À force de temps, de collaborations évènements et grâce à une communauté de plus en plus dense, la marque Supreme est devenue un monstre du streetwear et de la mode. Derrière cet empire se cache James Jebbia. Un personnage discret, loin du culte de la personnalité que développent certains des plus grands patrons de l’industrie.
Pourtant, Jebbia est bien le pilier de la marque la plus tumultueuse que le streetwear ait connu ces dernières années. Entre ses débuts dans le business de la mode à son expansion mondiale avec Supreme, découvrez comment James Jebbia s’est assis sur le trône du streetwear.
Jebbia est issue d’une famille de classe moyenne supérieure, dont le père était pilote de l’armée de l’air et la mère professeure d’anglais. Il vit une enfance on ne peut plus banale dans l’Angleterre des seventies. Ce mode de vie simpliste et dans la discrétion va se retranscrire des années plus tard dans sa manière de gérer son image à la tête de Supreme. En grandissant c’est tout naturellement que sa passion pour l’art et plus particulièrement la mode grandit avec lui, à une époque ou la vague punk déferle sur le Royaume-Uni. Après avoir enchainé les petits boulots sans intérêts, James décide de déménager à New York en 1983 afin d’assouvir sa passion pour la mode.
Sa vie est marquée de zones d’ombre, et il est difficile de connaitre ses réelles activités et les dessous de sa vie entre 1983 et 1989, si ce n’est qu’il travaille alors dans la boutique Parachute de NYC. Après 6 années de sacrifices et de travail, Jebbia peut enfin réaliser l’un de ses objectifs de longue date : ouvrir son propre store. Cela se produit au cours de l’année 1989 avec l’ouverture de sa boutique Union NYC, qui avait à l’époque pour objet de revendre des marques anglaises telles que Fred Perry.
En 1980, alors que Jebbia n’avait pas encore mis les pieds sur le sol américain, Shaun Stüssy lance sa marque, la désormais célèbre Stüssy. Une marque qui à l’époque s’appuyait sur le courant surfwear très propice en Californie. James Jebbia et Shaun Stüssy vont finir par croiser leur route et Jebbia vendra alors chez Union la marque de Shaun. Le partenariat se déroula si bien que Shaun proposa alors à James d’ouvrir une boutique Stüssy en 1991 à Prince Street. Les choses se déroulent au mieux pour Jebbia, mais ce dernier a plus d’ambition que le simple fait de tenir une boutique. C’est alors qu’en 1994, grâce à ses relations et quelques 12 000 dollars d’économie il lance Supreme. L’histoire est en marche.
L’idée part d’un principe simple : à cette époque, il s’aperçoit que les vêtements fabriqués par les marques de skate ne sont pas au niveau qualitatif que mérite la communauté. Il constate de ce fait que cette défaillance qualitative est un frein pour le public ciblé. C’est dans cette optique que naît Supreme. 23 ans après, impossible de nier la clairvoyance de Jebbia sur une communauté qu’il ne fréquentait pourtant pas directement. Jebbia a prouvé de ce fait qu’il était possible de créer la marque skatewear la plus prolifique de l’histoire, sans n’avoir jamais posé les pieds sur un skate.
Avec Supreme, l’objectif de Jebbia se mesure en trois temps. Tout d’abord créer une marque de skate qui se démarque qualitativement et permet à cette vaste communauté d’obtenir les outfits et la qualité textile qu’ils méritent. Il souhaite à la base avant tout proposer des vêtements de qualité : les chinos sont renforcés, les tee shirts particulièrement épais. C’est du sportswear bien fait, pour une utilisation quotidienne.
En opposition à ce modèle de départ, il s’agira ensuite pour lui de s’assurer que sa marque crée la controverse et de permettre à Supreme de se forger une image rebelle et imager dans l’esprit du consommateur que porter du Supreme c’est porter un sentiment d’appartenance à une idéologie et un mode de vie. Et enfin, crée le désir. Donner le sentiment aux « kids » que porter du Supreme c’est faire partie d’une communauté élitiste. Jebbia justifie le peu de pièces des collection de sa marque par la nécessité de ne pas se retrouver avec des invendus sur les bras. La vérité est que cette limite de quantité offre une aura unique à la marque. Le New York Times a parfaitement résumé l’idée :« Avec Supreme, il faut gagner le droit d’acheter ».
À travers le modèle marketing qu’il a mis en place et le culte de la marque qui s’est développé, Jebbia a adapté certaines stratégies de marques de luxe — quantités limitées, branding à vocation iconique, démarcation du consommateur lambda — pour les adapter à une marque de streetwear : une grande première. Le pari était loin d’être gagné. Pourquoi un skateur accepterait-il de payer plus cher des produits de qualité similaires à ceux d’autres marques ayant le même objet ? Pourquoi acheter une veste The North Face x Supreme alors que le modèle TNF original est similaire en bien des points et ce pour quelques centaines d’euros de moins ? Car au-delà du simple précepte de base qui est celui de mettre en oeuvre un nouveau modèle commercial, basé sur l’exclusivité et les quantités restreintes, James Jebbia a su généré de l’attention, au départ, une hype extraordinaire, ensuite. Cela est d’abord passé par la construction même du logo dans un rouge vif et reconnaissable de tous, inspiré de l’oeuvre de Barbara Kruger, dont il ne possède d’ailleurs pas le copyright. Ensuite, il s’est agit pour Jebbia et sa marque d’imposer aux yeux de tous ce logo comme le symbole d’un nouveau cool, l’affichant alors sur des photo-tees parfois polémiques comme ceux de Kate Moss ou de Morrissey, puis en le déclinant dans d’innombrables collaborations sensées consolider le prestige de la marque et l’attention que le public lui porte. Depuis quelques années et l’explosion des réseaux sociaux proposant des contenus basés sur l’image, le phénomène s’est encore amplifié. Les temps ont bien changé mais Supreme a su en profiter pour décupler encore un peu plus son image de marque et sa puissance dans le monde de la mode.
James Jebbia a su faire de Supreme la marque de streetwear la plus adaptée et la plus désirée sur toutes ces plateformes et plus seulement dans la rue, comme il y a quelques années où seul une “élite” portait la marque et reconnaissaient les personnes en faisant autant. Depuis New York, où il supervise l’essentiel des activités de la griffe, Jebbia se fait discret, presque invisible. Il vit dans un grand loft au coeur de Greenwich Village, avec sa femme et sa fille, où il mène d’après ses propres dires une vie tranquille, loin de la folie que déclenche chaque jeudi la marque au logo rouge.
Il est forcément plus facile de qualifier quelqu’un de visionnaire une fois que ce dernier a réussi, mais lorsque l’on s’intéresse aux origines de la marque, on réalise à quel point Jebbia avait su cibler les besoins d’une communauté à fort potentiel. Et même si aujourd’hui, Supreme n’est pas exempt de tout reproche et que l’on peut s’interroger sur la durée de sa suprématie, James Jebbia a réalisé un coup de maître qui dure depuis 23 ans maintenant. Son enseigne a su résister aux procès, à la concurrence, à l’évolution du public, pour désormais être celle qui décide des tendances de demain. Et ça, personne ne pourra le lui enlever.