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Les fans de rap sont les plus impatients au monde

C’était un petit événement. Le vendredi 4 janvier, pour la première fois depuis une éternité, Views n’a pas publié sa sélection des 3 albums à ne pas manquer. Même constat pour notre curation des sorties de singles. Ce vendredi noir, intervenu quelques jours seulement après le Nouvel An et coincé en pleine période de vacances dans la majeure partie du globe, fait suite au triste vendredi 28 décembre, lui aussi vierge en sorties attrayantes. Et même s’il est totalement normal qu’aucun artiste majeur ne prenne le risque de sortir un projet dans ce qui est probablement la période la plus creuse de l’année musicale, cette courte traversée du désert semble en avoir désarçonné plus d’un.

Pourquoi un tel désarroi ? Tout simplement car le vendredi est depuis longtemps synonyme de nouvelles écoutes, de téléchargements, d’ajouts à des playlists soigneusement élaborées. Un jour de discussions, de débats et d’analyses des nouveautés. Devenu le genre musical le plus écouté au monde, le rap brille aujourd’hui autant par sa qualité que par sa quantité. Les centaines d’artistes américains et francophones abreuvent sans cesse les fans en singles, EP, mixtapes ou albums. Voilà pourquoi ces périodes de creux semblent durer une éternité et remettent en cause notre façon non pas d’écouter, mais de consommer la musique.

Nul ne pourra le nier, 2018 a été un cru remarquable pour le rap, français comme américain. De l’autre côté de l’Atlantique, la plupart des mastodontes de l’industrie y sont allés de leur album, à l’exception de Kendrick Lamar, bien que le natif de Compton soit à l’origine de l’excellente B.O de Black Panther. L’hexagone n’a pas été en reste, avec de superbes sorties de la part d’artistes confirmés, comme Damso, Alpha Wann ou Dinos, ainsi que des projets fascinants de la part de figures émergentes comme Laylow ou Josman. Pour faire simple, quasiment chaque vendredi de l’année écoulée constituait un petit événement en soi.

Le symbole ultime de la frénésie de sorties qui s’est emparé du rap en 2018 est sans aucun doute le désormais célèbre run créatif insensé de Kanye West, qui a produit 5 albums sortis en 5 semaines à la fin du printemps. Pendant plus d’un mois, un projet dirigé par Yeezy était donc offert aux fans. Difficile de ne pas s’habituer à un tel confort, surtout quand on sait qu’une dizaine de jours plus tard, Drake revenait avec son blockbuster Scorpion et que le mois d’août fut marqué par les sorties d’Astroworld ou encore du single “91s” de PNL.

Devant cet afflux constant de nouveautés musicale, il est donc de plus en plus fréquent de passer d’un projet à un autre rapidement. Voire très rapidement. Nos habitudes de consommation culturelle ont évolué, et pas uniquement dans la musique, le binge-watching popularisé avec Netflix en étant la preuve. L’avénement des plateformes de streaming, l’importance des playlists et les innombrables arrivées de nouveaux talents ont donc profondément changé notre paradigme. La durée de vie d’un projet n’a ainsi jamais semblé aussi courte. Voilà pourquoi la période des fêtes de fin d’année, véritable trêve hivernale de l’industrie du disque, apparaît comme une anomalie aux yeux de fans toujours plus avides de sonorités inédites.

Comme des accrocs n’ayant pas eu accès leur dose, les fans de rap doivent désormais prendre leur mal en patience et attendre la fin de cette période de flottement. Et les errements de certains artistes ne sont pas là pour les aider, bien au contraire. Kanye West a repoussé Yandhi par deux fois, Lil Uzi Vert parle de son Eternal Atake depuis des mois et des mois, tandis qu’Offset devait constituer la sortie majeure de la fin d’année avec son album solo. Il aura visiblement préféré exposer sa rupture avec Cardi B aux yeux du monde entier. Enfin, que dire de l’étrange silence de PNL ? Car si les fans de rap ont maintes fois prouvé qu’ils savaient se montrer anormalement patients avec leurs idoles, il sont paradoxalement les plus anxieux lorsque le flot de nouveautés se tarit.

Néanmoins, cette disette devrait bientôt toucher à sa fin et chacun pourra de nouveau se jeter corps et âmes dans l’écoute intensive de dizaines de projets par semaine. Elle aura néanmoins eu pour intérêt de faire s’interroger sur certains sur leur façon d’aborder le bien culturel que constitue la musique. Le rap est-il condamné à devenir de la junk-music ? Un genre consommé aussi rapidement qu’il serait oublié ? Le talent indéniable de nombreux artistes américains et français, tout comme l’intelligence des fans et la suprématie de ce courant musical sur notre époque, devraient toutefois nous amener à penser le contraire. Prenons donc notre mal en patience, 2019 dispose de tous les arguments pour être encore une très belle année musicale.