Comment “Paris” est devenu le nom le plus bankable de l’histoire de la mode

Comme chaque année à la même époque, l’effervescence se fait ressentir en ce début de Fashion Week parisienne. Capitale mythique de la mode, la Ville Lumière a su résister à l’épreuve du temps pour conserver son éclat et son attraction. Et lors que le gratin de la mode mondiale est en train d’établir ses quartiers temporaires dans la capitale, il est temps de se poser deux questions : D’où vient l’attrait de la fashion sphère pour cette métropole et quelle stratégie se cache derrière la dénomination “Paris”, adoptée par des dizaines et des dizaines de marques au fil du temps ?

On peut tout d’abord saluer l’initiative du Roi Soleil, Louis XIV, pour avoir très rapidement compris les codes qui allaient régir les stratégies marketing modernes. En effet, sensible au luxe et au savoir-faire de ses sujets, le monarque le plus célèbre de l’histoire de France s’était donné pour mission de faire rayonner sa capitale à l’international. C’est dans cette volonté qu’il mit en place “l’Étiquette”, un code de bonne conduite qui imposa le bon savoir-vivre et les bonnes coutumes stylistiques à la Cour, impressionnant ainsi de nombreux souverains étrangers. Les bases du raffinement français étaient posées.

En 1858, le britannique Charles Frederick Worth, autre acteur majeur de la réussite parisienne, bouleversa les codes de la mode en créant la première maison de haute-couture parisienne. Cette étape marque alors la fin du sur-mesure, où la cliente impose une commande au couturier. Ce dernier est désormais considéré comme un artiste créant des pièces selon ses propres aspirations et sans la “pression” du client. Ce processus provoque instantanément une gigantesque attente chez les consommateurs de l’époque, désireux de se procurer les créations du couturier. L’anglais ne s’arrête pas là et instaure une commercialisation sélective de ses pièces, avec le concept de “présentation”, qui est tout simplement l’ancêtre des défilés.

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Le mythe parisien continuera véritablement son ascension en 1945, à la sortie de la guerre. L’état Français, alors bien conscient de l’hégémonie et de l’importance de son secteur du luxe pour relancer l’économie du pays, dépose alors la dénomination de “Haute-Couture” comme un label Français.  Il s’agira là d’un véritable coup de maître pour la mode parisienne. En effet cette décision favorisera la naissance ou le développement de nombreuses grandes maisons parisiennes comme Pierre Balmain, Jean Patou, Christian Lacroix, Yves Saint Laurent, Coco Chanel, Givenchy, Jean Paul Gauthier, Christian Dior…

La ville lumière a par ailleurs toujours su tirer son épingle du jeu en séduisant les créateurs du monde entier, comme en témoigne l’arrivé de designers japonais à l’image de Issey Miyake en 1973 ou de la très controversée Rei Kawakubo arrivé à Paris avec COMME des GARÇONS en 1980. “Chaque designer est à la recherche de sa tribu. Paris est le lieu où nous parlons une langue commune, la création. C’est ce qui en fait quelque chose de précieux en mode et en couture” a notamment déclaré le couturier Didit Hediprasetyo pour expliquer ce phénomène d’exode.

Au delà de l’incroyable rayonnement culturel de la capitale, son glorieux passé et sa valeur dans l’imaginaire collectif a transformé la dénomination “Paris” en une incroyable machine à cash. Devenu gage de bonne confection et de bon goût dans l’inconscient du consommateur, le nom “Paris” rassure et valorise instinctivement un produit, quel qu’il soit. La France, représentée par les maisons de luxe parisiennes, a d’ailleurs atteint un taux de croissance record sur les produits de luxe en 2017, accompagné par l’augmentation du nombre de touristes, progressivement revenus après la vague d’attentats qui avait touché le pays il y a quelques années.

La dénomination “Paris” renvoie inconsciemment à un style de vie raffiné, articulant ainsi un aspect communautaire autour d’elle. En 2017, la France se voit même couronnée reine du “soft power” par le Global Language Monitor, un prix honorifique récompensant l’aptitude d’un pays à utiliser à bon escient son l’attractivité. “Paris a toujours évoqué une forme d’élégance, de nonchalance et d’érudition, qui forme sa personnalité. L’art et la création sont les moteurs de la capitale française tant fantasmée au-delà de nos frontières. Paris attire depuis toujours des talents de tous horizons, et occupe une place à part chez les créatifs” expliquait récemment le communicant David Giroire, fondateur de l’agence du même nom, interrogé par Mixte Magazine. Les créateurs ont en tout cas bien compris le poids du mot “Paris” sur le marché actuel. Un exemple ? L’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI) comptabilise actuellement plus de 13 850 marques intégrant le nom la capitale. 

L’artiste Jason Briggs a lui aussi donné son avis sur l’opportunité qu’incarne la dénomination parisienne pour les jeunes créateurs : “L’attrait du ‘Paris’ tient au fait qu’il force immédiatement l’imaginaire. C’est un avantage indéniable quand on veut s’adresser à une clientèle étrangère. C’est une opportunité pour les nouveaux acteurs qui ne veulent pas jouer la carte de la globalisation, mais qui veulent montrer leur implantation locale et souligner leur différence.” À la vue de cette ruée vers l’or sur le plan marketing, la ville de Paris a logiquement aiguisé ses exigences. Désormais, les conditions pour se voir décerner le droit d’user du nom “Paris” pour sa marque on bien changés. En effet, il faut maintenant impérativement prouver l’origine française ou parisienne de ses produits mis sur le marché.

Paris comme capitale de la mode n’est pas une simple tendance, elle est belle est bien ancrée dans l’inconscient collectif des consommateurs et ce, depuis de nombreuses années. Unanimement considérée comme le berceau de l’art et de la création, la Ville Lumière a toujours exercé un pouvoir d’attraction extrêmement puissant auprès des créatifs du monde entier, qu’ils soient auteurs, musiciens, designers. Ce Paris éternel et parfait, comme figé sur carte postale, avait magnifiquement été immortalisé à l’écran par Woody Allen dans Midnight in Paris. Et cette vision fantasmée continue de vivre chaque jour, sur chaque étiquette, de chaque produit portant ces cinq lettres quasi-magiques pour le consommateur. Un vrai coup de maître marketing.