L’année 2019 du rap français est pour l’instant marquée du sceau de la nostalgie. Il y a quelques semaines, PNL faisait son grand retour avec Deux Frères, plus de deux ans après la sortie de Dans la légende. Une occasion en or pour nous ramener quelques années en arrière, certains artistes demeurant irrémédiablement associés à une époque bien précise. C’est le cas pour Nekfeu. Moins taiseux que les frères Andrieu, tout en restant discret, le rappeur parisien n’a toutefois sorti aucun projet solo depuis ce fameux 2 décembre 2016, le sublime Cyborg et un Bercy passé à la postérité. En offrant par surprise le successeur de Feu, Ken Samaras bouclait avec brio la seconde phase de sa carrière. Depuis ? Plus rien ou pas grand chose. Un choix qui a longtemps interrogé, autant qu’il a inquiété une partie des fans du fennec.
Nekfeu en avait-il fini avec la musique ? Allait-il complètement claquer la porte d’une industrie qui l’a porté aux nues et qui en a fait une superstar ? N’en a-t-il pas tout simplement eu marre de la célébrité et des tentations qui l’accompagnent ? Les spéculations furent nombreuses. Totalement maître de ses choix et suffisamment important pour fixer lui même son calendrier musical, Nekfeu s’essaie alors au cinéma, tout d’abord sous la caméra de Thierry Klifa dans Tout nous sépare, un long-métrage sorti en novembre 2017. Des premiers pas dans le septième art avec un film loin d’être mémorable, bien que porté par un casting de choix, le rappeur partageant l’affiche avec Catherine Deneuve et Diane Kruger. Très présent lors de la promo du film, Nekfeu le répète alors inlassablement : non, il n’en a pas fini avec la musique et oui, il reviendra.
Dans la foulée, il tourne dans L’échappée, un projet actuellement en phase de post-production. Visiblement inspiré par son passage par la case cinéma, Nekfeu indique que cette expérience lui servira à pousser son univers visuel encore plus loin lorsqu’il fera son retour. Ne pouvant pas rester silencieux éternellement, le parisien va alors se mettre à enchaîner les featurings sur des projets majeurs de ces deux dernières années. On le retrouve aux côtés d’Orelsan et Dizzee Rascal sur “San”, “Juste pour voir” de S. Pri Noir, “Woaw” de PLK ou encore sur “Éternité” de Jazzy Bazz. De quoi faire languir ses milliers de fans.
Ajoutez à cela plusieurs programmations en festival, avec une petite polémique lors de son passage à Lollapalooza l’été dernier, et tout semblait prêt pour un retour imminent. Nekfeu aura finalement pris encore un peu plus son temps, n’annonçant son retour que le 13 mai dernier. Toujours aussi habile dans sa communication, le rappeur révèle que son album Les Étoiles Vagabondes sortira au cinéma le 6 juin, servant ainsi de bande-originale au documentaire du même nom, co-réalisé par Syrine Boulanouar et lui-même. Un projet extrêmement ambitieux sur le plan artistique, que seul un rappeur de sa stature puisse totalement assumer. En une simple soirée, Ken Samaras s’était replacé au centre des débats.
D’entrée, Nekfeu donne le ton. Mélancolique comme jamais, il assure la voix-off du superbe trailer de son documentaire-album : “Tous les éléments composant l’univers, les galaxies, les amas de poussière, les astres s’éloignent les uns des autres inexorablement, un peu comme nous. Et quand deux étoiles sont trop proches et que l’une d’entre elles explose, il arrive qu’elle condamne l’autre étoile à errer sans trajectoire dans l’univers. On les appelle les étoiles vagabondes.” Diffusé ce soir en séance unique dans plus de 100 cinémas de France, d’outre-mer et même du Maghreb, Les Étoiles Vagabondes paraît déjà être un pari réussi. Alors que ses deux albums furent respectivement certifiés disque de diamant pour Feu et triple disque de platine pour Cyborg, Nekfeu devrait provoquer un nouveau raz-de-marée commercial avec ce troisième album solo.
Il y a quelques mois, nous nous interrogions sur l’ADN musical du rappeur parisien. L’occasion, déjà, d’évoquer le futur projet du fennec : “Ce troisième opus sera sûrement un tournant dans sa carrière : Cyborg nous a confirmé que son succès n’était pas qu’un buzz, le prochain devra confirmer sa place dans l’histoire du rap français.” Plus d’un an après la rédaction de ces lignes, le constat n’a pas changé. Artiste majeur de la décennie 2010, que ce soit grâce à ses projets en solo ou à son travail au sein de L’Entourage, de 1995 ou encore du S-Crew, Nekfeu fait aujourd’hui face au plus grand challenge de sa carrière. Revenir en solitaire, telle une étoile vagabonde, dans la grande arène du rap français. Un genre qui a bien évidemment évolué depuis son départ fin 2016. Néanmoins, la plume, la finesse et l’énergie du natif de La Trinité devraient lui permettre de reprendre sa conquête là où il l’avait laissée.
Il y a presque trois ans, Ken Samaras avait tiré sa révérence avec le refrain onirique de “Nekketsu”, chanté en japonais par Crystal Kay et qui servait de conclusion à Cyborg : “Relève-toi autant de fois qu’il le faudra / Et atteins les rêves que tu as devant les yeux / Et si parfois tu as le cœur lourd / Souviens-toi que / Tu n’es pas seul.” Les salles de cinéma pleines à craquer et le succès (déjà) assuré de son nouvel album le confirment, Nekfeu n’a peut-être jamais été aussi bien entouré.