Crédit : Versace

En rachetant Versace, Michael Kors souhaite réveiller un géant endormi

Le rachat de la griffe italienne par Michael Kors a été officialisé hier. Cette acquisition soulève toutefois de nombreuses questions, comme la progressive perte d’indépendance des maisons italiennes et la volonté des conglomérats américains de concurrencer LVMH et Kering.

Véritable objet culturel de notre époque, Versace a connu un nouveau rebondissement dans son histoire déjà mouvementée. La maison fondée en 1978 par la fratrie composée de Gianni, Donatella et Santo a été acquise par Capri Holdings pour 1,8 milliards d’euros ce mardi 24 septembre. Derrière ce nom romantique à souhait et évocateur de la Dolce Vita italienne, se cache en réalité Michael Kors Holdings, le conglomérat créé par la célèbre marque américaine de maroquinerie. Un nouveau super-groupe dont le but à terme est clair : Devenir le premier conglomérat du luxe américain, puis, être en mesure de rivaliser avec les mastodontes européens que sont LVMH et Kering sur le long-terme.

Après avoir acquis la marque de chaussures de luxe Jimmy Choo en 2017 pour 896 millions en 2017, Capri Holdings est désormais un serpent à trois têtes, qui n’ont pas vraiment d’identité commune. Un chausseur britannique, un maroquinier américain et un couturier italien sont donc le trio qui composent le conglomérat américain qui cherchent à dépasser ses compatriotes Tapestry (Kate Spade New York, Coach, Stuart Weitzman) et PVH (Calvin Klein et Tommy Hilfiger). L’annonce du rachat de Versace par Michael Kors a néanmoins plutôt inquiété les marchés, l’action de la griffe de sacs à main ayant perdu 8% lorsque la presse s’est mis à relayer les premiers bruits faisant état de la transaction. De nombreux analystes considèrent en effet que Michael Kors a “surpayé” Versace, en investissant une somme qui équivaut à plus du double des revenus actuels de la maison dirigée par l’exubérante Donatella.

Le plan de Capri Holdings pour Versace est clair : Redresser les ventes déclinantes de la marque, tout en s’associant à l’un des noms les plus connus de la haute-couture mondiale. Pour parvenir à ses fins, le conglomérat américain va ouvrir 100 boutiques Versace à travers le monde, améliorer son shop en ligne et mettre l’accent sur les collections d’accessoires et de footwear. Comme l’explique Business of Fashion, ces départements représentent pour l’instant 35% des ventes de Versace et Capri Holdings a pour objectif de les faire passer à 60%. Une stratégie en total accord avec la tendance mondiale des sneakers de luxe, prisées par les millenials et les influenceurs.

 

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Reste désormais à savoir comment s’intégrera la maison Versace à l’univers du luxe construit par Capri Holdings. De nombreux observateurs regrettent par exemple le manque de cohérence entre Michael Kors et Versace, quand les sacs du premier n’excèdent que rarement les $500 alors que ceux de la griffe italienne en coûtent le triple. Vendus dans tous les malls du pays de l’Oncle Sam, les sacs à main Michael Kors sont synonymes du luxe abordable pour le grand public, à des années lumières de l’identité exclusive de Versace. Néanmoins, les trois marques regroupées dans Capri Holdings partagent toute une identité commune de luxe à la fois clinquant et glamour, rimant souvent avec jet-set et show business. De plus, selon le cabinet Bain & Company, le marché du luxe devrait connaître une croissance de 8% cette année, confirmant son excellente santé actuelle.

Le chemin pour concurrencer Kering et LVMH sera toutefois (très) long, les revenus additionnés de Jimmy Choo, Versace et Michael Kors en 2017 étant inférieurs à ceux Gucci, porte-étendard du groupe français dirigé par François-Henri Pinault. Gucci, une maison italienne contrôlée par un groupe étranger, comme Versace l’est désormais. Cette tendance de regroupement ne date certes pas d’hier, mais est symptomatique d’une industrie où les griffes de luxe préfèrent souvent s’allier entre elles pour format des groupes à la puissance de frappe titanesque, que de continuer en solitaire. Dolce & Gabbana et Giorgio Armani sont quelques uns des derniers exemples des maisons de la Botte ayant fait le choix de l’indépendance. Reste à savoir jusqu’à quand. Les derniers mouvements en date dans le monde de la haute-couture rappelleront à certains les alliances opérées par les grands médias américains lors du siècle dernier afin de créer le Big 6, soit six gigantesques conglomérats qui contrôlent désormais plus de 90% des médias outre-Atlantique.

Définition même de l’entreprise familiale, Versace était jusque là détenue à 80% par Donatella Versace, son frère Santo et sa fille Allegra. Et même si la maison est passée sous pavillon américain, sa célèbre directrice créative a annoncé que son ADN demeurerait intacte : “Je suis fière que Versace demeure fort à la fois dans la mode et dans la culture moderne” a-t-elle déclaré à Business of Fashion. “Versace n’est pas seulement synonyme de style iconique et sans faux-pas, elle est aussi synonyme d’ouverture et de brassage culturel, ainsi que de donner aux gens le pouvoir de s’exprimer” conclue Donatella Versace, visiblement sûre du bienfondé de ce rachat par Capri Holdings.

 

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A la tête de la maison depuis la mort de son frère Gianni, Donatella Versace a su faire perdurer la marque milanaise au sommet de la haute-couture mondiale. Car Versace, plus qu’une griffe de luxe, est devenu au fil du temps un symbole culturel qui possède sa propre mythologie. L’assassinat de Gianni Versace en 1997 a inspiré de nombreuses oeuvres, à l’image de la récente et excellente deuxième saison d’American Crime Story, la popularité de la marque auprès de la scène hip-hop, Migos en tête, ainsi que son utilisation des mannequins les plus célèbres au monde lors de chaque défilé ont contribué à créer un très fort imaginaire de marque dans l’esprit du public. Symbole du bling-bling de bon goût et du clinquant raffiné, Versace a néanmoins connu des difficultés financières au cours de la dernière décennie. Être un acteur majeur de la pop culture contemporaine ne fait pas tout.

En plus de ventes en baisse depuis plusieurs années, Versace peine à se renouveler artistiquement et à aller débaucher les plus grands noms de l’industrie pour donner un impulsion artistique nouvelle à la marque. Longtemps pressenti pour prendre les rênes de Versace, Ricardo Tisci avait finalement filé chez Burberry, tandis que Kim Jones, lui aussi annoncé du côté de Milan, avait opté pour Dior suite à son départ de Louis Vuitton. Cette incapacité à franchir le gap qui la sépare des plus grandes marques de luxe avait été publiquement avouée par Gian Giacomo Ferraris en 2015, alors qu’il était directeur général de Versace : “On a un équilibre en termes de collection Homme/Femme et en tant que marque on a une reconnaissance internationale très forte, une ADN puissante et des archives fantastiques. Si nous pouvions trouver un moyen pour réveiller ce géant qui sommeille… Mon dieu, il aurait du pouvoir.” C’est tout le challenge pour Michael Kors. Du côté de Donatella, l’avenir de sa maison semble très clair : “Les italiens ne font pas de compromis. Versace est une marque de luxe et restera une marque de luxe.” Le géant endormi peut désormais débuter sa seconde vie.

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