Sorti en France le 20 juin 2000, Gladiator fête son vingtième anniversaire en ce mois de juin synonyme de réouverture des salles. Et alors que ces dernières rouvrent cette semaine, plusieurs cinémas ont déjà programmé des séances exceptionnelles du long-métrage de Ridley Scott. Pas seulement pour célébrer ses 20 ans, mais parce que Gladiator a depuis longtemps acquis le statut de film culte. Considéré comme l’un des blockbusters les plus influents du XXIème siècle, la fresque épique portée par Russel Crowe a marqué au fer rouge toute une génération de spectateurs. “Ce que vous faites dans la vie résonne dans l’éternité” clame Maximus au début du film. La longévité du succès de Gladiator le confirme. Retour sur le long-métrage qui a ressuscité un genre et qui continue de fasciner, deux décennies après sa sortie.
Au moment d’analyser son influence, il est toujours nécessaire de replacer une oeuvre dans son contexte. Et pour Gladiator, ce contexte était loin d’être favorable. C’est sous l’impulsion du scénariste David Franzoni que va naître le long-métrage, au coeur d’une époque où le genre du péplum est considéré comme ringard depuis plus de 30 ans. Si des oeuvres comme Spartacus (1961) et Ben-Hur (1959) ont marqué les sixties, l’antiquité a ensuite très longtemps été boudée par l’industrie hollywoodienne. Ce boycott ne découragera pas le scénariste, qui se fascine pour les jeux du cirque et les combats de gladiateurs suite à la lecture du livre About to Die (aka The Way of the Gladiator) de Daniel P. Mannix (1958). Il y apprend que le tyran Commode a été assassiné par un esclave nommé Narcissus, qui mit un terme brutal au règne d’un empereur assoiffé de violence et de gloire. Quelques années après la sortie du film, Franzoni revient sur son choix : “C’était l’histoire que je voulais écrire : qui est Narcissus ? Il n’y avait aucun écrit d’historiens sur lui, mais je savais qu’il serait le héros de mon histoire. Je savais que je devais inventer sa vie.” Narcissus deviendra ainsi Maximus.
Mais avant d’en arriver là, Franzotti doit d’abord convaincre un grand studio de financer son projet et de lui trouver un réalisateur de renom. Il recevra un coup de pouce de Steven Spielberg, qui appuie sa présentation chez DreamWorks (société qu’il a co-fondé). Le scénariste racontera ce rendez-vous expéditif en ces termes : “Mon pitch pour Steven était étonnamment court. Il n’avait que trois questions très simples. Ce film de gladiateurs, c’est bien des combattants romains, pas américains, japonais ou autre ? J’ai répondu que oui. L’action se passe dans le Colisée ? Oui. Des combats avec des épées et des fauves jusqu’à la mort ? Oui. Top, faisons ce film.” DreamWorks confie le film à Ridley Scott (Alien, Blade Runner), immédiatement convaincu par la force émotionnelle du destin de Maximus après avoir découvert le tableau Pollice Verso du peintre Jean-Léon Gérôme. Le britannique proposera le rôle du gladiateur à Mel Gibson, star absolu des nineties et responsable du triomphe populaire de Braveheart. Ce dernier refusera d’interpréter Maximus, se jugeant trop âgé pour prêter ses traits au général déchu. C’est finalement Russel Crowe qui héritera du rôle, lui qui est à l’époque encore très peu connu du grand public.
Le choix du néo-zélandais fera bondir la presse spécialisée, qui tire à boulets rouges sur Ridley Scott. Les observateurs se moquent de ce projet de ce revival péplum à plusieurs millions de dollars, porté par un acteur émergent et quelques jeunes talents, Joaquin Phoenix en tête. Vexé, Ridley Scott rompt alors tout lien avec les médias et tourne son film sans parler à la presse. Si un silence de plomb entoure la production du film, c’est aussi car le tournage est extrêmement chaotique. Loin d’être satisfait par l’écriture des dialogues, Russel Crowe ira jusqu’à refuser de prononcer certains phrases devenues cultes lors de nombreuses prises. Le célèbre “J’aurai ma vengeance, dans cette vie ou dans l’autre” n’a ainsi jamais failli voir le jour. Ajouté à cela le décès d’Oliver Reed en plein tournage suite à une nuit de beuverie avec des marins et divers différents entre les acteurs, la genèse de Gladiator sent bel et bien le souffre. Pourtant, le film va rencontre un succès aussi extraordinaire qu’inattendu.
En France, il réunit 5 millions de spectateurs dans les salles, tandis qu’il engrange plus de 457 millions de dollars à travers le monde. Tombé en désuétude, le genre du péplum va littéralement renâitre de ses cendres sous l’impulsion de Gladiator. Le film récolte 12 nominations aux Oscars 2000 et repart avec 5 statuettes, notamment celles du Meilleur Film et du Meilleur Acteur. Aux Golden Globes, c’est le trophée du Meilleur Film et de la Meilleure Musique qui tombe dans son escarcelle. Le triomphe de Gladiator est total. Le grand public et la critique tombent sous le charme de cette histoire universelle de vengeance, de grandeur et de famille. Et si le film s’autorise de nombreuses approximations historiques, il n’en demeure pas moins une reconstitution fidèle de la grandeur et de la décadence de l’Empire Romain sous le règne de Marc-Auréle et Commode. Surtout, Gladiator s’affirme comme un blockbuster très qualitatif, qui prouve que grand spectacle et profondeur ne sont pas incompatibles. Une histoire très simple peut être magnifié par un excellent traitement, même dans le cinéma destiné au (très) grand public.
Si Gladiator continue de résonner 20 ans après sa sortie, c’est aussi car il offre une réflexion intéressante sur plusieurs thèmes propres à de nombreux classiques. La vie, la mort, la liberté, le pouvoir, l’amour, le destin, la politique, la violence… Autant de sujets que le long-métrage de Ridley Scott traite avec brio. La question de la mort y est particulièrement intéressante, cette dernière n’étant pas représentée comme une fin en soi, mais comme l’occasion pour Maximus d’enfin retrouver ses proches. Un parti-pris qui fait écho aux grands récits de l’Antiquité grecque et romaine, tout en se détournant de la représentation classique du décès dans les productions hollywoodiennes. Faire mourir son héros est un parti-pris fort pour un blockbuster, qui émeut ici le spectateur car il connait la destination finale de Maximus. Massacrés par les soldats de Commode, la femme et le fils de Maximus sont paradoxalement omniprésents tout au long du film, confirmant l’un de ses principaux messages : la mort n’est pas une fin en soi, un héros vivant aussi longtemps que le souvenir de ses actions.
Convaincant sur le fond, Gladiator l’est également sur la forme. Éblouissant de charisme et de grandeur dans les traits de Maximus, Russel Crowe signe ici l’une des plus belles prestations de sa riche carrière. Face à lui, on retrouve un Joaquin Phoenix glaçant, dont la performance extraordinaire en empereur tyrannique sera la principale inspiration de Jack Gleeson pour interpréter le Roi Joffrey dans Game of Thrones. Visuellement, le film offre une représentation de Rome encore jamais vue au moment de sa sortie. Majestueux, le Colisée est la pièce centrale du film, ce dernier ayant été recréé à l’échelle 1/3 lors du tournage du film. Mêlant habilement les décors naturels et numériques, Gladiator dépoussière l’esthétique vieillotte des films sur l’Antiquité. Enfin, impossible de ne pas mentionner sa bande-originale somptueuse, composée par un Hans Zimmer au sommet de son art. Vingt ans plus tard, il est toujours aussi difficile de ne pas frissonner aux premières notes du déchirant “Now We Are Free.”
Si les nombreuses qualités de Gladiator lui ont permis de triompher au moment de sa sortie, c’est bien l’héritage qu’a laissé le film de Ridley Scott qui font de lui un film culte. Le New York Times sera le premier à parler de “Gladiator Effect”, dès 2002. Le journal remarque en effet une explosion augmentation des ventes de livres sur la Rome Antique dans les mois suivant la sortie du film. Et si les librairies se découvrent de nouveaux lecteurs, l’industrie hollywoodienne se découvre un nouvel amour pour les péplums et les grandes fresques historiques. Braveheart avait posé les bases en 1995 et cinq ans plus tard, Gladiator a enfoncé le clou. Ridley Scott reviendra rapidement au genre, en 2005, avec le trop sous-estimé Kingdom of Heaven. Dans ce laps de temps, les grands studios multiplient les blockbusters d’époque : Troie et son casting démentiel, le dispensable Alexandre d’Oliver Stone, l’encore plus dispensable Le Roi Arthur ou l’excellent 300 tenteront tous d’égaler le succès de Gladiator. Aucun ne parviendra à rivaliser.
De son côté, le petit écran n’est pas en reste. En 2005, HBO lance la série Rome, qui est à l’époque la série TV la plus chère de l’histoire. Jugée trop coûteuse vis-à-vis du succès qu’elle rencontre auprès du public, cette production posera toutefois les bases du plus grand succès des années 2010 : Game of Thrones. Rome prouve aux décideurs de la chaîne qu’il est désormais possible de réaliser une série d’époque avec un budget faramineux. Un pari qui n’aurait jamais été tenté sans le succès préalable de Gladiator. Non content d’avoir réhabilité l’Antiquité à Hollywood, le film produit par DreamWorks a également popularisé l’utilisation de la 3D pour redonner vie à un personnage campé par un comédien décédé. Le décès soudain d’Oliver Reed pendant le tournage a notamment poussé Ridley Scott à recréer numériquement l’acteur pour lui offrir une mort convaincante. Un procédé rarement vu à l’époque, désormais couramment utilisé, notamment dans les derniers Star Wars.
Vingt ans après sa sortie en salles, Gladiator a indéniablement marqué la pop culture du XXIème siècle. Sa réflexion sur l’importance de la voix du peuple résonne d’autant plus fort dans le contexte mondial actuel, marqué par de nombreuses crises sociales et révoltes populaires. “Maintenant nous sommes libres. Et nous nous reverrons, mais pas encore … Pas encore.” conclue Juba en prononçant l’ultime phrase du film. L’histoire de Maximus n’est pas encore prête d’être oubliée.
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