Pen en tête des intentions de vote.

A près de 50 jours du premier tour des présidentielles, il est clair que la situation est bien différente, mais le schéma reste le même. L’Histoire va-t-elle se répéter ?