2017. Les albums de rap, les uns après les autres, trustent les premières places des classements iTunes. Les albums américains oui, bien sûr, mais aussi ceux bien de chez nous.
Le rap c’était mieux avant. Qui n’a jamais entendu cette phrase sortir de la bouche de prétendus puristes, blasés par des années passées à écouter en boucle les classiques des années 90 ? Tellement blasés que pour eux ce qui se fait aujourd’hui n’est qu’un immense ramassis de merde, tout juste bon pour ces ados sans goûts et en manque de personnalité qui passent leur temps sur Twitter à envoyer des messages de soutien au dernier MC dont ils se sont pris d’amour. La violence avec laquelle certains attaquent tous les enthousiastes de la nouvelle scène nous apprend au moins une chose : ils sentent l’héritage qu’ils portent dans leur coeur menacé. Pourquoi ?
Ces personnes ne sont pas aveugles et encore moins sourdes. Car, force est de le constater, le rap français n’a jamais été aussi productif, varié et populaire. Si l’on peut dans une certaine mesure regretter qu’il soit entré dans la pop culture française, on ne peut en revanche que se réjouir de la diversité qui le compose aujourd’hui. C’est très simple, tous les styles sont aujourd’hui disponibles à portée de clic. Que ce soit un rap mélodieux ou trap, autotuné ou pur, violent ou doux, old school ou futuriste, ou même un mélange de tout cela. Il y a de tout. Et il y en a pour tout le monde. Grandement aidé par une nouvelle scène qui se compose depuis 5 ans, le rap n’a jamais été un vecteur aussi puissant et populaire.
De Rap Contenders à L’Entourage, un premier élan
Ce renouveau de la scène française a commencé dès 2011. Le temps est plutôt à la fête, l’été est chaud et les jeunes membres de l’Entourage prennent toute la lumière qu’il offre. Grâce aux Rap Contenders, ces battles de rap virales qui tournent sur YouTube, de nombreuses jeunes pousses du rap se sont révélées, à la faveur d’un genre simple et fun qui avait peu à peu disparu dans le courant des années 2000. Les clashs, à l’image de ceux de Nekfeu contre Logik Konstantine, resté célèbre pour son Clap clap, Guizmo contre Aronstrong, Deen Burbigo contre Taïpan ou encore Jazzy Bazz contre Gaïden, deviennent viraux et font découvrir à toute une génération une forme de rap vivante et sympathique. Le rap est maintenant un contenu se diffusant et se partageant en masse, même si l’artiste n’est pas Booba ou Rohff.
Dans le même temps, ces monuments du rap français continuent de peser de tout leur poids sur le genre à l’image de Booba, sans pour autant rencontrer un succès aussi net qu’aujourd’hui de par le côté moins pop qu’avait leur musique : Lunatic, sorti fin 2010, sera premier des charts pendant une semaine, tandis que Futur, sorti en 2012, atteindra la 4ème place des charts qu’il occupera aussi pendant une semaine. La musique se vend, mais elle n’est pas consommée de la même manière qu’aujourd’hui, et elle n’est pas aussi variée. On pense alors que seuls ces quelques grands noms du rap français peuvent se permettre de rivaliser avec la variété et la pop musique.
En juin 2011, durant l’année où les Rap Contenders font la pluie et le beau temps sur les jeunes pousses du rap français, 1995 partage son premier EP La Source. Il se place à la 23ème place des charts, ce qui est exceptionnel pour un premier album de rap produit par un groupe jusqu’alors assez anonyme. Leur second EP La Suite se place lui 8ème et leur premier album Paris Sud Minute, sorti en décembre 2012, se place à la 4ème place. Le succès est donc immédiat, pour de nombreuses raisons. La qualité, d’abord, est au rendez-vous. Le son est funky, assez brut, sans énorme prise de risque mais en reprenant des sonorités du rap français old school qui plaisait tant aux anciens. Forcément, ces derniers ont la critique sévère. Ils attaquent la légitimité des membres du posse à s’inspirer de cet héritage, les accusent de s’approprier une culture qui n’est pas la leur car ils ne viennent pas des cités. Qu’à cela ne tienne, le succès est au rendez-vous. Les clips sont vus des centaines de milliers de fois sur Youtube, ce qui pour un titre de rap n’était à l’époque pas si fréquent, les sons sont repris dans toutes les soirées, bref, l’arrivée de 1995 dans le game est un vrai, grand vent d’air frais.
Le succès n’est pas uniquement commercial, et il entraîne dans son sillon toute une nouvelle génération de rappeurs. Grâce aux réseaux sociaux et aux sites spécialisés, 1995 acquière une popularité conséquente et entraîne dans son sillage tout L’Entourage et les nombreux jeunes qui composent le groupe : Guizmo, Deen Burbigo, Jazzy Bazz et tant d’autres disposent alors eux aussi d’une visibilité nouvelle et d’une oreille qui n’est pas celle des auditeurs classiques de rap : on juge moins, on est plus patients et même si le style perturbe parfois, la critique est clémente et même le plus souvent enthousiaste. Depuis combien d’années une telle vague nouvelle n’avait pas déferlé sur le milieu ? Leur succès a l’image d’une prise de conscience chez de nombreux aspirant rappeurs : grâce aux nouvelles formes de communication, tout est possible et surtout le meilleur. Même si la rémunération de YouTube n’est pas fantastique, elle permet à un grand nombre d’investir dans leur musique après le succès voire le buzz d’un de leur clip partagé sur la plateforme vidéo. Les compteurs de vues s’affolent très vite autour de nouveaux artistes et de nouveaux concepts, comme la Poignée de punchline, deviennent également populaires. Un nouveau public rap se crée, de nouveaux styles débarquent, le renouveau du rap français peut commencer.
Après un premier regain d’intérêt à la fin des années 2000 grâce notamment à Sexion d’Assaut, le rap français connaît une nouvelle dynamique grâce à la viralité de ses jeunes pousses. Maintenant que ce genre peut redevenir mainstream, il peut à nouveau se diversifier jusqu’à devenir le style de musique le plus populaire.
Une diversité nouvelle
La patte qu’apportent au départ ces jeunes rappeurs de L’Entourage est somme toute assez classique. Un rap brut sur des productions à tendance old school, des textes techniques et entrainant, bref, un revival du rap “à l’ancienne” à la sauce du début des années 2010. Ce qui est intéressant, c’est que cette première approche classique permet ensuite à tout un lot d’artistes de développer et de tester de nouvelles sonorités, bien aidée également par la nouvelle vague américaine amenée par le A$AP Mob, Kanye West et consorts, qui par leur approche musicale bouleverse les codes du rap. En France, Booba apporte de son côté les premières teintes d’autotune, ce pour quoi il est très largement critiqué même si le succès est au rendez-vous : les auditeurs français ne sont pas encore prêts pour un tel bouleversement des sonorités habituelles que revêt le rap.
Cela n’empêche pas de nombreux artistes à envisager le rap d’une nouvelle manière. Un retour au boom-bap des 90’s pour 1995 tandis que du côté de L’Entourage on nous propose petit à petit des titres à la manière des bangers américains sans pour autant revêtir la même violence dans leurs paroles, sans être cadenassés par des thèmes classiques : l’approche est plus décontractée et en cela elle est authentique. On le sait désormais, on peut s’inspirer du rap américain sans s’appeler Booba.
Booba, justement, va lui aussi avoir sa part dans le renouveau de la scène rap française. À la fin de l’année 2012, il sort le titre Kalash en featuring avec Kaaris. Ce dernier, jusqu’alors dans un relatif anonymat, va apporter avec lui le producteur Therapy et une nouvelle couleur à la palette du rap français, celle de la trap pure et dure, inspirée très largement de ce qui se fait à Atlanta. Ce genre de tracks, jusqu’ici peu nombreux et surtout peu connus, va être mis sur le devant de la scène grâce à Booba et permettre à Kaaris d’occuper quasiment seul ce créneau en France, tout en acquérant une solide fanbase et un public fidèle qui lui permet de sortir en solo des titres tels que Zoo ou S.E.V.R.A.N qui à leurs tours le feront passer dans une nouvelle dimension sans qu’il n’ait plus besoin de Booba pour l’épauler.
En 2012, toujours, débarque Joke. Tout droit sorti de MTP (Montpellier), le jeune MC chamboule le rap game dès la sortie de son EP Kyoto et notamment le featuring avec Niro et Mac Tyer sur le titre Scorpion et confirme quelques mois plus tard avec son EP Tokyo. Une esthétique exceptionnelle, des paroles crues, un flow différent aux consonances américaines : le kid de MTP rencontre un succès fou sur les réseaux sociaux et ses clips, dont beaucoup sont tournés au Japon pour renforcer l’identité de ses EP, enchaînent les millions de vues. Avec le titre On est sur les nerfs, le montpelliérain crée l’évènement en utilisant une production électro qui prend une grande place dans le morceau et marque sans doute le retour des producteurs au premier plan. Bref, dès 2012, trois tendances majeures se dégagent d’un point de vue stylistique et leur succès permet dès alors à de nombreux autres artistes d’innover à leur tour.
PNL, l’illustration parfaite d’un nouvel âge d’or
Qu’elles paraissent loin les années 1990 lorsque l’on entend PNL. Le duo des Tarterets a débarqué en 2015 sur YouTube et a tout explosé sur son passage, au point d’être programmé au festival américain de Coachella deux ans après seulement. Une esthétique musicale autotunée et rafraîchissante, des visuels léchés, une communication digne des plus grands, PNL est arrivé dans le paysage français à toute allure et a fait voler de nombreux codes jusqu’alors utilisés dans le rap. Grâce également à des paroles franches et puissantes, PNL a donné à son rap une forme violente mais belle, triste et résignée mais toujours ambitieuse. La façon dont ils décrivent leur vie sans concession, couplée à la force de l’autotune, aux productions planantes et à leur sens de la communication a donné à leur musique une audience incroyable.
Et surtout, ces derniers ont prouvé qu’aujourd’hui tout était possible dans le rap. Il n’y a en effet que peu de chances que leur musique ait autant fonctionné il y a de ça 5 ans, lorsque Booba se faisait descendre par les “puristes” pour son utilisation de l’autotune. Le constat s’applique également avec un rappeur comme Jul : qui peut aujourd’hui penser en toute sincérité qu’il aurait rencontré un tel succès en 2008 ? Si sa base de haters est aujourd’hui déjà conséquente, imaginez seulement quelle aurait été sa taille en ce temps.
Car si le rap, sous toutes ses formes, peut aujourd’hui prétendre au succès commercial et à une telle diversité, c’est également grâce à la popularité qu’il a acquis. Pour résumer grossièrement l’évolution des ventes dans le rap, en 2008, seuls 3 albums de rap avaient été certifiés disque d’Or ou mieux : Les Cités d’or des Psy 4 de la rime, 0.9 de Booba et la Compilation Planète Rap de Skyrock, sur un total de 87 certifications Or ou mieux. Les albums de rap représentaient donc seulement 3,4% des certifications. Le marché de l’industrie musicale a bien sûr beaucoup évolué, notamment depuis l’arrivée du streaming, mais en comparaison avec cette année 2008, en 2016, 26% des 77 certifications étaient des albums de rap français, soit 20 albums. De Gradur à Damso en passant par Jul, PNL ou encore Booba, Maître Gims, la MZ, Lacrim et SCH, pour ne citer qu’eux. Mieux encore, sur les 5 albums certifiés Disques de Diamant durant l’année 2016, deux albums de rap se positionnent, avec Cosmopolitanie de Soprano (sorti en 2014) et Mon Coeur Avait Raison de Maître Gims (lui aussi sorti en 2014.) Ainsi, le rap se vend plus et touche un public infiniment plus large qu’auparavant même du point de vue des ventes, en plus des succès visibles comme la viralité des clips partagés sur YouTube qui se classent immanquablement parmi les vidéos les plus visionnées quand l’artiste a du succès.
Le paysage médiatique a lui aussi évolué, permettant d’élargir la fanbase des amateurs de rap. Sous l’impulsion des entretiens Clique de Mouloud Achour et de OKLM (web, radio et TV), ils ont soit démocratisé l’accès à des rappeurs jusqu’alors confidentiels comme avec les #TalentsOKLM, soit en donnant la parole aux artistes d’une façon différente des interviews classiques avec les #CliqueX, permettant au public rap de mieux connaître les artistes et de les rapprocher, suscitant souvent encore plus l’envie de nouvelles découvertes chez les fans.
Grâce notamment à cet élargissement de tous les champs qui font le succès du rap (sa diversité, sa diffusion et bien évidemment ses talents), on voit aujourd’hui de nombreux nouveaux talents débarquer dans le milieu. L’année 2016 a par exemple été marquée par la sortie de Batterie Faible de Damso, mais ils sont très nombreux à arriver dans le jeu à coup d’innovations, de styles différents. Que ce soit Ashh Kid, Jorrdee, Kekra, Take A Mic, Romeo Elvis, Lord Esperanza, Nusky&Vaati, Columbine, Lesram, L’ordre du Périph, Méloman, O-Boy, B-Biface, JEEM, Laylow et tant d’autres encore, nombreux sont les rappeurs qui innovent et tentent de faire leur trou grâce au rap.
Le rap français n’a jamais été aussi diversifié et puissant qu’aujourd’hui. Jamais il n’a été autant écouté : c’est aujourd’hui l’un des styles les plus populaires de France. Des Rap Contenders à cette année 2017 déjà riche en projets, le genre a pris du poids et se présente aujourd’hui avec plus de styles différentes, d’innovations, de qualité, de musique… Sans les années 1990, cela n’aurait jamais été possible, que cela soit bien clair, et l’on ne dit pas ici que la période actuelle est supérieure. Mais force est de la constater : le rap français vit un nouvel âge d’or, pour le plus grand plaisir de nos oreilles.