“Jesus is King” est un bel hommage à Dieu mais pas un grand album de Kanye West

kanye west travis scott dr. dre wash us in the blood single morceau clip

“Everybody wanted Yandhi, then Jesus Christ did the laundry” clame Kanye West sur “Selah.” Voilà pour les explications. Après plus d’un an de promesses non tenues, un album abandonné en route, de Sunday Service dispensés à travers le pays, Ye a enfin fait son grand retour vendredi dernier en sortant Jesus is King, le neuvième album solo de sa carrière. Un projet qui fait suite à celui centré sur sa bipolarité, le mitigé Ye. Celui qui a grandi à Chicago se tourne donc aujourd’hui vers la religion et la spiritualité. En effet, Jesus is King marque la fin d’une longue quête personnelle vers le sacré, censée symboliser la rédemption intime de l’un des artistes les plus clivants au monde. Exit le Kanye torturé et polémique, il est désormais temps d’accueillir un homme de foi, qui confesse avoir vécu une renaissance depuis qu’il s’est immergé dans la foi. La question mérite toutefois d’être posée : est-ce là une simple passade artistique ou bien un véritable choix de vie de la part de West ? L’écoute de ce nouvel album nous laisse penser qu’il s’agit un peu des deux.

Teasé comme un album gospel pendant de longs mois, à l’image de The Life of Pablo en son temps, Jesus is King baigne assurément dans une ambiance religieuse, mais est d’avantage un album de rap chrétien plus qu’autre chose. Ce besoin de créer un projet centré sur la figure du Christ ne date en tout cas pas d’hier. En 2004, sur le magnifique “Jesus Walks”, Kanye West rappait par exemple : “They say you could rap about anything / Except for Jesus / That means guns, sex, lies, videotape / But if I talk about God / My record won’t get played – lls disent que tu peux rapper à propos de tout / Sauf de Jésus / Tu peux parler d’armes, de sexe, de mensonges, de films / Mais si je parle de Dieu / Mon morceau ne sera pas joué.” L’ambiance se veut donc grandiloquente comme sur l’intro du choeur du Sunday Service “Every Hour”, voire épique sur un titre comme “Selah.” L’essence de la musique Gospel est de s’élever dans les airs de par sa puissance, afin d’aller tutoyer le divin, et c’est sans doute ce que Kanye tente de faire sur la majorité des titres de Jesus is King. Cette ambiance biblique se retrouvera en effet tout au long de l’album, beau et juste musicalement, mais qui ne parviendra jamais à décoller vers les sphères grandioses atteintes sur My Beautiful Dark Twisted Fantasy ou sur The Life of Pablo.

Apaisé grâce à l’amour du Christ et à la foi, Kanye West n’évolue plus du tout dans le chaos et le fracas qui lui étaient si familiers. Cette nouvelle équation de vie se ressent dans cet album, qui n’en demeure pas moins un bel objet musical, malheureusement un peu décousu, très redondant dans les thématiques et beaucoup trop pauvre sur le plan textuel. Les 11 morceaux de Jesus is King sont en effet tous centrés sur la religion, la figure de Dieu et les enseignements de la bible. Un discours martelé jusqu’à l’usure, malgré quelques moments burlesques très Kanye (qui ne mettront pas tout le monde d’accord), comme sur le “Closed on Sunday, you’re my Chick-Fil-A.” Une référence à la populaire chaîne américaine de poulet frit, dont le PDG est toutefois connu pour ses donations à des fondations chrétiennes cherchant à “guérir l’homosexualité.” Cette phrase exceptée, le propos de Jesus is King reste extrêmement polissé et politiquement correct, ne risquant de froisser personne, excepté peut-être un athée très convaincu. Pour preuve, l’album ne contient aucun Parental Advisory Explicit Content, c’est à dire aucune vulgarité. Un fait rarissime dans le rap américain.

Le problème majeur de Jesus is King est que, paradoxalement, l’interprète Kanye West en est son plus gros défaut. Et c’est plutôt un problème de taille quand on appuie sur play pour, justement, écouter un album de Kanye West. La constante est là au fil de l’album, les séquences où Yeezy ne rappe pas sont nettement plus intéressantes, la faute à des couplets franchement peu inspirés, où il ne semble n’avoir rien à exprimer au-delà de certains poncifs sur la foi. On préfèrera alors largement les séquences instrumentales, les choeurs de gospel et les invités (Clipse en tête), que les couplets mollassons d’un artiste qui nous a habitué à mieux. Kanye West est toujours un très grand directeur artistique, producteur et un artiste avec un véritable vision musicale, mais il devient peu à peu un rappeur qui peine à impressionner. Lui demander d’innover dans le rap en 2019 s’apparente alors à un doux rêve, il faut en être conscient.

Malgré tout ses défauts probablement inhérents à son concept et aux limites actuelles de son créateur, Jesus is King demeure un projet fascinant sur certains points. Quelques morceaux ne peuvent ainsi pas laisser indifférents, comme “On God”, “God Is” ou “Closed on Sunday.” Dans des registres très différents, le chef d’orchestre Kanye West parvient à transmettre de véritables émotions et offre de sacrés moments de grâce à ses auditeurs, bien aidé quand même par la force naturelle que dégage le gospel. Le format extrêmement resserré de l’album (qui dure seulement 27 minutes) s’inscrit de son côté dans la continuité de la brièveté de Ye, mais pourra toutefois décevoir les fans qui étaient impatients de découvrir les nouvelles créations teasées depuis plus de douze mois. Parfois très plaisant sur la forme, et à l’inverse assez vide sur le fond, Jesus is King semble bien parti pour une nouvelle fois diviser la riche fan-base de Kanye. Reste désormais à savoir quel place ce projet occupera dans sa discographie très dense, bien qu’à chaud, il n’y que devant Ye que ce projet peut véritablement prétendre se classer.

Aboutissement d’une quête spirituelle, Jesus is King est pourtant une oeuvre créée par un artiste qui se surnommait Yeezus il n’y a pas si longtemps de cela. Sur My Beautiful Dark Twisted Fantasy, Kanye West s’établissait avec assurance comme un Dieu vivant, avant de finalement se rapprocher de Satan sur Yeezus. Cet album peut d’ailleurs être considéré comme le double maléfique de Jesus is King, dont la pochette représentant un vinyle bleu royal (en hommage au “King of Kings“) prend le contre-pied parfait du CD à l’étiquette rouge de Yeezus. Comme si Jesus is King constituait en réalité l’excuse que Kanye West adressait au domaine divin lors de sa quête de rédemption. Des excuses musicales imparfaites, à l’image de son interprète. Mais après tout, ce n’est peut-être que l’intention qui compte.

Jesus is King est disponible sur toutes les plateformes de streaming.