Lord Esperanza : l’enfant du siècle veut casser les codes du rap

Si vous n’avez pas encore entendu parler de Lord Esperanza, c’est probablement que vous vivez sur une autre planète que celle du rap français.

Après des EPs sortis dans un relatif anonymat et des clips vus des centaines de milliers de fois sur YouTube, le jeune rappeur parisien prend chaque jour un peu plus le chemin du succès, comme le montre la réussite de son EP « Drapeau Noir » réalisé avec Majeur-Mineur. Portrait d’un phénomène dont la polyvalence et la musicalité risquent de faire du bruit dans le rap français.

Né à Paris, il acquiert grâce à ses parents une sensibilité artistique dès son plus jeune âge. Après avoir joué du piano pendant des années, il découvre le rap quand son père écoute MC Solaar et sa soeur Doc Gyneco. Le jeune parisien s’ouvre très tôt à de nombreuses formes d’art, que ce soit la peinture, de Delacroix à Dali, la littérature avec Ferdinand Céline ou encore la musique avec Amy Winehouse. Grâce à ses amis, sa famille et les voyages qu’il effectue durant son enfance, Esperanza développe une grande curiosité et très vite, « ça s’est transformé en un besoin d’assouvissement, d’émulation », nous explique-t-il. Ainsi, âgé d’à peine 11 ans, le futur Enfant du siècle écrit une nouvelle de science fiction d’une quarantaine de pages, inspiré par sa lecture de 1984 de Georges Orwell, qu’il admet avoir du relire quelques années plus tard pour en comprendre pleinement le sens.

Encore très jeune, il lit donc Orwell, mais aussi et surtout de la poésie, avec Apollinaire, Baudelaire, Rimbaud, Prévert et… Brel. Le chanteur, qu’il considère comme l’un des meilleurs interprète, lui a permis de voir l’écriture d’une façon nouvelle. « Pour la première fois, j’ai réalisé que j’avais un intérêt pour l’écriture, j’avais des carnets et j’écris pour apprendre à me connaître, me découvrir. » explique Lord Esperanza. « Depuis, toutes choses fortes humainement que je peux vivre, je les retrouve ensuite dans l’écriture. »

Une carrière à l’image de la nouvelle génération

Grâce à un groupe comme Sexion d’Assaut, particulièrement Black M et Maître Gims, puis l’émergence de la nouvelle génération emmenée par L’Entourage, le passage de l’écriture au rap s’est fait naturellement. « J’écoutais beaucoup de rap. J’étais avec quelques amis, il y a une instru qui est partie et on s’est mis à rapper dessus. » se rappelle-t-il. Dès ses 15 ans, le Lord n’a plus qu’une idée en tête : faire de la musique sa vie, et tout mettre en oeuvre pour y parvenir le plus vite possible. À cette époque déjà, il avait une vision assez long termiste de ce qu’il envisageait pour sa musique. Malgré les remises en question inhérentes à l’adolescence et au travail, il est d’ores-et-déjà persuadé qu’il pouvait « faire quelque chose » dans le rap. Signé depuis ses 18 piges (« Bitch ! ») chez Modulor, il est très productif et partage de nombreux morceaux et clips sur YouTube. Comme souvent, le début de l’acquisition d’une notoriété se joue sur un coup : « Il y a eu le morceau Killcam, avec Eden Dillinger et Django, qui a littéralement fait exploser mes stats. J’avais beaucoup travaillé en amont, et quand ce clip est sorti, le clip de Trap Tears II était déjà prêt et quand je l’ai balancé derrière j’ai tout de suite vu une différence par rapport à avant ce morceau », explique Lord Esperanza.

Après ce premier succès, Jean Morel de Grünt, également chroniqueur chez Radio Nova, les contacte via Twitter pour leur proposer de faire une émission. La musique va vite et les carrières également, comme le montre Esperanza : « J’écoutais les premiers Grünt, et 2 ans après je me retrouve à en faire un, c’était énorme pour moi. » Après Grünt et Killcam, il dispose d’une base de plus en plus solide et ses morceaux rencontrent chaque jour un succès un peu plus grand. Si l’engouement après ces deux évènements a perduré, il pense que c’est grâce à la productivité qu’il a développé après. De nombreux morceaux partagés sur Soundcloud ou YouTube, et enfin, comme une première consécration dans sa jeune carrière, la sortie de son EP commun avec le producteur Majeur-Mineur « Drapeau Noir ». Ce projet est bien tombé, exactement au moment où il y avait une certaine attente et une forte demande pour sa musique : c’était une façon de transformer l’essai.

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“J’essaie de comprendre ce qui forge l’intemporalité”

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Le sens de la musicalité

Ce qui ressort et qui frappe dans la musique de Lord Esperanza, c’est l’attention qu’il porte à la musicalité de ses titres. Que ce soit le calibrage de l’autotune, les productions, les voix et les flows qu’il emprunte, tout ce qu’il fait reflète une recherche toujours plus grande de qualité. Pour lui, l’important est de sortir des codes et de ce qui apparaît comme « classique » dans le rap, à l’image de morceaux comme Drapeau Noir ou Comme tous les autres, qui sont d’après lui de simples esquisses de ce qu’il a envie de faire par la suite. Plus mélodieux, parfois chanté, souvent autotuné, son rap prend des chemins différents de ce que l’on entend aujourd’hui. « Je fais ça pour me développer. C’est une volonté d’aller plus loin, de ne pas me laisser enfermer dans un style du rap et parfois en sortir pour surprendre, par exemple en m’inspirant des artistes que j’apprécie et qui ne font pas de rap » confie Esperanza. « J’essaie de comprendre ce qui forge l’intemporalité. Parce que c’est ça qui va faire de moi un artiste ou non. Pour durer, il faut surprendre : un artiste, c’est quelqu’un qui se réinvente. »

Il l’affirme, le seul fait de tenter de sortir de ces codes est une réussite. Il se place dans une recherche finalement simple mais ô combien compliquée à atteindre : entre l’innovation et l’intemporalité.

Ce qui frappe également chez lui, c’est la qualité de sa plume. Des rimes riches, des messages, même ses titres d’egotrip sont remplis de phrases que beaucoup n’oseraient pas placer dans leur titre de peur de ne pas avoir le flow ou de ne pas être compris. Dans sa musique, il y a une critique constante du comportement humain, qui croise souvent au détour d’une ligne le besoin et l’envie de reconnaissance. Chez lui — comme dans le rap en général — l’egotrip tient une place importante, particulièrement depuis qu’il a réussi à créer un certain engouement. Et le BPM très trap qu’il apprécie ne l’empêche pas de formuler une forme de rap conscient : « Il est temps que l’audimat gobe toute leur mise en scène, enfant soldat ne sait plus sur quel pied danser, j’me recueille sur sa tombe non-fleurie de chrysanthème, on pleure des génocides que l’on a financé » lâche-t-il ainsi dans son dernier titre Silver aux sonorités très trap. Il met en lumière une forme de rap souvent conscient jusqu’alors peu présente dans ces sonorités, ce qui donne des bangers conscients, des sons traps aux résonances engagées, à l’image de L’insolence des élus, présent dans Drapeau Noir. « On a fait des bangers conscients sur des productions trap. Avec L’insolence des élus, la prod — particulièrement chaude — qu’a sorti Majeur-Mineur, c’est purement de la trap. C’est assez drôle ce que j’ai fais dessus, car au final il s’attendait à tout sauf à ça en me la présentant et au final c’est un de ses morceaux préféré » explique-t-il.

Le travail comme moteur, la visibilité comme objectif

S’il n’a pas encore la vie d’un Trap Lord, la vie d’Esperanza a beaucoup changé depuis un an. Quand il a compris qu’il voulait vraiment faire de la musique et qu’il avait des chances de réussir dans ce domaine s’il travaillait, il lâche tout pour se consacrer uniquement à sa musique. Il oscille aujourd’hui entre concerts, studio, écriture et ses divertissements que sont la lecture et ses amis notamment. Une grande partie de son quotidien se déroule avec Majeur-Mineur, qui au delà de son rôle de producteur est également un conseiller, presque un directeur artistique, avec lequel il échange constamment que ce soit pour leurs projets communs ou non.

Photo : Florent Marti

« Je ne me repose pas. C’est une réponse du ciel, parce que j’ai toujours espéré ça. Mais je ne me repose pas, j’ai envie d’aller plus loin en terme de création, de connaissance, de renommée. J’ai besoin de me réinventer et de travailler sur moi-même, que ce soit pour l’humilité ou l’égo, et j’essayer un maximum de transmettre et de donner de la force, de faire savoir ce que je kiffe et qu’il y a beaucoup de talent dans mon entourage. C’est important pour moi de les faire connaître » nous raconte le Lord. « J’écris beaucoup, que ce soit dans les transports ou chez moi, je tente des choses, je vais beaucoup en studio, je commence à avoir pas mal de concerts et j’en suis très content. Je travaille aussi à la promo, pour présenter ce que je fais en toute humilité. Et je m’amuse, bien sûr, et j’essaie de me cultiver au maximum, en allant au théâtre, au ciné… »

La suite, pour Esperanza, passera par la création d’un label avec Majeur Mineur afin de bénéficier de sa propre structure. À seulement 20 ans, le rappeur a déjà une plume poétique et une esthétique de mélomane qui ne pourront que faire du bien au rap français lorsque les paliers qu’il se fixe pour la suite seront franchis.


Vous pouvez (ré)écouter son EP Drapeau Noir avec Majeur-Mineur ci-dessous et le suivre sur Facebook, YouTubeTwitter, Instagram ou encore Soundcloud.