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Belly, l’avènement du rap au cinéma

Mal reçu par la critique et cauchemar de production, Belly a connu une sortie chaotique au cinéma en novembre 1998. Premier film d’Hype Williams, réalisateur emblématique de clips de rap, il est devenu au fil des années un objet culte, qui continue de servir de modèle, dans des chansons et dans des clips. Le dernier en date ? “Belly”, de Prince Waly et Dinos, sorti fin janvier 2024. Belly semble éternel, même vingt-six après sa sortie. 

L’ère des costumes brillants

Depuis son Queens natal, le jeune Hype Williams rêve de cinéma. Il s’imagine derrière une caméra, se voit capturer sur pellicule tous les personnages plus grands que nature qu’il voit défiler sous ses yeux. Produit des années soixante-dix, Hype Williams vit la naissance de la culture hip-hop. Elle est toute proche de lui, et il baigne dans son effervescence. Il s’y immerge même pendant un temps, en tant qu’artiste de graffiti, couvrant des murs et des rames de métro. Alors qu’il étudie le cinéma à l’université, les clips de Rap sont rares. MTV est lancée en 1981, et avec la chaîne, une foule de possibilités. Deux ans plus tard, une autre émission diffuse des clips et se révèlera être d’une importance capitale dans le développement du genre : Video Music Box. Hype Williams réussit à y décrocher un emploi. Il y apprend les rouages du métier, se professionnalise, et se sent bientôt prêt à réaliser son propre clip. 1991 le voit derrière la caméra de deux vidéos : “We Want Money” du groupe BWP, et “Just Hanging Out” de Main Source, collectif qui offre la même année à Nas son premier couplet sur disque. Hasard ou heureuse coïncidence : Nas sera un des acteurs principaux de Belly, sept ans plus tard. 

À presque lui seul, Hype Williams définit l’aspect visuel du rap du milieu des années quatre-vingt-dix. Dans ses clips, tout est extravagant ; Missy Elliott et Busta Rhymes, aussi radicaux et influents dans leur musique que dans leurs clips, sont les véhicules parfaits des idées de Williams. Pour eux, il multiplie les effets de zooms, les plans larges, use de fisheyes, de couleurs détonantes et les filme habillés avec toutes sortes de vêtements. “Big Poppa” pour Notorious B.I.G, “Hey Lover” d’LL Cool J, “Woo Hah!! Got You All In Check” de Busta Rhymes, “The Rain” pour Missy Elliott — nommé meilleur clip de Rap par le magazine Rolling Stone en 2023 —,… la liste est longue de plus de deux-cents références et d’au moins autant de scènes passées à la postérité, comme ce moment où, dans “The Rain”, Missy Elliott rappe habillée d’un sac-poubelle de la tête aux pieds. Hype, c’était l’extravagance en toute circonstance, et un sens de l’originalité qui lui vaut nombre de récompenses. 

Et c’est peut-être là, l’un des apports les plus importants d’Hype Williams à la culture hip-hop : le sens du style et l’esthétique poussée à son paroxysme. Il est en partie responsable de l’imagerie Bad Boy, et de ce qui sera nommé plus tard la “shiny suit era”, soit l’ère des “costumes brillants” ce moment où tout semblait flashy, plein de paillettes et de champagne luxueux. Pour preuve, Hype Williams est derrière le clip de “Mo Money Mo Problem”, de Notorious B.I.G, avec Diddy et Mase. Les trois rappeurs flottaient dans les airs, précipités dans des endroits venus du futur et habillés de costumes rouges brillants. Tout était démesuré, comme le clip de “Put Your Hands Where I Can See” de Busta Rhymes, souvent cité comme un des meilleurs clips de l’Histoire. Les images étaient psychédéliques, captées pendant ce qui ressemblait à un faux voyage sur le continent africain aux thèmes afro-futuristes. Avec Hype Williams, il était parfois difficile de comprendre où les histoires menaient, mais les visuels étaient toujours saisissants. 

Hélas souvent oubliée à l’heure de lister les personnes les plus influentes en matière d’esthétisme, la costumière June Ambrose épaule Hype Williams sur les tournages de ses clips. C’est elle, aussi, qui l’assiste pour le film Belly. Et donc elle qui indique à Nas et DMX de porter des vêtements des marques Evisu, Avirex ou Enyce, devenues cultes. L’impact de June Ambrose est colossal : elle a habillé, au moins indirectement, une foule de rappeurs et leurs auditeurs.

Les choses sérieuses

Belly est le premier et le dernier film d’Hype Williams. Avant même sa sortie, la communauté hip-hop se réjouit du casting. DMX et Nas y jouent les rôles principaux, Method Man, T-Booz du groupe TLC, Mr. Vegas, Sean Paul, AZ et Ghostface Killah, y font des apparitions. Avant Belly, Nas est déjà une superstar. Illmatic et It Was Written sont passés par là, et il est une des principales têtes d’affiche du rap new-yorkais. Hype Williams et Nas avaient travaillé ensemble sur le clip d’”If I Ruled The World”, et sur le plateau, en 1996, Hype parlait déjà à Nasir des idées qu’il avait pour son premier film. DMX est en passe de devenir le chien fou le plus célèbre du circuit, notamment pendant l’année 98 où il raflera tout sur son passage. Mais au moment de Belly, il n’est connu que des initiés. 

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À sa sortie en novembre 1998, il est vite évident que Belly est une affaire de style. Il n’y a qu’à visionner la scène introductive, désormais passée à la postérité. Il faut observer Nas et DMX, leurs gestes ralentis, leur attitude de défi, les couleurs et les regards. Le charisme qui transpire de chacune de leurs postures. Il faut les voir entrer dans cette boite de nuit où des femmes dansent à moitié nues, puis commettre un braquage et s’enfuir alors que les balles pleuvent autour d’eux. Pour la plupart des spectateurs, la scène est une petite prouesse technique, tout en lumières ultraviolettes et effets stroboscopiques, et la transposition à Hollywood du “cool” des clips de rap filmés par Hype Williams. La plupart du budget du film est d’ailleurs consacrée à cette seule scène d’introduction. 

Avec Belly, Hype Williams semble presque avoir monté un clip de quatre-vingt-dix minutes. À tel point que ce n’est plus le scénario qui compte, ou une forme de suspense, mais simplement les plans, et l’allure de chacun des personnages. Les arrêts sur image fascinent, les couleurs aussi, et cette manière particulière de filmer les peaux des personnages pour qu’elles brillent presque à l’écran. Rarement les peaux noires n’auront été si bien mises en avant : Hype Williams est particulièrement attentif aux lumières et à l’importance de montrer la beauté de peaux jusqu’alors souvent négligées au cinéma. Son travail sera une des sources d’inspiration des réalisateurs Barry Jenkins, Issa Rae et Jordan Peele, des années plus tard. Hype Williams est un réalisateur noir, qui filme des acteurs noirs, pris au piège d’une histoire touchant la communauté noire. À tort, et par racisme évident, qualifié de “film communautaire” par certains critiques, Belly est avant tout un film attaché à montrer la beauté et le danger d’une histoire aux ressorts tragiques. Pour la communauté hip-hop, c’est aussi un manuel d’élégance, où les bijoux sont omniprésents, et où il suffit de noter tous les habits portés dans le long-métrage pour les porter et se sentir immédiatement grandi de quelques centimètres. 

Le Prince et Dinos : Belly des temps modernes

Ce n’est finalement pas tant le film qui compte, mais la manière dont il est réalisé. Et des années plus tard, ce ne sont pas ses thèmes qui seront célébrés, mais la façon dont il a été filmé. À la fin du mois de janvier, Prince Waly sort le clip “Belly”, accompagné de Dinos. Tout y rappelle le film d’Hype Williams. Les plans larges d’immeubles, pour capturer l’ambiance d’un environnement et lui rendre hommage. Les effets de zoom, pour se tenir au plus proche de son sujet et de ses troubles. Les images en contre-plongée, pour transformer les acteurs en légendes, les faire se tenir au-dessus du monde, personnages plus grands que nature. La caméra qui bouge et ne tient pas en place, le mouvement permanent, l’urgence de situations déjà désespérées et la fuite vers l’avant. Et puis il a les couleurs. Principalement du noir et blanc, comme dans cette fameuse scène de Belly, nommée “Tommy’s Crib”. Une immense maison à l’aspect minimaliste, où tout n’est qu’en deux couleurs, avec des photos de nus en noir et blanc du photographe français Thierry Le Gouès accrochés au mur. 

Nas y est filmé sous une photographie du corps d’une femme noire, avachi dans un canapé en cuir. Même les vêtements du clip de Prince Waly et Dinos semblent être ceux portés par les acteurs dans Belly. Du cuir, du cuir et encore du cuir, Dinos arborant dans le clip une veste conçue par P.O.Views. Hype Williams semblait presque parfois être un fétichiste des vêtements, comme s’ils étaient une ramure qu’il fallait filmer sous tous ses angles. Avec lui, la moindre paire de Timberland devenait la meilleure chaussure sur terre, et le plus sombre des hoodies Carhartt pouvait se transformer en gilet pare-balle. C’est le parti pris de Belly, mais aussi, dans un sens, une célébration du style et du bagout érigés comme éléments indispensables de la culture hip-hop. 

Belly avait tout de l’échec annoncé : parfois écrit et joué maladroitement, gorgé de quelques clichés vus et revus, avec des acteurs qui arrivaient parfois en plateau défoncés ou alcoolisés, le film aurait pu tomber dans l’anonymat aussi vite qu’il en était sorti. C’était sans compter la génération hip-hop, qui l’a fait sien, et qui continue de le référencer, dans des clips ou des titres de chansons. Et Hype Williams d’habiter les mémoires collectives.