Pourquoi Ateyaba peut faire de 2019 son année

Le retour tant attendu va bien avoir lieu, et il risque de faire du bruit.

Photo : Ben Dorado

En mai dernier, celui que l’on appelait alors encore Joke mettait les points sur les i : “Joke est mort, vive Ateyaba.” Une nouvelle identité posée comme une première pierre pour préparer le retour d’un artiste adulé par une grande partie des amateurs de rap français. Depuis 2016 en effet, la question du “retour” tant attendu revenait sur la table, avant qu’une cassure nette dans la carrière de l’artiste ne vienne mettre entre parenthèses la sortie de nouveaux titres et projets.

Pourtant, dès le début de l’année 2017, tout semblait s’enclencher pour que le rappeur confirme enfin avec un projet espéré pour le début de l’été, titré Ultraviolet. Cette annonce est ensuite suivie d’une date de sortie officielle, finalement programmée pour le 24 novembre de la même année, puis, courant novembre 2017, le projet est une nouvelle fois reporté, sans date précisée, à l’année 2018. Nous sommes désormais en 2019 et ce n’est un mystère pour personne, Ultraviolet n’est toujours pas sorti et la frustration des fans est pourtant bien moins grande qu’elle n’a pu l’être pendant de nombreuses années. Et c’est bien parce que le retour d’Ateyaba, ou plutôt ses vrais débuts sous ce nom et sur le format projet, s’annonce comme l’un des évènement de l’année sur la scène française. À l’heure de ses premiers succès grand public, les avis étaient unanimes : si l’année calendaire était bien 2013, Joke était, lui, déjà en 2033. Dès lors, comment imaginer une mutation artistique pour cet artiste sensé avoir déjà dépassé l’ensemble du rap français ?

C’est un fait, Joke avait su, à travers ses EPs KyotoTokyo, Delorean Music ou encore son album Ateyaba, développer un univers unique. Ses flows, textes, productions et autres gimmicks ont donné au rappeur un statut de précurseur largement mérité, et le temps n’a fait qu’asseoir cette réputation puisque de nombreuses années après la sortie de ces projets, la musique proposée par Ateyaba à l’époque n’a pas vieilli et paraît toujours en avance sur bien des aspects, à l’exception peut être du mixage et mastering des projets. À travers une prise de risque artistique assumée et portée en étendard dans sa carrière, il avait su surprendre et apporter des sonorités nouvelles, faisant de chacune de ses sorties un évènement fédérant de plus en plus de fans. Ses différents projets sortis entre 2012 et début 2015 regorgeaient ainsi de morceaux aux directions artistiques très marquées, comme “Journée” ou “Kyoto” dans l’EP éponyme, “Tokyo Narita”, “Django” ou “Harajuku” dans l’EP Tokyo, et bien sûr d’autres comme “On est sur les nerfs”, “New Jack City”, “Casino” (Ateyaba) ou “Amidala” (Delorean Music).

En 2017, celui qui était encore Joke amorce son retour avec la sortie, fin mars, de son nouveau titre “Vision”, accompagné d’un clip à l’esthétique et à l’énergie brutes, réalisé par Nathalie Canguilhem en partenariat avec Nike pour la sortie de la Air VaporMax. Le morceau, efficacement produit par Ikaz Boi, marque son retour et séduit largement son public, et est sensé être suivi les mois suivants par de nouveaux extraits de l’album Ultraviolet. En août, 3 titres sont dévoilés par le rappeur : Playa Part. II, titré en référence au morceau “Playa” longuement teasé avant d’être perdu, “Caramelo” et “Mendeleiev”. Les 4 morceaux sortis jusqu’alors en 2017 laissent attendre le meilleur pour l’album Ultraviolet, annoncé pour le 24 novembre. Les derniers titres dévoilés montrent en effet Joke dans différentes ambiances et réaffirment son statut d’artiste particulièrement créatif et audacieux, à l’image de l’expérimental “Mendeleiev”.

Les semaines suivantes sont déterminantes. Le rappeur annonce la sortie de son album Ultraviolet, puis, sans explications, le repousse finalement à courant 2018. De nombreuses rumeurs circulent alors quant aux causes de ce report, sans qu’aucune ne soit très convaincante puisque la plupart des professionnels s’accordent à dire que le projet était fini et quasiment prêt à être sorti. Le rappeur s’envole ensuite pour le soleil et la chaleur de Californie, loin de l’exaspération de certains de ses fans, afin de clipper un ou plusieurs morceaux d’Ultraviolet. Cependant, la cassure a déjà eu lieu et le processus devant amener à son retour définitif doit repartir d’assez loin : l’artiste s’est séparé de son management durant l’automne 2017, non sans tension, et est toujours sous contrat avec son label Capitol, signé après la sortie de son dernier projet chez Def Jam, et ne se reconnaît plus forcément dans le projet “Joke”. Il lui faut opérer un bouleversement dans sa carrière, et cela passe d’abord par le changement de nom, qui devra être suivi d’une nouvelle carte d’identité musicale. Mais les derniers mois de l’année 2018, même s’ils ne voient pas la sortie de son album, créent l’effervescence et permettent à Ateyaba de retrouver sa place dans le coeur de ses fans grâce à la sortie consécutive d’un nouveau single annonçant Ultraviolet, puis de 3 morceaux hors projet dont la qualité et les sonorités lui permettent de définir les bases musicales de sa nouvelle identité.

Le dernier morceau, “Lgbiri”, sorti le 1er janvier, en est un exemple particulièrement frappant et sa date de sortie n’est pas anodine : 2019 commence avec Ateyaba et il compte bien le faire savoir. Même s’il n’a jamais cessé d’écrire et d’enregistrer, l’artiste est de nouveau productif pour son public et ce dernier s’avère conquis. Accompagné de Ben Dorado pour son identité visuelle, beaucoup plus travaillée qu’auparavant, il a même pu se permettre le luxe de sortir des morceaux non retenus au travers de la radio de leur collectif Spirit Of Ecstasy et de son compte SoundCloud, alors que ses fans avaient pu lui reprocher jusqu’ici son manque de communication à leur égard.

Les planètes semblent aujourd’hui alignées pour Ateyaba : son public, particulièrement fidèle, est conquis par les dernières pépites qu’il a pu lui offrir, et le paysage actuel du rap français semble plus que jamais disposé à lui faire la place qu’il méritait dès 2014, avant que ses sonorités et sa musique n’aient les outils de diffusion actuels à disposition. Pour faire de ce retour un succès et enfin s’installer comme l’artiste majeur de sa génération, le rappeur va devoir faire face à un défi majeur : réussir à mobiliser définitivement sa fanbase pour qui, bien que de plus en plus active, l’effet de surprise entretenu sur cette dernière partie de 2018 ne sera peut-être pas suffisant, le public n’ayant pas de repères précis. Ateyaba devra certainement prendre la parole auprès de son public afin de transformer l’essai et impliquer pleinement son public au coeur de son projet. Cela passera peut être aussi par l’organisation d’une grande date de concert pour asseoir son retour et l’ancrer de la réalité : son public en est particulièrement friand et ses deux tournées entre 2013 et 2015 avaient rencontré leur public, et il avait même réussi le tour de force de quasiment remplir un Olympia, où il aurait dû se produire début 2018, sans aucun nouvel album.

Une chose est sûre, alors que l’on pourrait croire que ce come-back repoussé de si nombreuses fois ces dernières années aurait suffit à l’éteindre, il n’en est rien : artistiquement, la musique qu’il propose est en constante évolution et séduit très largement, son travail avec des producteurs comme Notinbed, Ikaz Boi ou Myth Syzer et son utilisation novatrice en France du vocoder lui permet d’obtenir un son comme nul autre. Visuellement, il travaille conjointement avec des créatifs talentueux qui lui permettent de construire une identité propre à son projet. Enfin, son public semble plus que jamais prêt et désireux d’observer son retour et n’attend que peu de choses pour se mobiliser : des dates de sorties, une communication plus inclusive et, enfin, le retour sur scène de son artiste fétiche pour vivre en live Ultraviolet.

En toute logique, 2019 doit être marqué par Ateyaba : il n’a plus qu’à enclencher la machine et à observer son succès prendre vie à nouveau, presque 5 ans après son dernier long format.