Comment Rihanna bouleverse l’industrie des cosmétiques et de la mode

La chanteuse contribue depuis plusieurs années à imposer de nouvelles normes dans des milieux très exclusifs.

rihanna fenty cosmétique mode lingerie

Depuis 2016 -année de sortie de son dernier album ANTI– les fans de Rihanna sont dans l’attente d’un neuvième projet musical de l’artiste. Seulement, il semblerait que celle-ci soit bien trop occupée à transformer en or (presque) tout ce qu’elle touche dans d’autres domaines. Avec le lancement de l’écosystème Fenty, c’est dans le milieu des cosmétiques et de la mode qu’elle évolue principalement depuis 4 ans. Des secteurs dans lesquels la businesswoman fait bouger les lignes en s’engageant notamment pour l’inclusivité.

Fixer un nouveau standard avec Fenty Beauty

En septembre 2017, alors qu’elle est à l’apogée de sa carrière musicale, Rihanna se lance un nouveau défi. Passionnée de maquillage, elle créé sa marque de cosmétiques nommée Fenty Beauty, avec l’appui du géant du luxe LVMH. Un mot d’ordre : inclusivité. Une notion chère à la chanteuse, qui sait à quel point les femmes issues de minorités sont quotidiennement rabaissées et invisibilisées. Soutien de la première heure du mouvement #BlackLivesMatter, elle ne manque jamais une occasion de dénoncer le racisme et les violences subies par les personnes noires. Dès 2015, elle s’exprime publiquement sur le sexisme et le racisme auxquels elle est confrontée au sein de l’industrie musicale dans les colonnes du magazine T du New York Times : « Tout le monde est cool lorsqu’une jeune femme noire, chante, danse, fait la fête, et est sexy, mais quand vient le moment de négocier, de faire un deal, on lui rappelle soudainement qu’elle est noire ».

On disait aux marques équivalentes à Fenty Beauty en termes de prix sur le marché : “Comment vous mettez 8 teintes de beige et 1 teinte de marron clair quand Rihanna arrive à faire 5 teintes différentes pour les personnes dark skin et 3 teintes différentes pour les personnes à la peau très blanche ?”

Pierre d’Almeida

« Le monde de la beauté est un milieu sur lequel beaucoup essaient de capitaliser en ce moment. On le voit avec les lancements de JLo Beauty et Rare Beauty by Selena Gomez » nous explique Pierre d’Almeida, chef des actualités et responsable des pages de mode rédactionnelle chez Stylist. « On remarque que Fenty Beauty, en se lançant en 2017, a réussi à fixer un standard » affirme-t-il. En effet, en dévoilant 50 teintes de fond de teint avec le Pro Filt’r lors du premier drop de la marque, Rihanna se positionne en leader dans le milieu des cosmétiques en créant des produits correspondant à un large panel de carnations, aux prix abordables et en communiquant efficacement dessus.

Après seulement 15 mois d’activité, Fenty Beauty génère un chiffre d’affaires estimé à 570 millions de dollars et est nommée parmi les meilleures inventions de 2017 par le prestigieux Time Magazine. P. d’Almeida explique :« On disait aux marques équivalentes à Fenty Beauty en termes de prix sur le marché : “Comment vous mettez 8 teintes de beige et 1 teinte de marron clair quand Rihanna arrive à faire 5 teintes différentes pour les personnes dark skin et 3 teintes différentes pour les personnes à la peau très blanche ?”

Rihanna enterre donc l’idée répandue depuis des décennies qu’une petite poignée de teintes suffisent à satisfaire une clientèle et prouve que lorsque l’on inclut toutes les femmes, celles-ci achètent. « Ce qui fait de Fenty Beauty un cas d’école, c’est que toutes les autres marques étaient contraintes d’être comparées à ce nouveau standard », ajoute le journaliste. Il s’agit d’un véritable coup de force réalisé par Rihanna. Non seulement sa marque atteint des chiffres de ventes significatifs, mais elle contribue, aussi et surtout, à changer l’industrie de façon permanente.

De la lingerie pour toutes

Forte de son succès avec Fenty Beauty, Riri s’attaque en 2018 au monde de la lingerie en fondant Savage x Fenty. Incarnant le même idéal inclusif qu’avec ses produits cosmétiques, la ligne de lingerie de Rihanna est un succès mondial. Le premier défilé de la marque a lieu à Brooklyn Navy Yard en 2019, dans le cadre de la Fashion Week de New York. Sur le podium, des femmes noires, blanches, métisses, asiatiques, transgenres, handicapées, de tous âges et de toutes morphologies.

L’année suivante, le deuxième spectacle est diffusé sur Amazon Prime Video. Il met en avant des survivantes du cancer du sein dans le cadre du mois de la sensibilisation au cancer du sein et au profit de la Fondation Clara Lionel (ndlr : fondée en 2012 par Rihanna et qui a pour but de financer des programmes d’éducation et de préparation aux situations d’urgence et d’intervention dans le monde entier). Diffusés dans plus de 200 pays, les défilés Savage x Fenty s’adressent à toutes et non à une poignée de privilégiées. Ils sont d’abord destinés au regard féminin plutôt que masculin.

La marque est une réponse aux défilés Victoria’s Secret, toujours trop exclusifs. « Pour ce qui est de l’inclusivité des corps gros, des corps noirs, des personnes trans, des personnes en situation de handicap, il y a une idée parfaitement rétrograde de dire qu’il n’y a qu’un seul rêve. Et ce rêve est blond, blanc et mince. Je pense notamment au chef marketing de Victoria’s Secret qui disait que l’inclusion des mannequins trans dans les défilés ne correspondait pas au fantasme que la marque doit vendre à ses clientes. C’est une parole qui est édifiante du manque de prise avec la réalité de ce milieu” nous explique P. d’Almeida. Et la réalité, Victoria’s Secret doit désormais la regarder en face. Les ventes de la marque sont en chute libre depuis 2017, les clients s’étant tournés vers de nouvelles marques axées sur le confort et l’inclusivité, Savage x Fenty étant la principale d’entre elles.

Tenter d’imposer l’inclusivité dans l’industrie du luxe

La mode est, après la musique, le milieu de prédilection de Rihanna. En 2014, elle remporte le Style Icon Award aux CFDA Fashion Awards. En 2015, ses Creepers font un carton chez PUMA et l’image de la pop star participe grandement à féminiser et recrédibiliser l’image de la marque au félin. Le monde du luxe lui est également plus que familier. Elle se forge une légitimité d’icône de mode en étant l’égérie de Dior (en devant la première ambassadrice noire de la maison en 2015), Armani, Gucci (dans le cadre d’une campagne en faveur de l’Unicef) ou encore Balmain. En 2019, la chanteuse passe à la vitesse supérieure. Rihanna monte sa propre maison, Fenty, chez LVMH. Depuis Christian Lacroix en 1987, LVMH n’avait plus créé de marque mais se reposait sur les réputations de Dior, Louis Vuitton ou encore Givenchy. Rihanna marque donc l’histoire du luxe.

L’industrie du luxe s’est toujours perçue comme une industrie d’exclusion.

Pierre d’Almeida

Celle qui, petite, vendait des vêtements sur les marchés avec son père devient ainsi la première femme noire à la tête de sa propre maison. En février 2020, elle remporte le prestigieux President Award lors de la 51ème cérémonie du National Association for the Advancement of Colored People Image Awards, récompensant les personnalités noires qui ont marqué l’industrie dans leur business et leur activisme. Elle y délivre un discours poignant sur la nécessité d’unifier les communautés et de mettre fin aux violences faites à l’encontre des minorités.

Rihanna, avec Fenty, a pour ambition d’imposer l’inclusivité comme norme dans le milieu du luxe. Elle choisit de mettre en avant des femmes de tous horizons et de tous âges comme JoAni Johnson, mannequin de 68 ans. Mais inclure toutes les femmes dans le monde du luxe n’est pas si simple, comme nous l’explique Pierre d’Almeida : « L’industrie du luxe s’est toujours perçue comme une industrie d’exclusion. Pour rendre quelque chose aspirationnel, il est essentiel que tout le monde n’y ait pas accès. C’est aussi pour cela que certaines marques de luxe mettent en place des politiques d’augmentation régulière des prix de leurs accessoires ou de leurs produits, afin de maintenir une certaine distance entre ce qui est accessible ‘au commun des mortels’ et au reste des personnes ».

https://www.instagram.com/p/CGsLk0tBwAj/

Contrainte de suivre les règles rigides du monde du luxe – et sûrement par excès de confiance – Rihanna mise davantage sur sa propre image que sur un storytelling inclusif, qui fait pourtant le succès de ses marques de cosmétiques et de lingerie. En misant sur Rihanna, LVMH a l’espoir de capitaliser sur ses fans. Mais les prix des vêtements sont trop élevés et l’identité de marque est inexistante. Les fans ne sont pas convaincus et l’impact de la crise sanitaire se fait sentir. Face à ces difficultés, Fenty et LVMH annoncent en 2021 suspendre les activités de la marque. « LVMH et Rihanna réaffirment leur ambition de se concentrer sur la croissance et le développement à long terme de l’écosystème Fenty axé sur les cosmétiques, les soins de la peau et la lingerie » peut-on lire dans le communiqué du groupe.

Le flop de Fenty est finalement dérisoire face à tout ce que la businesswoman a accompli ces dernières années. Face aux autres marques, davantage habituées à jouer la carte de la diversité pour se donner bonne conscience, c’est l’authenticité de Rihanna qui lui donne sa légitimité. Fenty Beauty et Savage x Fenty reflètent qui elle est. Alors que les marques cherchent à révolutionner les milieux des cosmétiques et de la mode de manière progressive, Rihanna prend le risque d’adopter une approche radicalement inclusive. Et ça fonctionne. Dans les mondes fermés des cosmétiques, de la mode et du luxe aux politiques encore trop discriminatoires, la stratégie inclusive de Rihanna représente le présent et l’avenir.

À lire aussi : Comment le sponsoring des plus grandes stars a permis à PUMA de se réinventer