Bien que de nombreux projets de qualités soient sortis en ce début d’année, ce sont bien “DAMN.” de Kendrick Lamar et “More Life” de Drake qui ont monopolisé l’attention ces derniers mois. La question est désormais de savoir lequel des deux a remporté la bataille.
Dévoilés à 1 mois d’intervalle, les deux albums sont opposés en tout point. L’un a été annoncé plusieurs mois auparavant et régulièrement teasé lors de concerts, l’autre a fait l’effet d’une bombe de part son annonce inattendue au sein même du morceau “The Heart Part. IV“. L’un est un enchainement de morceau éclectique censé former la “playlist de nos vies”, l’autre est un récit à la recherche de l’intemporalité et dont la construction est soigneusement travaillée.
Fond et forme en opposition totale
Avec Drake, toute l’ambition était de créer un prototype musical long, varié et censé mettre en avant sa domination des genres entre rap, RnB et pop. Construit de façon à être la playlist de toutes les occasions qui ambiancera nos vies, avec un éclectisme forcément de mise, le sentiment est que chaque titre peut être ressorti de son contexte, comme un enchainement de 22 singles. Là où avec DAMN. Kendrick a cherché à créer un concept d’ensemble qui trouve sa valeur dans la globalité du projet. Excepté sans doute “HUMBLE.”, qui sonne clairement comme le single censé vendre le projet. Le storytelling et la construction du projet chez K.Dot nous emmènent au coeur d’un récit aux airs de page d’Histoire des années 2010, au milieu de diverses confessions du rappeur, le tout à travers un récit linéaire où l’on retrouve notamment beaucoup de spiritualité et de prise de position sociétale. “DAMN.” se démarque par ses nombreuses dualités, le réel et le spirituel, le bien et le mal, la vie et la mort, et le fait que l’album se termine de la même manière qu’il débute montre que tout cela n’est qu’un énième recommencement et que ces questions ne trouveront pas de réponses de sitôt.
Là où Kendrick met en avant son humanité et ses faiblesses en évoquant la mort et sa condition d’homme, Drake se place quant à lui bien au dessus de la mêlé grâce à ses egotrip censés nous rappeler sa domination de l’industrie. Là où Drake se déifie, Kendrick nous confie sa peur divine. À ce titre et bien d’autres encore, le terme d’opposition de style est légitime.
Une victoire commerciale et médiatique pour “DAMN.”
En 2016 avec son album Views, Drake avait battu tous les records de vente et avait, cette année là, prouvé qu’il était le rappeur le plus bankable. Il n’a malheureusement pour lui pas réussi à reproduire la performance avec More Life, qui n’a pas connu le même succès dans les charts, mais qui surtout a été dominé par le projet estampillé K.Dot. En première semaine, la playlist de Drake a écoulé 505 000 exemplaires là où le 4ème album de Lamar a trouvé 610 000 acquéreurs. Les semaines suivantes ont confirmées la tendance, alors que Kendrick vendait 238 000 et 170 000 exemplaires en deuxième et troisième semaine, Drake se contentait de 226 000 et 136 000 exemplaires. Des chiffres qui, malgré leur infériorité à ceux de Lamar, restent très impressionnants. En résumé, en matière de ventes, c’est “DAMN.” qui s’impose.
Médiatiquement, difficile de nier que la tendance est la même. En cela, la sortie spontanée de DAMN. y est pour beaucoup. L’annonce de ce nouvel album de Kendrick Lamar a fait l’effet d’une bombe de par la discrétion médiatique de son auteur début 2017 mais aussi du fait du sentiment de rareté et de l’aura que possède sa musique. De ce fait, Kendrick a complètement monopolisé l’attention des médias le temps de quelques jours. Le buzz autour de son album s’est amplifié de par les rumeurs de la sortie d’un second album en trois jours et de nombreuses théories ont animé les fans et leurs espoirs de voir le week-end de Pâques se transformer en un moment mythique de l’histoire du rap. DAMN. n’était pas qu’un simple nouveau projet à ajouter dans sa rotation musicale personnelle, il était l’espace de quelques jours le sujet qui animait le coeur des fans de hip-hop, et ça, peu d’albums dans l’histoire peuvent en dire autant.
Côté singles, Drake n’a pas souhaité dévoiler de morceaux issus de sa playlist alors que son équipe artistique souhaitait faire de l’excellent “Free Smoke” le single du projet. Souhaitant dévoiler les morceaux d’une traite pour que l’ensemble du projet trust les premières places du Billboard Hot 100, Drake a depuis plusieurs années la stratégie de s’éloigner de YouTube. Au contraire, Kendrick n’a pas hésité avec “HUMBLE.” et plus récemment “DNA.” à garnir son compte YouTube et à faire de ces deux morceaux les portes-étendards de son album.
La force de Kendrick au contraire de Drake est qu’il ne s’est pas encombré de déclarations inutiles ou de teasings répétitifs en concert : il a laissé parler sa musique, tout en réalisant une communication simple et efficace.
Quels héritages pour “More Life” et “DAMN.” ?
Désormais, l’épreuve du temps est ce qui attend les deux projets. De quelle manière vont-ils marquer leur époque, influencer d’autres artistes et de nouveaux courants ? Il semble évident qu’au sujet de l’influence sur ses paires, Drake est une référence en la matière lui dont le succès sur différents tableaux musicaux -entre bangers et balades amoureuses- est une inspiration évidente pour les jeunes artistes. De par son talent et sa plume incroyable, Kendrick est quant à lui beaucoup plus difficile à imiter. Néanmoins, de par sa forme percutante et son fond raffiné, DAMN. semble parti pour marquer son époque et représenter ce qui se fait de mieux lors de son année de sortie à la manière de ses prédécesseurs Good Kid, M.A.A.D City et To Pimp A Butterfly. Lorsque que le temps aura fait son effet et que les fans se replongeront sur le rap en 2017, il semble évident que la marque intemporelle et spirituelle de DAMN. sera sans nul doute l’élément marquant de l’année, le disque qu’on ré-écoutera pour se replonger dans le Los Angeles des années 2010, à la manière de ce qu’on peut faire avec Nas pour se replonger dans le New York des années 1990. Là où “More Life”, bien qu’excellent, n’a ni l’épaisseur globale, ni le single marquant, ni le record de ventes qui fera de lui l’étendard du rap en 2017.
Comparer ces deux projets reste une épreuve difficile tant leurs objectifs sont différents et leurs styles opposés. Toutefois, il est impossible de nier la performance monstrueuse du kid de Compton sur tous les tableaux, que ceux-ci soient commerciaux ou artistiques, quand Drake a de façon plus modeste contribué à élargir sa discographie et son apport à la culture. Votez pour l’album qui a selon vous le plus marqué le début d’année ci-dessous.
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