Eva : “J’ai eu besoin de me reconnecter avec moi-même”

Eva : “J’ai eu besoin de me reconnecter avec moi-même”

Pour un artiste, la page blanche est à la fois une malédiction et une libération. Celle sur laquelle on écrit une nouvelle histoire. C’est sur cette base qu’Eva a créé son dernier album. Le quatrième, déjà. Elle qui a fait ses premiers pas dans la musique à dix-sept ans, catapultée sur le devant de la scène, responsabilisée précocement. La chanteuse a cherché, tâtonné, testé, sorti des projets à succès. Puis, soudainement, une envie de changement. Le moment où elle a pris conscience que la musique qu’elle créait ne la reflétait plus. Il faut une audace sans pareille pour changer de cap et Eva n’en manque pas.

Dans sa quête de renouveau, elle a trouvé un guide, quelqu’un à même de comprendre ce besoin de métamorphose : Damso. Le rappeur a assuré toute la direction artistique novatrice de cet opus qui marque un tournant dans la vie d’Eva. Ensemble, ils ont façonné cet univers radicalement différent avec un nouveau style musical et une esthétique surprenante. Eva révèle aujourd’hui toute sa splendeur, la meilleure version d’elle‐même, plus apaisée.

Quel bilan fais‐tu de ton parcours jusqu’à présent ?

Je pense que c’est un chemin parcouru assez intense mais à ma façon. Comme n’importe quelle personne de ses dix‐sept ans à ses vingt‐trois ans. En général, c’est un peu à ce moment‐là que notre future vie se dessine. Je l’ai vécu d’une manière plus intense et plus forte. Je suis rentrée dans la vie d’adulte assez rapidement. Mais je trouve que je suis restée assez « dans mon âge » quand j’avais dix‐sept ans, et encore aujourd’hui. Je n’ai jamais poussé le truc à vouloir être plus mature. Je l’ai bien vécu. Après, j’ai quand même eu un moment où j’ai dû faire une grosse pause et comprendre ce qu’il se passait. Quand j’ai commencé à travailler à dix‐sept ans, je voyais ça comme de l’amusement, je vivais de ma passion. Je chantais, je faisais des clips, et tout. Et puis, il y a le moment où ça devient un peu plus intense parce que c’est toujours ta passion, mais ça devient un travail. Et il faut être professionnel. J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir, à me rendre compte de ce qu’il se passait. Quand à cet âge‐là tu passes de la meuf normale avec ses potes à une meuf connue à plus d’un million d’abonnés, tu ne te rends pas compte sur le coup. Et ça va tellement vite parce que ton projet fonctionne, donc les interviews et les concerts s’enchaînent et tu n’as pas le temps de te poser, de te rendre compte de ce qu’il se passe. J’ai fini par me demander ce que je voulais vraiment. Je pense qu’il y a un moment où ça se sentait que j’étais moins dans mes projets parce que j’avais besoin de me reconnecter avec moi‐même.

Il y a eu un déclic ?

Le déclic est arrivé quand je n’aimais plus vraiment ce que je faisais. Je me suis rendue compte que je prenais ça comme du travail et plus comme ma passion. J’avais tout le temps peur, je me posais plein de questions. Tout était devenu stressant. Et surtout, je ne faisais pas toujours ce que j’aimais. Et quand je ne fais pas quelque chose que j’aime vraiment, le public le ressent aussi. Petit à petit je me suis dit “en fait, je n’aime pas ce que je fais”. Je monte sur scène et je passe un bon moment quand je vois mon public, mais quand je sors de scène, je suis mal. Quand je suis en studio, je ne me sens pas à ma place. Je ne me sentais pas légitime, parce que comme j’ai percé très jeune à travers les réseaux sociaux il y a cinq ans, je faisais partie des premières artistes qui sortaient des réseaux et les gens se demandaient “mais elle sort d’où ?”. Et puis je faisais de la musique avec beaucoup d’autotune, c’était hyper à la mode à l’époque. J’avais l’impression que je n’étais pas une bonne chanteuse et que ma musique était nulle. Je grandissais et les gens qui grandissaient comme moi n’écoutaient plus ce genre de musique. J’avais l’impression de devoir toujours quelque chose aux gens, de devoir prouver. C’était assez compliqué. Je n’étais pas heureuse.

On t’imposait des choses ?

On ne m’a jamais vraiment imposé des choses mais c’est aussi simple que ça : c’était dire à quelqu’un “va dans tes photos, regarde comment tu t’habillais, ta façon de parler, ton énergie à dix‐sept ans, et reprends tout ça à vingt‐trois ans”. Il y a un monde énorme, surtout que j’ai été propulsée dans la vie d’adulte à ce moment‐là et j’ai pris beaucoup de responsabilités, j’ai appris énormément de choses alors j’avais plus du tout la même manière de penser qu’à dix‐sept ans. On ne m’a pas imposé d’être Eva Queen, de “faire la couronne”. C’était moi et mon délire, mais comme tous les jeunes de cet âge ont un délire. Sauf que moi, cette étiquette est restée. Normalement, après dix‐sept ans, tu fais des études supérieures, tu deviens une autre personne, tu te fais d’autres potes, tu changes de direction et ta vie prend un autre sens. Moi, c’est comme si on m’avait mise dans un autre établissement mais que cette étiquette que j’avais au lycée était restée et personne ne voulait voir que j’avais évolué. Surtout qu’en tant que femme, c’est l’âge où on se découvre, peut-être pour les garçons aussi, je n’en ai pas l’expérience donc je ne sais pas. Mais on se découvre et on devient une femme. Je ne pense pas savoir qui je suis vraiment encore, mais j’ai fait un grand pas depuis mes dix‐sept ans.

“Quand j’avais dix‐sept ans, j’étais trop contente d’être Eva Queen (…) Et puis, je me suis rendue compte que la célébrité, l’argent et tous les artifices autour, c’était pas ce qui me rendait heureuse.”

Ce projet “Page blanche” symbolise‐t‐il le renouveau ?

Le projet joue sur les deux sens : l’angoisse devant la feuille vierge et l’excitation d’un nouveau chapitre. Pour justement montrer cette évolution qui a débuté par une page blanche.

Eva en stylisme Miista et Coperni
Stylisme : Miista / Coperni

“Eva Queen”, c’est terminé ?

Si on a envie de m’appeler Eva Queen, ça ne me dérange pas ! Et je comprends qu’après Eva on ait envie de rajouter quelque chose, parce qu’il y a beaucoup d’Eva (rires). Mais mon nom d’artiste, c’est juste Eva, et ça a toujours été Eva sur les plateformes. Mes anciens albums, je les assume à 100 %, je les trouve encore trop cool. J’ai tout simplement voulu changer de direction.

Tu as voulu marquer une rupture très nette ou une continuité ? Il y a des thématiques qui reviennent.

Dans mon deuxième album Feed, j’ai fait un truc plus trap que j’aimais beaucoup à ce moment-là. J’étais dans l’évolution de ce que j’avais envie de faire à chaque fois. Pour celui-ci, je me suis vraiment écoutée. Je ne me suis pas laissée influencer par les “ouais c’est ça qui marche en ce moment”. J’avais juste envie de faire un album qui me ressemblait. C’est pour ça que tous les titres sont différents : les prods, les façons de poser. Il y a un peu d’autotune, parfois je mise sur l’ambiance, parfois non… C’était vraiment le mood du son au moment voulu et venu. Et on a marché à l’énergie des gens autour de nous.

Il y a des sujets en particulier que tu voulais aborder sur ce projet ?

Je voulais que ça reste naturel. Je ne voulais pas revenir avec une idée en tête “on part sur ça”. Pour l’intro surtout. Et c’est ce qui a donné le nom de l’album : Page blanche. Je voulais dire que je ne voulais plus être la même personne et qu’on me laisse libre, sans artifices. Souvent, on m’a dit “c’est dommage qu’on ne se rende pas compte de qui tu es vraiment à travers les réseaux, la musique, etc.”. C’était hyper important pour moi de me retrouver, tout simplement.

Eva en stylisme Coperni et Vagabond
Stylisme : Coperni / Vagabond

Est-ce que ton nom de scène “Eva Queen” est terminé ?

Si on a envie de m’appeler Eva Queen, ça ne me dérange pas ! Mais mon nom d’artiste officiel reste Eva, comme sur toutes les plateformes. Mes anciens projets, je les assume, mais j’avais besoin de changement.

Tu as voulu marquer une rupture ou prolonger certaines thématiques ?

Dans Feed, j’explorais la trap. Là, j’ai voulu suivre mon instinct sans me soucier de la mode. Chaque titre est un nouvel univers, pour refléter mes humeurs et mes envies du moment.

“Les réseaux sociaux, c’est un miroir déformant : on retouche tout, on donne une image irréelle. Il faut savoir exprimer ses émotions pour être vraiment heureux.”

Tu fais beaucoup de sensibilisation sur les dangers des réseaux sociaux ?

Absolument. À l’école, j’ai toujours détesté la méchanceté gratuite. Sur les réseaux, un commentaire anodin peut briser quelqu’un. Il faut apprendre à dire quand on est blessé et aider ceux qui souffrent en silence.

Comment as-tu travaillé avec Damso ?

Je travaillais sur l’album, j’étais bloquée. J’ai pensé à Damso, je lui ai envoyé un message à 2 h du matin. Il m’a répondu aussitôt qu’il écoutait des prods et, le soir même, on s’est appelés. Je lui ai partagé ma vision, on s’est retrouvés à Bruxelles. Il a senti ma détresse artistique et m’a dit : “je vois ton talent, on va le mettre en lumière”. Il m’a coachée, m’a mise à l’aise, et a ouvert la voie à tout un collectif de beatmakers et stylistes. C’est devenu un tournant majeur pour moi.

Eva en stylisme Miista et Coperni
Stylisme : Miista / Coperni

Ton entourage a-t-il changé ?

J’ai perdu des gens en route, comme beaucoup à cet âge-là. Mais mes amies de toujours sont toujours là. Je reste très solitaire : j’ai ma vie normale, mes sorties au bowling et mes copines qui me rappellent que je suis une personne comme les autres.

Comment concilies-tu starification et vie “normale” ?

Je fais des activités simples : bowling, courses… Peu importe si je prends quinze photos, je vis mes moments comme il y a sept ans. Je refuse la pression de la célébrité et je reste moi‐même.

“À mes débuts, j’étais émerveillée par la vie d’artiste. Aujourd’hui, je sais que ce qui me rend heureuse, c’est de faire ce que j’aime vraiment.”

Est-ce que l’artistique est une affaire de famille ?

Totalement. Mon père vient du classique et du jazz, ma mère chantait, ma grand-mère produisait et mon grand-père jouait de la batterie pour Georges Moustaki. J’ai grandi dans ce monde, on disait déjà de moi à 4 ans “c’est la star de la famille”.

Que t’apportent les visuels et la mode ?

La mode est pour moi comme la musique : un art qui raconte une histoire. Les vêtements me transforment, me donnent du pouvoir et complètent l’univers de mes chansons.

Quels créateurs t’inspirent ?

Margiela m’a récemment bluffée par son inventivité. J’admire aussi Rosalia pour son univers complet, PNL et Laylow pour leur cohérence artistique.

Pourquoi la Salle Pleyel pour la tournée ?

Je voulais renouer avec l’intimité d’une petite salle après avoir débuté en Zénith. Pleyel est parfait pour retrouver ce contact direct avec le public, avant de continuer en tournée dans des salles à taille humaine.

 

Crédits de l'interview
  • Photographie : Tony Raveloarison
  • Assistant photographie : Moïse Luzolo
  • Direction artistique et stylisme : Iris Gonzales
  • Direction Light : Jean Romain Pac
  • Assistant Light : Léon A. Fernandes
  • Assistante styliste : Naïs Hoarau des Ruisseaux
  • Production : Nicolas Pruvost, Alice Poireau-Metge, Léa Goux-Garcia
  • Interview : Leïla Ghedaifi
  • Makeup artist : Anne Cazé
  • Hair Stylist : Julien Gonzalez Galvez
  • Post-production : Joshua Peronneau et Tony Raveloarison
Livraison offerte Dans toute la France
Retours offerts Sous 30 jours
Paiement sécurisé Par CB ou Paypal