Quavo, Offset, Takeoff et la tentation d’une carrière solo

Cette semaine, lors d’une interview avec Angie Martinez, Quavo a annoncé sa volonté de sortir un projet solo en septembre. Tout en précisant qu’Offset et Takeoff travaillaient eux aussi sur leurs projets solo respectifs. Excitante sur le papier, cette ambition s’accompagne aussi de quelques doutes, tout sauf illégitimes.

Avant tout, il est important de préciser que cela ne signifie pas la fin prochaine de Migos. Et ça, Quavo l’a bien précisé lors de cette fameuse interview : “On a chacun notre chemin, mais le but c’est de revenir avec des trophées qu’on va célébrer ensemble. Voilà ce qu’il en est.” Malgré cette volonté de rassurer les fans du trio, des albums solos d’Offset, Takeoff et Quavo sont le signe d’une ambition nouvelle, qui se limitait jusqu’à présent à des projets communs avec d’autres rappeurs. Et si l’ambition est noble, le défi semble immense, tant réussir en solo exigera des qualités différentes de ce qui fait la force de Migos jusqu’ici : la complémentarité et l’alchimie.

Connu pour posséder une symbiose quasi-parfaite, le trio a su largement grandir ensemble pour mieux affirmer le style et la personnalité de chacun. L’époque où il était bien difficile de différencier la voix et les flows des uns et des autres (et ce n’est pas Rohff qui dira le contraire) est aujourd’hui révolue et cela fut une étape majeure pour franchir un cap en terme de succès et de visibilité. Pour autant, Quavo, Offset et Takeoff n’excellent jamais autant que lorsqu’ils sont unis.

D’un coté, Quavo en est indéniablement la tête d’affiche. Sa notoriété personnelle a grimpé en flèche entre 2016 et 2017, bien aidé par une pléthore de featurings allant des têtes d’affiche du rap aux plus grosses stars de la pop, faisant de lui un artiste incontournable du Billboard Hot 100. Pourtant, ces derniers mois, une forme de lassitude autour de ses performances s’est fait ressentir, justifiée notamment par l’aspect générique de certaines de ses apparitions, où Huncho paraît être en pilotage automatique et livre ainsi le strict minimum. Et dans ces circonstances, sortir un projet solo devient d’autant plus un challenge pour lui puisque ne pouvant pas compter sur l’apport de ses deux compères pour offrir de la versatilité aux morceaux, notamment via leurs couplets plein d’énergie. Sur la longueur d’un projet, Quavo pourrait donc ne pas totalement convaincre s’il reste dans la lignée de certaines de ses récentes performances, à l’image des critiques qu’il a déjà subi sur Huncho Jack, Jack Huncho, projet assez mal reçu par le public et les critiques. Sur le papier, le projet de Quavo et Travis Scott posait les mêmes enjeux que des projets solos des membres de Migos aujourd’hui : excitant à première vue, mais véritable challenge tant l’exercice varie de leurs habitudes respectives et pourrait exposer leurs faiblesses.

À l’opposé, le cas de Takeoff pose tout autant de questions mais pour des raisons bien différentes. S’il s’est révélé comme le “MVP” de Culture II de par l’inventivité, l’aisance, la consistance et l’énergie de ses apparitions, on est en droit de douter de son intérêt à se lancer en solo. En retrait médiatiquement et bien peu présent en solo ou en featuring, Takeoff n’est que très peu mis en avant quand la notoriété de Quavo et Offset ne lui offre pas toute la lumière que son talent mérite. En clair, Takeoff est pleinement capable de sortir un excellent projet solo, d’autant plus s’il est drivé par un solide producteur exécutif. Il risquerait pourtant de goûter à un succès bien en-deçà de ce à quoi il a connu avec Culture et Culture II, posant donc la question de ce qu’il aurait à y gagner d’un point de vue personnel, si ce n’est rester actif pendant que ses deux compères comblent leur volonté de carrière solo. La curiosité est donc bien présente, mais cela s’accompagnera sans doute d’ambitions commerciales revues à la basse pour démarrer cette carrière solo, car le nom de Takeoff n’est pas établi auprès du grand public jusqu’ici.

Enfin, le cas d’Offset est sans doute celui qui offre les meilleures garanties. Là où Quavo s’est affirmé comme une véritable star en son nom en 2016, Offset a su brillamment l’imiter en 2017, bien aidé par sa romance très médiatisée avec Cardi B et sa présence sur de nombreux gros titres des 18 derniers mois : “Ric Flair Drip”, “No Complaints”, “Taste”, “Met Gala” ou encore “Patek Water”. Si l’expérience avec 21 Savage et Metro Boomin sur le projet commun Without Warning s’est révélée intéressante, elle n’a pas eu l’impact escomptée, au-delà du tube “Ric Flair Drip”. Et bien qu’Offset pourrait rencontrer à la fois le succès critique et commercial en solo, pourrait-il égaler le triomphe qu’il a gouté en groupe ? Là aussi, une réponse affirmative semble peu probable, malgré sa véritable ascension. Même si une fois de plus, la curiosité est présente, elle n’égale sans doute pas l’excitation d’un album avec ses deux compères.

Migos s’est montré tellement présent depuis 2016, qu’il est sans doute facile de prendre leur présence pour acquise. Pourtant, en l’espace d’un an, ils ont sorti l’un des albums les plus importants de la trap moderne avec Culture, véritable manifeste du son d’Atlanta et projet génialement épuré pour n’en retenir que des moments forts. Puis, le groupe a enchainé par un album plus expérimental et plein de hits mais sans doute trop long et trop rapidement critiqué avec Culture II. Toutefois, le succès de ce disque les a confirmé au sommet de l’industrie et de la culture. À trois, ils ont donc réussi à devenir un symbole fort de la culture rap et de la « Black Excellence ». Qu’on le veuille ou non, Migos est déjà rentré dans l’histoire de la même façon que les prestigieux groupes des années 1990 qui les ont précédé. Dès lors, il paraît logique pour certain de souhaiter voir Quavo, Offset et Takeoff continuer ensemble leur formidable run et pleinement se concentrer sur le successeur de Culture II. Même si cela doit retarder leurs ambitions en solo.

Séparément, ils sont doués, réunis, ils n’ont aucun équivalent dans leur génération. Et comme le veut l’adage, on ne change pas une équipe qui gagne.