On a rencontré A Boogie Wit Da Hoodie, l’un des meilleurs rookies du rap américain

À seulement 22 ans, A Boogie Wit Da Hoodie s’est déjà imposé comme la relève du rap new-yorkais. Rencontre avec un artiste ô combien talentueux et surtout profondément humain.

Le sourire lumineux du jeune homme contraste avec la fine pluie qui s’abat sur Paris lorsque nous le retrouvons dans le vaste lounge de La Bellevilloise. Visiblement pas perturbé par cette météo morose, A Boogie Wit Da Hoodie a de quoi avoir le sourire. En 18 mois, le natif du Bronx est en effet entré dans une nouvelle dimension. Son premier album The Bigger Artist s’est classé à la quatrième place du Billboard 200 en octobre dernier, un succès commercial couplé avec de très belles critiques de la part de la presse spécialisée, tandis que son interprète se retrouvait intégré à la sélection des Freshman 2017 de XXL plus tôt dans l’année. En un EP, une mixtape et un album, A Boogie Wit Da Hoodie a prouvé sa polyvalence, étant capable de façonner de puissants bangers comme des ballades romantiques du plus bel effet. Au moment de revenir sur sa fabuleuse année, A Boogie Wit Da Hoodie se montre néanmoins modeste : “Je reste un petit nouveau. Je ne suis même pas sûr de ce que je fais à 100% car je suis toujours en train de découvrir ce monde.” Pour un début de carrière, il y a pourtant pire.

Originaire du quartier de Highbridge dans le Bronx, Artist Julius Dubose de son vrai nom baigne dans le hip-hop depuis l’enfance. “Quand j’étais petit j’écoutais des artistes locaux comme JAY-Z ou 50 Cent, beaucoup de rap new-yorkais old school également” confie-t-il, avant de préciser que ses goûts musicaux sont aussi éclectiques que ses créations : “J’écoute aussi beaucoup de RnB, j’adore le RnB, le rock aussi ! Il y a des sons que j’écoute tout le temps et les gens sont là à me dire ‘Mais qu’est-ce que c’est que cette merde ?’ Vous devez être ouvert à toutes les formes de musique quand vous êtes un artiste.” C’est cette enfance qui a offert un nom d’artiste au jeune garçon justement prénommé Artist : “Avec mes amis on arrêtait pas de regarder en boucle le film Paid In Full. Le personnage principal du film s’appelle A Boogie et j’ai tellement vu ce film que j’ai décidé de prendre ce surnom. Et comme je portais tout le temps un hoodie, la suite est venue naturellement” déclare-t-il sourire aux lèvres.

Comme il nous l’explique dans la foulée, ce nom de scène original lui a permis d’échapper à la pression inhérente à son vrai prénom, Artist : “Quand j’étais plus jeune, je trouvais mon prénom ringard parce que je n’avais rien réalisé pour mériter de m’appeler comme ça. Je ne savais même pas dessiner ! Je suis content d’avoir réussi à faire quelque chose de ma vie qui m’a permis de légitimer ce prénom.” Déjà bien installé sur la scène rap US, A Boogie Wit Da Hoodie a très tôt su qu’il voulait faire de la musique un métier, même s’il considère que ses débuts étaient loin d’être flamboyants : “Au début je rappais juste des conneries comme ‘Yeah, my name is A Hoodie, I own a grey hoodie’ et ensuite j’ai compris qu’il fallait faire des trucs entraînants. C’est là que la musique devient fun, vraiment très fun. J’ai commencé à créer mes propres mélodies et ça a changé ma façon de voir la musique.” 

Son évolution musicale est toutefois très loin d’être finie. Le chemin parcouru entre son premier EP Artist et son album The Bigger Artist le prouve bien : “Quand j’ai sorti Artist, je débarquais juste. Une fille m’avait fait beaucoup de mal et tout était encore coincé là” confie-t-il en pointant délicatement son coeur du doigt, avant de poursuivre “Je voulais évacuer toute cette peine en un projet, m’en débarrasser. Quand j’ai fait The Bigger Artist, j’ai senti que je devais faire quelque chose de plus abouti, de plus mature. J’ai commencé à faire différents styles de sons et à les assembler dans un projet. J’ai décidé de parler de ma vie, de mon passé, de mon futur et de rapper là dessus.” Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le public a répondu présent pour ce premier album, certifié disque d’or en moins de deux deux mois. Ce triomphe dans les bacs pousse toutefois A Boogie Wit Da Hoodie à chercher à faire encore mieux à l’avenir : “Je ne m’attendais pas à un aussi gros succès pour un premier album, je voyais avant tout ça comme un vrai départ pour ma carrière. Maintenant je veux la certification platine, mes standards doivent grimper.”

Et comment A Boogie Wit Da Hoodie élabore-t-il ces morceaux si efficaces et entêtants, à l’image de son tube “Drowning” en featuring avec Kodak Black ? Pour lui, le feeling prime sur un quelconque schéma créatif devant être répété : “Je fais toujours les choses différemment. Parfois je trouve d’abord un beat, je me mets à l’adorer, ma voix sonne bien dessus et je trouve les mots. Parfois j’ai des paroles que j’aime et je me mets à la recherche d’un beat pour les mettre en musique.” S’il devait néanmoins identifier un dénominateur commun dans son processus créatif, le rappeur new-yorkais opterait pour le piano, son instrument favori qu’il pratique depuis de nombreuses années. Un instrument qui revêt également une symbolique toute particulière pour lui : “J’ai mis ce piano sur l’artwork de mon EP. Tous les morceaux de ce projet sont basés sur une instru au piano. J’avais le cœur brisé, et sur cet artwork on voit une fille qui me contrôle comme une marionnette, qui contrôlait ma musique et qui contrôlait tout ce que je disais. Sur l’artwork de Bigger Artist, je suis devenu le marionnettiste.” 

Appréciant se mettre à nu dans certains de ses morceaux, A Boogie Wit Da Hoodie sait aussi faire ressortir la sensibilité de ses proches collaborateurs, et notamment celle de Metro Boomin qui a produit deux titres de son dernier album. Le new-yorkais revient alors en détail sur l’élaboration de la chanson d’amour “Get yo You” : “Pour moi, Metro Boomin est le meilleur producteur de l’histoire” explique-t-il, avant de nous raconter une discussion qu’il a eu avec le producteur d’Atlanta lors de l’enregistrement de ce morceau “il est venu chez moi pour faire des sons et je lui demande s’il sait faire une chanson d’amour. Il me sort ‘Bien sûr que oui’ et du coup je lui réponds ‘Tu dois m’en faire une, parce qu’avec moi ça sera quelque chose de différent.’ Quand on a fini de l’enregistrer… C’était juste parfait.” A l’écoute du résultat, difficile de ne pas acquiescer devant les dires de A Boogie Wit Da Hoodie. 

Après une enfance parfois difficile et une peine de cœur dure à surmonter, le natif du Bronx est conscient qu’il lui reste encore beaucoup d’épreuves difficiles à traverser. Des épreuves différentes, liées à la renommée, au succès et à la célébrité, mais des épreuves tout de même : “Ma vie actuelle, chaque petit garçon de là où je viens aimerait la vivre. Ca implique des responsabilités plus grandes et c’est là que ça devient plus difficile” confesse-t-il, avant d’expliciter son propos “tu dois être quelqu’un de responsable si tu veux mener une vie comme ça, surtout si tu veux gagner beaucoup d’argent. Tu dois être capable de gérer cet argent, gérer ta vie personnelle, ton entourage, tout. Tu dois être professionnel dans ce que tu fais.” Voilà pourquoi au moment de résumer l’année de sa consécration en un mot, A Boogie Wit Da Hoodie prend le contre-pied en optant pour le terme : “Difficile.” La difficulté d’être toujours un exemple pour ses fans s’ajoutant à la difficulté d’être trop souvent séparé de sa petite fille, Melody Valentine, née il y a quelques mois : “Devenir père, en étant rappeur, c’est quelque chose de compliqué. Quand on est en tournée, il n’y a pas un jour qui passe sans que je pense à ma fille. Avant quand j’étais sur la route, je ne voulais même pas rentrer chez moi. Je bougeais toute l’année, je n’avais même pas besoin d’avoir une maison !” plaisante-t-il, avant de soudainement s’assombrir, “ça fait mal de ne pas voir sa fille pendant plusieurs semaines” souffle timidement le jeune père. Impressionnant de maturité et de recul à seulement 22 ans, A Boogie Wit Da Hoodie semble avoir toutes les clés en main pour réussir sur les plans artistiques et personnels.

Alors que notre entretien touche pratiquement à sa fin, le rappeur new-yorkais n’oublie pas de dresser les louanges de ses fans et d’évoquer son avenir : “Certains artistes font un tube, c’est un bon tube et ils le diffusent en boucle en boîte de nuit quelques mois. Je ne veux pas d’une carrière comme ça. Je veux du long-terme. Mes fans n’attendent pas un single, ils attendent un projet. Ils s’y connaissent. Ils m’attendent au tournant et c’est parfois stressant. Mais j’aime tellement ce que je fais.” A Boogie Wit Da Hoodie ne nous quitte toutefois pas sans raconter une ultime anecdote, afin de faire comprendre au public français ce qu’il représente désormais de l’autre côté de l’Atlantique : “Il n’y a pas si longtemps je décide de faire un concert sauvage chez moi dans le Bronx. Je suis sur Instagram et je dis à mes fans ‘Rendez-vous devant le Yankee Stadium dans 30 minutes.’ C’était n’importe quoi, il y avait tellement de monde, j’avais les larmes aux yeux. Les jeunes étaient en transe, ils montaient sur notre bus de tournée, les flics sont arrivés, les kids nous ont pourchassé jusque sur l’autoroute ! J’avais l’impression d’être une sorte de Michael Jackson pour ces gamins, surtout à New York. Je veux que ça devienne comme ça partout dans le monde. J’aime me retrouver tout seul avec mes pensées parfois, ne pas me faire d’embêter dans les rues, mais si ça m’arrive trop souvent je me dirai ‘Mais bordel, pourquoi les gens ne savent pas qui je suis ?!’.” Vu son ascension fulgurante et son talent certain, il y a fort à parier que très bientôt, tout le monde sera capable de reconnaître le visage malicieux et plein de vie de l’un des futurs grands noms du hip-hop mondial.

Texte et propos recueillis par Julien Perocheau

Photos par Tommy Sailt pour Views