1er janvier. Alors que la planète Terre souffle la 2023 ème bougie de son calendrier, Omar Sy poursuit la promotion d’un film dont il est à la fois acteur et coproducteur. Tirailleurs, c’est sa manière à lui de donner corps à un récit trop peu enseigné sur les bancs de l’école. Celui de centaines de milliers d’hommes colonisés du Sénégal à la Mauritanie en passant par le Niger ou le Soudan, enrôlés de gré ou de force dans l’armée française avec l’espoir de remporter la Grande Guerre. Des “indigènes” à qui l’État-major promet la nationalité française, moyennant l’effort de guerre. “C’est une promesse qui n’a pas été tenue” regrette Omar Sy au détour d’une conversation avec Yves Jaeglé, journaliste culture au Parisien.
Sans virulence, ni animosité, il tient par la suite de limpides propos qui attireront pourtant les regards de la presse entière : la guerre en Ukraine n’a pas été “une révélation dingue”, lui qui se sent “menacé de la même manière quand c’est en Iran, ou en Ukraine”. Une question rhétorique suffit à mettre le feu aux poudres : “Ça veut dire que quand c’est en Afrique vous êtes moins atteints?”
“Ingrat envers les Français”, “hypocrite”, “starlette du showbiz”, “abominable”, “dérangeant”. De l’extrême-droite à la majorité présidentielle, en passant par les chaînes d’information en continu telles CNEWS ou BFM TV, les propos d’Omar Sy lui sont confisqués et alimentent pendant près d’une semaine des polémiques violentes et vindicatives.
Celui qui navigue avec aisance dans le palmarès des personnalités préférées depuis plus d’une décennie est désormais sommé de s’excuser sur la place publique. De réaffirmer son appartenance et son allégeance à la patrie. Ne vient-il pourtant pas de sortir un film sur l’Histoire de France?
De Radio Nova à Netflix, de Trappes à Los Angeles, Omar Sy a dessiné sa propre trajectoire, ignorant les plafonds de verre. Il a construit son engagement en sélectionnant avec sincérité les combats qu’il souhaitait illuminer de sa notoriété.
La promesse de Trappes
Omar Sy a le sourire franc et le rire généreux qui contamine. Des signes distinctifs qu’il a progressivement fait siens pour s’adapter à toutes situations.
Un peu moins de six kilomètres séparent le lycée Emilie-de-Breuil de Montigny du collège Gustave Courbet de son Trappes natal. De ces deux villes voisines se dégage une atmosphère bien différente. C’est ce que le jeune trappiste découvre en arrivant à Montigny où il prépare un BEP chauffage et climatisation. Dans ce nouvel environnement qui lui apparaît froid, voire hostile, ses notes dégringolent et les réalités de la sectorisation scolaire et des inégalités sociales lui sont révélées au grand jour. Une étape marquante qu’il se remémore sur le plateau de Clique : “Un bon élève à Trappes est un élève moyen en vérité. On nous invente un monde, on nous ment.”
Omar Sy ne démotive pas. En rempart, il développe l’humour. Un atout qui ne le quittera plus. Durant les treize premières années de sa carrière, Omar avance avec un second allié de taille, Fred Testot, qu’il rencontre chez Radio Nova en 1997 grâce à Jamel Debbouze. C’est les débuts à la télévision pour le duo fraîchement constitué. C’est aussi le moment où Omar Sy abandonne ses études au profit de ce début de carrière.
Avec Fred, ils participent à l’émission Le Cinéma de Jamel sur Canal+, l’accompagnent au Festival de Cannes, enchaînent les petits sketchs et entament l’écriture d’un spectacle.
Finalement, Omar et Fred atteignent ensemble des pics d’audience grâce à leur “Service après-vente des émissions”, devenu un incontournable du Grand Journal de Canal+ entre 2005 et 2012. Tous les jours, aux alentours de 20 heures, le grand public fait la connaissance de personnages loufoques qui révèlent le potentiel comique du duo Omar et Fred. Doudou, Jean Bloguin ou encore François le Français sont plébiscités par plus de 3,02 millions de personnes sur Facebook et l’arrêt du programme en 2012 sonne comme la fin d’une ère. Les téléphones rouges de l’emblématique standard disparaissent des écrans et Omar Sy se lance en solo, riche d’un CV déjà bien garni et de rencontres décisives.
Dix ans plus tôt, en 2002, Omar Sy fait la rencontre fortuite d’Eric Toledano et Olivier Nakache. Les deux apprentis réalisateurs lui offrent son premier rôle dans le court-métrage Ces Jours heureux, prémices de Nos Jours Heureux diffusé en juin 2006 dans les salles. Premier succès sur grand écran pour l’acteur en devenir, dans une comédie chorale qui réunit Jean-Paul Rouve, Marilou Berry ou encore Lannick Gautry.
C’est finalement sur le tournage de Tellement proches, sorti en 2009, que Toledano et Nakache mesurent l’ampleur du talent d’Omar Sy. Il y joue un jeune interne en médecine dont l’autorité et le sérieux sont contestés. Pour la première fois, celui qui enchaînait jusqu’alors les rôles légers s’adonne à un tout autre registre. Face à un patient, il sort de ses gonds : “Qu’est-ce-qu’il y a, vous avez jamais vu un médecin noir ?”
En une seule prise, Omar Sy livre une prestation qui bluffera les deux réalisateurs. Pour eux, c’est le déclic et l’évidence ; plus qu’un humoriste, Omar est un comédien prometteur. Dans la foulée, le duo Toledano-Nakache planche sur une histoire dont Omar Sy sera le héros : la trame narrative d’Intouchables prend forme. L’acteur y jouera Driss, un jeune banlieusard d’origine sénégalaise. Ex-détenu pour braquage, son personnage se reconvertit en auxiliaire de vie auprès de Philippe, riche tétraplégique interprété par François Cluzet. L’alchimie entre Driss et Philippe pousse la France entière à gagner les salles et pendant le mois qui suit sa sortie, Intouchables affiche complet. Encore aujourd’hui, il occupe la troisième place des films les plus vus de l’Histoire derrière Bienvenue chez les Ch’tis et Titanic.
La mainstreamisation d’Omar Sy est enclenchée : l’acteur existe indépendamment d’Omar et Fred. Plus encore, il est reconnu par-delà les frontières hexagonales. Intouchables est traduit en 45 langues et devient le plus gros succès français au box office mondial, enregistrant 344 millions de dollars de recettes. Du jamais vu pour une production Made in France.
Le chouchou des Français
Au succès commercial s’ajoute le succès d’estime. En janvier 2012, Omar Sy reçoit le prix Lumière du meilleur acteur. L’occasion pour lui de livrer un message teinté d’un cynisme engagé : « Il y a des moments dans ma vie où je me suis senti un peu étranger en France, donc ça me fait plaisir que la presse étrangère me rappelle que je suis Français et qu’en plus je suis acteur ».
Un mois plus tard, il obtient la reconnaissance ultime d’un milieu qu’il n’imaginait même pas effleurer. La prestigieuse récompense. Il remporte le César du meilleur acteur, face à Jean Dujardin (The Artist) ou encore son binôme de tournage François Cluzet. Sur scène, trophée en main, sa voix tremble d’émotions. Avec une humilité déconcertante, il lance à ses comparses : “J’y croyais pas. Vous êtes des grands les mecs et juste avoir mon nom à côté du vôtre, ça a été un kiff monumental.” En grand showman et maître de l’entertainment, il conclut son speech par quelques pas de danse exaltés, ponctués d’un aveu pudique mais spontané : “Je suis hyper content, j’ai fait genre je m’en fous mais je suis comme un dingue, merci beaucoup, merci à tous!”
C’est le Graal, l’objet qui lui permet de gagner en légitimité. De pouvoir enfin, sans rougir ni sourciller, dire haut et fort qu’il est acteur. De pouvoir aussi prouver à ses parents qu’il s’agit de son métier. Qu’il a eu raison de préférer la télévision et le festival de Cannes aux épreuves du baccalauréat. Une Césarisation qui plus est déterminante en termes de représentation. Pour la première fois dans l’Histoire du cinéma français, un acteur noir reçoit la statuette dorée. Mais Omar Sy se méfie des étiquettes dans le genre. Sa couleur de peau n’est pas une revendication dans l’absolu. Il l’a toutefois en tête lorsqu’on lui propose “des rôles de caïds et de mecs de banlieue”, qu’il décline. “Je n’avais pas envie d’aller me frotter au cinéma pour véhiculer des clichés”, précise-t-il à L’Express. Une chose est claire dans son esprit : il refuse d’être “le Noir à la mode”.
En réalité, Omar Sy est bien plus que ça. En décembre 2012, il devient la personnalité préférée des Français, juste devant Jamel Debbouze, celui-là même qui lui ouvre les portes de Radio Nova en 1998. Une boucle bouclée de la plus fraternelle des manières. Icône nationale, Omar ne quittera plus ce palmarès. Plébiscité jusqu’au sommet de l’Etat, il boude poliment les invitations présidentielles à l’Elysée, de Sarkozy à Hollande. Pas de copinage politique ni de prise de parole ouvertement militante. Sa notoriété grandissante l’incite toutefois à quitter l’Hexagone pour Los Angeles. Ce qui devait être un break d’une année se transforme en une installation pérenne, notamment pour “protéger” ses enfants et leur garantir une existence paisible et anonyme, loin des regards. D’une pierre deux coups, Omar Sy en profite pour passer des castings. Après avoir conquis et séduit la France, le voici qui poursuit l’American Dream.
Un engagement cinématographique
Un océan le sépare de sa France de cœur, mais Omar Sy reste “très cocorico malgré tout”. Aux Etats-Unis, il enchaîne les grosses productions hollywoodiennes : X-Men, Jurassic Park, Inferno… Sans toutefois tirer un trait sur ses racines. Installé outre-Atlantique depuis moins de deux ans, Omar Sy retourne devant la caméra du duo Toledano-Nakache pour le film Samba. Interrogé par Jeune Afrique sur la perception que le public américain lui porte, il avoue fièrement être “le représentant de la France dans les films ricains”.
Discret, Omar Sy s’est aussi expatrié pour éviter d’être récupéré. Devenir le porte-parole de minorités silenciées, incarner la preuve que la banlieue peut briller et contredire le déterminisme social, très peu pour lui. Les faits parlent d’eux-mêmes. En 2014, auprès de L’Obs, Omar est lucide, il a conscience qu’il s’est embourgeoisé et “le vit comme une réussite”. Depuis Los Angeles, hors de question de parler de situations qu’il ne connaît plus : “Quand j’étais jeune, j’ai entendu trop de gens s’exprimer à notre place sans rien savoir de notre vie pour le faire à mon tour.” Aux grandes déclarations, Omar Sy préfère l’action. Par l’intermédiaire de ses films, il choisit les sujets qui le touchent, ceux qu’il souhaite porter à l’attention du grand public. En y mettant tout son cœur. Pour préparer le rôle de Samba, un sans-papier d’origine sénégalaise, il travaille l’accent peul de ses origines. Il rend visite à des oncles ex-réfugiés et mesure la chance que c’est de n’avoir “aucun complexe dans [son] pays” là où un “sans-papier baisse les yeux, rentre les épaules”.
Pour Chocolat réalisé par Roshdy Zem, Omar Sy accepte de camper le rôle du clown Rafael Padilla, premier artiste noir de la scène française. En promotion pour ce film d’époque, il en profite pour déplorer le manque de diversité dans l’industrie du divertissement contemporaine. Chez Télérama, il regrette “l’avancée très faible [de] la place des Noirs sur la scène artistique” . Au micro de franceinfo, il espère que les “exceptions”, en miroir à la figure de Chocolat, vont se multiplier.
En dehors de son travail, Omar Sy agit selon une ligne de conduite très précise : sa sensibilité et ses émotions. “Il y a des choses qui me touchent donc il y a des réactions, plus ou moins sonores” explique-t-il au magazine GQ. Parmi elles, le sort des Rohingyas, minorité musulmane que l’État birman a chassé de son territoire. En 2018, Omar Sy se rend au Bangladesh et lance un appel à la mobilisation sur les réseaux sociaux, en soutien à ce peuple opprimé, réfugié et encampé par centaines de milliers: “Je n’ai pas l’habitude de vous solliciter pour ce genre de chose, mais je suis venu, j’ai vu et je vous montre. Soyez avec nous.”
Jusqu’ici, tout va bien. L’engagement d’Omar Sy reste timide et circoncis à des causes soit trop lointaines, soit trop nichées. Il n’effraie pas outre mesure. Il ne contrevient ni à l’ordre public, ni aux bonnes mœurs. Tout bascule en juin 2020, quand le chouchou des Français signe une lettre ouverte pour dénoncer les violences policières.
Un activisme médiatique
Le 19 juillet 2016, Adama Traoré meurt asphyxié par la gendarmerie française. Trois jours plus tard, Omar Sy est l’une des premières personnalités publiques à honorer sa mémoire en réclamant justice.
Une prise de parole qui ne soulève ni foules, ni réactions cinglantes. Le tweet est factuel et s’apparente plus à un hommage qu’à une accusation. Mais le 31 mai 2020, dans les rues de Los Angeles, Omar Sy devient explicite. Au lendemain d’une pandémie qui a forcé le monde entier à se confiner entre quatre murs, George Floyd perd la vie. Les images de sa mort font le tour du globe. Elles deviennent le symbole des violences d’une police qui assassine, là-bas et ici. Pancarte à bout de bras sur laquelle se lit la phrase “I can’t Breathe”, prononcée par George Floyd alors que le policier Derek Chauvin l’asphyxie de son poids ; Omar Sy “crie aussi le nom d’Adama Traoré qui, en France, le 19 juillet 2016, a perdu la vie de la même façon que George Floyd. Que leurs âmes puissent reposer en paix et que JUSTICE soit enfin faite”.
Quatre jours plus tard, il lance un appel dans les colonnes de L’Obs, un cri de ralliement : “Réveillons Nous”. Dans cette tribune, les mots sont forts et poignants. Ils ont pour but de servir un “discours de justice”, d’impulser un changement. En 2016, interviewé par Télérama, il refusait d’être considéré comme “le porte-parole de qui que ce soit”. Aujourd’hui, il partage ses peurs. À la première personne, Omar Sy convoque sa propre expérience. Celle d’un jeune garçon noir qui, “comme Zyed et Bouna, morts à 17 et 15 ans à Clichy-sous-Bois en 2005, [courait] quand [il] croisai[t] le chemin de la police”. La pétition récolte plus de 190 000 signatures mais les mots d’Omar Sy font parallèlement l’objet d’un lynchage politique et médiatique. Il le savait. Jusqu’alors, il faisait “attention aux micros tendus”. Et c’est certainement pour éviter les “dégâts irréparables [qui] peuvent venir d’une simple phrase” qu’il avait jusqu’ici choisi le silence. Même lorsqu’il a refusé de répondre aux provocations d’Eric Zemmour. Mais une crainte plus grande, plus réelle a enterré son habituelle discrétion : “Celle de mourir entre les mains des forces de l’ordre.” Ni une, ni deux, les réactions fusent. Sur le plateau de BFM TV, le réalisateur Olivier Marchal y va de son coup de gueule. “J’en ai marre que des espèces d’acteurs de deuxième zone continuent à chier sur les flics alors que ce sont des gens qui vivent dans des quartiers privilégiés qui ont des métiers privilégiés”.
Nouveau déferlement de haine lorsque, trois mois plus tard, le casting du film Police est dévoilé. Omar Sy et Virginie Efira se partagent l’affiche, dans la peau de policiers du XXème arrondissement de Paris. Certains internautes voient dans ce geste un affront. Ils se mobilisent, contestent à l’acteur le droit d’incarner un membre des forces de l’ordre, estimant que ses propos antérieurs le rendent illégitime pour le rôle. Le hashtag #boycottomarsy est en tendance et la violence abonde :
“Elle est bonne la soupe là? T’as pas honte de tenir ce rôle après tes dernières prises de position”.
“Après avoir soutenu la #traoré contre la police, il nous demande d’ aller voir son navet”
“Le voir en flic me donne envie de vomir …venir de Los Angeles pour cracher à la gueule des #fdo est une honte”
Au micro de BFM TV, Marion-Maréchal Le Pen laisse entendre qu’Omar Sy se doit d’être redevable envers la Nation. Que par ses propos l’acteur participe au “traditionnel business victimaire d’activistes”. Qu’il devrait dire “merci” à la France qui lui “a permis d’être une star internationale, de devenir multimillionnaire, d’aller vivre joyeusement aux États-Unis.”
En 2023, bis repetita. En promotion pour Tirailleurs, Omar Sy essuie des critiques similaires. Ses propos sur la perception différenciée des guerres en Ukraine et des conflits armés en Afrique font le tour des plateaux télé. Ils sont récupérés jusqu’à la majorité présidentielle par l’eurodéputée Nathalie Loiseau qui les taxe d’”’injustes”. Mais l’acteur ne s’en étonne pas. Au micro de RTL, il affirme être conscient du “manège mis en place depuis quelques années autour de [sa] personne.”
“C’est un peu devenu systématique. À chaque fois que je sors de ma cachette pour promouvoir un film, on essaye de mettre un nuage de fumée autour de la promotion de mon film.” poursuit-il.
De 2020 à 2023, les mêmes arguments sont convoqués pour décrédibiliser la parole d’Omar Sy, sa légitimité à défendre des combats, à exprimer des idées. Surtout lorsqu’elles mettent la France face à ses vieux démons ; son passé colonial ou sa police violente.
L’acteur qui a permis à la France de rayonner à l’international ; du succès d’Intouchables à celui de Lupin, n’est pas dupe. Il a tout compris. Sur le plateau de Quotidien, c’est avec un calme olympien qu’il répond à ses détracteurs : “C’est pas ce que je dis qu’on attaque, c’est moi.” Ce qu’il représente dérange. Lui, l’enfant de Trappes, éduqué par un père sénégalais et une mère mauritanienne. Un banlieusard de confession musulmane qui réussit et prospère. Omar Sy a élu domicile à Los Angeles, mais ne s’en sent pas moins Français. Il ne tend plus l’autre joue, il parle haut et fort. Il sait, en tant que citoyen tricolore, que la liberté d’expression fait partie des piliers de la République. Il ne fait qu’utiliser son droit. N’en déplaise à celles et ceux qui préféraient sa discrétion à son indignation. “Trop tard les gars.”