Les cicatrices de l’enfance laissent des traces indélébiles. Elles forgent aussi de jeunes âmes robustes. L’histoire de Merveille commence entre Saint-Etienne et Lyon, où elle grandit. Elle y essuie les moqueries de ses camarades. Des railleries en réaction aux vidéos YouTube de cette passionnée de chant qui poste ses reprises sur le site. Dans l’hostilité de la cour de récré, Merveille puise sa force et sa motivation. Celle qui n’est alors à cette période qu’une collégienne peut heureusement compter sur les encouragements de sa famille, plus particulièrement sur ceux de son père, qui voit en elle la star qu’elle est destinée à devenir.
Puis, nouveau décor. Merveille déménage dans le nord de la capitale. Direction le 18ème arrondissement de Paris, à Porte de Clignancourt plus précisément. Sa “Citadelle’’, comme elle le surnomme. Une façon de romantiser son quartier connu pour son cœur sur-dimensionné perché à neuf mètres du sol qui lie Paris à Saint-Ouen. Ce lieu devient son refuge, son terrain de jeu. Elle y découvre davantage de bienveillance auprès de nouveaux amis qui deviennent ses premiers fans. Poussée par ses proches, elle poste ses premiers morceaux sur TikTok. D’abord le titre In Love, puis Ghetto. La musique de celle qui comptabilise avec désormais plus d’1,3 millions d’auditeurs par mois sur Spotify connait un succès immédiat.
Pour cet entretien, elle nous donne naturellement rendez-vous dans son quartier qu’elle est si fière de représenter, au Square Marcel-Sembat. Là où elle a reconstruit son identité. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle a souhaité nommer son nouvel EP. Un projet de six titres que l’artiste sort quelques semaines après avoir quitté la cérémonie des Flammes avec le trophée de la révélation féminine sous le bras. À cette belle récompense s’est tout récemment ajoutée une certification ; son premier disque d’or pour l’entêtant Citadelle. Des petites scènes des fêtes de quartier aux premières parties d’artistes qu’elle admire à l’Accor Arena devant plus de 20 000 spectateurs, Merveille prend sa revanche.
Depuis quelques mois, tu connais une réelle ascension. Comment tu te sens en ce moment ?
Je me sens bien. Je ne suis pas encore satisfaite… mais je me sens bien cette année !
Pourquoi “pas encore satisfaite” ?
Parce que je n’ai pas encore accompli ce que je voulais accomplir à mes 16 ans. J’ai pas tout ce que je voulais. Mais c’est pas grave.
Qu’est-ce que tu voulais accomplir à 16 ans ?
Je voulais tout faire ! (rires) J’ai eu mon single d’or là, donc j’ai au moins ça. Je m’en fous de pas encore avoir fait de single de platine. En vrai, là, ça va ! J’ai fait la moitié des choses que je voulais faire. Mais par exemple, je voulais aller à la Fashion Week ou des trucs comme ça. Je voulais faire trop de choses ! Genre chanter aux Jeux Olympiques… ou à l’Euro même ! Stade de France ! (rires) Trop de choses ! Mais il faut attendre. C’est mieux d’attendre… On ne peut pas arriver et être tout en haut direct. Il faut travailler avant. Mais j’ai hâte que ça arrive !
Tu peux me parler de tes premiers rapports à la musique ? Qu’est-ce que tu écoutais étant enfant ?
Mon père écoutait des musiques françaises, et ma mère c’était plus des musiques congolaises. Moi j’ai beaucoup écouté des bails de Zara Larsson, des trucs comme ça.
Tu as commencé en faisant des reprises de morceaux. Est-ce que c’était des chansons de ces artistes-là que tu reprenais à tes débuts ?
Ouais ! La première fois que j’ai fait une cover, j’ai repris Reine de Dadju. Je l’avais mise sur YouTube, après je l’ai supprimée. Je ne la retrouve plus la vidéo.
Pourquoi tu l’as supprimé ?
Parce qu’on se moquait de moi. Pas dans les commentaires, parce que la vidéo n’avait pas percé. Mais les gens qui me connaissaient avaient vu la vidéo. Du coup, c’était archi gênant.
Tu en avais parlé autour de toi ? C’était au collège, pas à travers les réseaux sociaux ?
Ouais clairement. C’était en 6ème… ou CM2, je ne sais plus. Mais on me critiquait en face à face. J’avais fait 15 vues, et ces 15 vues c’était de personnes que je connaissais. Mais je ne calculais pas. Quand on riait de moi par rapport à la musique, je me disais “vas-y c’est pas grave, un jour vous allez voir !”. Dans ma tête c’était tout le temps comme ça.
Tu parles de ces gens dans tes sons.
Oui ! J’ai toujours eu envie de le dénoncer. C’est ma vengeance. Je me venge de ceux qui m’ont négligée. C’est ce qui me motive.
Est-ce que tu as des nouvelles d’eux ? Ils écoutent ce que tu fais ?
Oui, ils écoutent ! Ils reviennent avec des “Ah ça dit quoi?” “Tu dates !”, “Tu te rappelles de moi ? On était dans le même collège !”. Ou des “Je suis content que tu n’aies pas écouté les autres !” alors que la personne aussi faisait partie de ces gens.
Plein de jeunes artistes de ta génération tiennent à préserver leur anonymat et ne veulent pas montrer leurs visages. Toi tu es exposée. Comment tu gères ça ?
Je ne regarde pas vraiment les commentaires. Pas tout le temps. Parce que si tu regardes beaucoup les commentaires tu peux pas trop avancer. De ce que je vois, c’est que des commentaires positifs. Il y a des commentaires négatifs mais les gens qui me connaissent les reprennent direct.
Tu te sens défendue ?
Oui par les gens qui m’écoutent, qui savent, qui étaient là depuis le début… ils remettent directement les gens à leur place.
Là, on est dans le 18ème arrondissement. Quand es-tu arrivée dans ce quartier ?
Fin 2019, début 2020, pendant le Covid. Avant ça, j’étais à Saint-Etienne. J’ai grandi à Saint-Etienne et à Lyon en même temps. Toute ma famille est à Lyon. Et les deux villes sont proches. Et j’allais à l’école à Saint-Etienne et tous les week-end j’allais à Lyon depuis petite.
Tu n’en parles pas du tout de toute cette période là de ta vie dans tes sons.
Parce que c’est vraiment la période durant laquelle j’ai souffert de ouf. À Lyon, ça allait parce que j’étais entourée par des personnes qui me soutenaient dans la musique, et qui étaient là pour moi. Saint-Etienne c’était les gens qui se moquaient. C’est là-bas que j’ai subi du harcèlement, on m’insultait, je n’étais pas aimée. On n’a jamais cru en moi, j’étais toujours la bête de foire. C’était trop compliqué pour moi. Je voulais rester dans cette ville juste parce qu’il y avait ma cousine et que c’était la seule personne qui me défendait et qui était là pour moi. Grâce à elle, je faisais des sorties avec des gens même s’ils ne m’aimaient pas. Mais je pouvais au moins sortir de chez moi.
Quand tu es arrivée à Paris, une nouvelle Merveille est née ?
Ouais ! Quand je suis arrivée ici, je me suis dit “là, il y a plus de moqueries ou de trucs comme ça. Et j’ai été archi bien accueillie ici. J’étais grave contente. Je me suis fait beaucoup d’amis. Je suis fière d’être venue ici. Au début, j’aimais pas Paris mais quand je suis venue dans le 18ème, dans ce quartier, je me suis dit que ce quartier méritait d’être mis en valeur parce qu’il y a tellement de bonnes personnes. Ici, il y a un truc difficile à expliquer. Mais c’est vraiment en étant dans mon quartier que je suis devenue quelqu’un. J’ai appris trop de choses ici. J’ai grandi et j’aimerais que mon prénom soit ancré ici, et nulle part ailleurs.
Tu as été invitée sur scène par Tayc, Dadju, tu as fait la première partie de Nej… On t’a vu aussi au Planète rap de Ronisia. Qu’est-ce que ça fait d’être aux côtés de ces artistes qui reconnaissent ton talent ?
Parfois je me demande comment j’ai fait pour me retrouver aux côtés de ces personnes-là aussi rapidement. Moi, la seule chose que je voulais mettre en lumière, c’était mon quartier et ma vie, mon vécu. Ça me fait beaucoup de bien d’être validée par ces grands artistes-là. C’est une grande fierté. Quand je suis avec eux, je repense à Saint-Etienne et aux gens qui n’y croyaient pas. C’est trop une dinguerie ! Je n’arrive pas à réaliser !
Et quand à la cérémonie des Flammes tu as reçu le prix de la Révélation Féminine de l’année, qu’est-ce que tu as ressenti ?
J’étais choquée ! Franchement, j’étais trop choquée ! Il y a un an tu m’aurais dit “Tu vas chanter avec Tayc et Dadju”, “Tu vas recevoir une récompense aux Flammes” ou “Tu vas avoir un single d’or”, je l’aurais jamais cru.
Tes premiers sons postés sur TikTok c’étaient In love et Ghetto. Quel a été le déclic pour les poster ?
C’est grâce à mes copines. À la base des bases, je ne chantais jamais devant les gens. Quand je chantais, je faisais des stories Snap, mais vraiment privées et j’avais pas encore BandLab. Enfin si j’avais BandLab mais je calculais pas trop. Je m’enregistrais sur ma télévision, et ça j’envoyais à mes copines. Je leur disais que j’avais trop envie de chanter, mais je n’osais pas me lancer sur TikTok. Parce que moi sur TikTok, je chantais pas, au début je faisais des lives, je racontais des storytimes. Et un jour, j’ai fait In Love. Et mes copines m’ont dit “genre là tu ne vas pas le sortir ce son ?”. C’était trop bizarre pour moi. Dans ma tête, je devais percer quand j’étais à Saint-Etienne, mais tu ne peux pas te développer et avancer là-bas. Ça aurait été éphémère. T’es obligé de venir sur la capitale pour construire quelque chose. Les maisons de disques et tout, je ne les aurais pas trouvé là-bas. Donc j’ai fait un live et les gens ont choisi le titre de la chanson. Ils ont choisi “In Love”. On a pris une photo de Pinterest au début pour la Cover, c’était un cœur avec des roses… j’ai pris ça comme ça et je l’ai jeté sur YouTube ! Ça a percé un peu sur Tiktok et c’est là que j’ai décidé de sortir un EP. Parce que j’avais trop de sons et j’avais envie de les partager. Ma musique, c’est vraiment une thérapie. Je veux vraiment aider les gens qui se reconnaissent dans mes morceaux.
Ton public te ressemble ?
Il y a des gens de mon âge, des plus jeunes… Il y a beaucoup d’adultes aussi qui écoutent mes sons. Et ça me choque. Parce que de base, j’ai du mal à imaginer que des personnes plus vieilles que moi écoutent une chanteuse de 16 ans.
Tu penses à ton public quand tu écris ?
Ouais ! Je pense à tout le monde, je me dis que si je chante, c’est pour aider certains d’entre eux. Peu importe l’âge, je veux qu’on se reconnaisse dans ma musique. Que ça permette aussi à certaines personnes de se reconstruire. Je sais que je suis écoutée par des gens qui dépriment, donc j’essaie d’être là pour eux à travers ma musique.
Tu reçois des messages de ces gens-là ?
On me l’a déjà dit oui ! Et j’essaie de varier les thèmes aussi. Il y a des musiques d’amour, des sons plus tristes.
Dans ton nouvel EP Identité, tu évoques davantage les relations amoureuses.
Oui c’est vrai que dans l’EP j’en parle beaucoup plus. Et pas de façon positive. Parce que je vois l’amour négativement. Je raconte mes relations dans ma musique. J’écoute beaucoup ce type de sons. Aya Nakamura aussi elle fait ce type de sons parfois. Le son J’ai mal par exemple.
C’est une inspiration pour toi Aya Nakamura ?
Oui depuis que je suis petite c’est une inspiration ! Même mon père me disait “Tu vas vraiment devenir comme elle un jour”.
Ton père t’a poussé dans ton développement musical ?
Il m’a toujours poussée ! C’est lui qui m’a mis dedans (rires). Au début, j’y pensais pas trop. Un jour, j’ai chanté devant lui et il m’a dit “attends, toi là, tu vas chanter ! tu vas continuer”. De base je devais aller sur Paris avec mon père à l’époque où j’habitais à Saint-Etienne pour participer à The Voice.
T’aurais aimé faire cette compétition ?
Oui mais c’est trop de stress ! Et j’ai beaucoup vu ce que son devenus les “enfants stars”. Et quand je vois leurs histoires… je sais que moi je ne l’aurais pas supporté.
Comment tu crées ta musique ? Est-ce que tu continues de tout faire sur ton téléphone ?
Je continue sur mon téléphone, oui ! Mais je n’écris pas. Je chante directement, et c’est l’instru qui me donne l’inspiration. Je fais toujours mes sons sur BandLab. Et parfois on fait des sons nous deux avec Gaby. Je lui montre l’instru que je veux, et je lui dis de faire cette instru en question. Et après on la modifie ensemble. Lui, il réalise la prod parce que je ne sais pas en faire. Bientôt, je saurai en faire, je suis en train d’apprendre. Du coup, moi je donne l’image, l’idée, la mélodie.
Tu as un vrai sens de la mélodie. Est-ce qu’il y a des topliners qui t’inspirent ?
Tiakola ! Rsko aussi. Prototype, Ninho et SDM ! Mes instrus de base, c’est toujours des instrus SDM. J’aimerais beaucoup travailler avec lui. J’aime bien sa façon d’écrire, il a beaucoup d’inspiration. Il y a des mots que j’aurais aimé trouver.
Tu te rappelles de ta première scène ?
Mes premières scènes, c’étaient les fêtes de quartier. J’ai forcé (rires). J’étais pas invitée, parce que j’étais pas connue. Mais j’allais aux fêtes de quartier. Ma toute première scène c’était à Porte de Saint-Ouen. Ça demandait “qui veut chanter?” en attendant les artistes qui devaient performer. Et mes copines m’ont encouragé à chanter. Donc, je suis montée sur scène et j’ai chanté “Promis juré” de Tayc parce que je n’avais pas encore de chanson à moi, je n’avais même pas encore fait In Love. Donc j’ai chanté et tout le monde a scandé mon prénom. Et à ce moment-là je me suis dit “J’aime trop la scène”. L’année suivante, je suis retournée à Porte de Saint-Ouen et cette fois j’ai chanté mes propres sons. La première fois j’étais spectatrice et la deuxième fois j’étais invitée. C’était une dinguerie !
Interview : Leïla Ghedaifi
Photographie : Félix Devaux