Kay The Prodigy : “Une marche après l’autre”

Kay l’a toujours su. Un jour, elle ferait de grandes choses. C’est sa voix qui lui a pointé du doigt l’ambition. “Je n’en suis pas à la finalité de mon rap, mais je me sens assez douée”. 

En totale indépendance, elle offre au monde un rap comme rarement entendu auparavant. Lyrics acérés et piquantes sur flows déstructurés, la recette Kay n’en est encore qu’à sa phase de maturation. Dans son aventure, Kay a su bien s’entourer. Avec Soukey, sa manageuse, la prodige vise désormais la plus haute marche de l’escalier. 

Tu peux me raconter l’histoire qui se cache derrière ton nom de scène ?

C’est assez simple. Je fais de la musique depuis que j’ai quinze ans, mais c’est à partir du lycée que j’ai réalisé que quelque chose avait changé. En écrivant, je me disais “ce n’est plus moi“. Je m’appelle Aimée et je trouvais que ça ne collait pas, je n’avais pas le sentiment d’être Aimée qui écrit. Il me manquait quelque chose. Et puis, je n’ai pas choisi mon prénom donc ça a du sens [Rires]. Du coup, j’ai rapidement ressenti le besoin de me définir à ma manière. Je n’ai pas eu à réfléchir très longtemps, le nom “Kayme” s’est vite imposé. Dans la foulée, je change mon prénom sur SoundCloud, de partout. Avec le temps, on commence à m’appeler “Baby Kay”. Progressivement, ça se transforme en “Kay”. Mais ça n’était pas suffisant. Quand tu fais du son, le problème du référencement se pose assez vite. S’appeler juste “Kay” sur les plateformes de streaming, c’est très compliqué.

Donc j’avais deux options ; soit proposer une orthographe spéciale, soit rajouter un préfixe ou un suffixe. À ce moment, je voulais aussi changer mon pseudo Insta et, tu connais, on est de la génération où le pseudo Insta il nous représente un peu. C’était “prodigy kay” et j’ai trouvé que “Kay The Prodigy” ça sonnait bien.

Pourquoi Prodigy Kay ?

Beaucoup pensent que c’est une référence à Mobb Deep mais pas du tout [Rires]. C’est plus en lien avec la signification du mot prodige. Je sais que j’ai encore beaucoup à apprendre. Je n’en suis pas à la finalité du rap que je fais, mais je me sens assez douée.

C’est quoi ta définition de quelqu’un de prodigieux ?

Quelqu’un capable de prendre des connaissances de base et de les réadapter de manière efficace. Quelqu’un qui a une réflexion un peu différente des autres qui fait que, dans son domaine, c’est un prodige. C’est aussi quelqu’un qui veut mieux faire que ce qui existe. Il y a une notion de progression. Moi, en tout cas, c’est ce à quoi j’aspire.

Joke m’a renouée avec le rap français. Il avait une vraie proposition qu’il a assumée jusqu’au bout et au final ça a eu son impact. Tout le monde sait qu’il a je ne sais combien de gosses.

Il y a des artistes qui t’ont marqué par leur caractère prodigieux ?

Prodigieux peut-être pas. Mais visionnaire oui, clairement. On a tendance à avoir l’image du prodige qui, dans une équipe de basket, serait le plus jeune et aussi le plus chaud. Il y a une notion de précocité. Quand j’écris mon premier texte, on est en 2015, j’ai 15 ans. J’étais jeune. À cette époque, Joke m’a renouée avec le rap français. Il avait une vraie proposition qu’il a assumée jusqu’au bout et au final ça a eu son impact. J’étais à un point où je n’en pouvais plus du rap français. On avait les américains qui, à côté, étaient en constante ascension alors que nous, on a connu un creux. Personne ne s’intéressait au rap à ce moment-là. Les années 2010, c’était très compliqué pour l’industrie en France.

Tu as lâché le train à ce moment là ?

Non même pas parce que j’étais jeune. Je m’intéressais à ce qui se passait aux États-Unis. Et là Joke arrive. J’ai 13 ans et il m’ouvre d’autres portes. On est tous sur SoundCloud à cette époque-là parce que l’on n’a pas d’argent pour aller sur Spotify [Rires]. Il y a avait toujours des braves qui pour mettre à disposition les sons sur la plateforme et Joke était dans cette culture-là aussi, de ne diffuser des sons que sur SoundCloud. En vrai, Joke c’est un visionnaire. Quand il est arrivé j’ai fait “ah ouais…” Il avait une vraie proposition, il est allé loin dedans en l’assumant et au final ça a eu son impact. Tout le monde sait que Joke a je ne sais combien de gosses.

Tu en fais partie ?

Oui clairement ! Mais je pense que tout le monde n’assume pas.

Parce que les gens aiment bien se dire qu’ils se sont fait tous seuls ?

En vrai, on se fait tout seul parce que, tu as beau t’inspirer de quelqu’un, tu ne vas jamais être un copié collé de ce qui existe déjà. Par exemple, en tant que meuf, les choses que je rappe ne sont pas les mêmes.

Comment les choses ont commencé pour toi ?

La musique n’a jamais quitté ma vie. J’ignorais comment j’allais m’y raccrocher, mais je savais que ça allait arriver. Pour l’anecdote, avec ma manageuse Soukey et une autre amie, on avait un média à Strasbourg. Chacune avait son rôle et finalement, on a toute tracé notre chemin. Soukey et moi, on ne s’est pas lâchés. Moi ça fait que depuis cet été que je fais sérieusement de la musique, mais elle, ça fait depuis 2019 qu’elle veut me manager [Rires] ! Elle n’a pas lâché l’affaire et elle a bien fait. Elle croyait énormément en moi, dès le début. C’est elle qui a poucave à toute la ville que je rappais [Rires]. Elle avait un lien SoundCloud qu’elle avait envoyé à tout le monde. Dès que j’allais à un endroit, on me parlait de mes sons et moi, je ne comprenais pas comment ils avaient écouté ! En soi, ça a bien marché parce que ça m’a permis d’avoir plus confiance en moi. On me respectait de plus en plus. Et aussi, ça m’a permis de voir à quel point elle croyait fort en moi.

Comme le frère d’Orelsan ?

Mais oui. Parfois, on fait des trucs et je me dis que c’est une dinguerie. On est allé à la Fondation Louis Vuitton récemment alors qu’il y a un an pile, j’avais renoncé à mon dernier taf. Je n’en pouvais plus de l’optique, il fallait que je passe à autre chose. L’été est arrivé, j’ai commencé à avoir quelques propositions et j’étais obligée d’appeler Soukey parce que tout ce qui m’arrivait commençait à me dépasser. De fil en aiguille, on a compris que l’on voulait et que l’on pouvait évoluer ensemble. Et on ne va pas se lâcher de si tôt.

Tu as le sentiment que les choses sont allées vite pour toi ?

Oui franchement de fou. Je suis passée de nobody à aller en studio avec le producteur qui a produit mon son préféré.

C’est-à-dire ?

Richie beats, le producteur de « 2014 à l’infini » de Joke. C’est un son qui me rappelle des bons moments de ma vie. Finir en session avec ce gars, ça m’a prouvé que c’était sérieux ce qui se passait.

C’est grâce à mon père que j’ai eu le déclic et que j’ai pris la musique au sérieux.

Ton entourage l’a vécu comment cette ascension ?

Ma mère ne comprend pas trop ce qu’il se passe. Avec mon frère, on essaye de lui expliquer, mais elle ne se rend pas compte de la place que ça a pris dans ma vie. Elle est venue me voir une fois à Strasbourg. À la fin de la prestation, elle m’a dit : “C’était super, mais alors je n’ai rien compris”. Tant mieux, ça me rassure qu’elle ne comprenne pas, elle poserait trop de questions après [Rires]. En tout cas, plus petite, je me souviens qu’elle me répétait : ‘Quand on a un grand talent, il faut le mettre au service de Dieu’. Aujourd’hui, je ne sais pas si je le mets au service de Dieu, mais en tout cas, je m’en sers pour servir Dieu. J’essaye de rapper la présence de Dieu à ma manière, humblement. C’est important pour moi.

Et ton père ?

C’est un musicien donc il comprend beaucoup plus que ma mère. En tant que pasteur, il joue de la guitare tout le temps. Il a quinze mille CDs et il voulait que je fasse comme lui [Rires]. C’est grâce à lui que j’ai eu le déclic et que j’ai pris ça au sérieux. Un jour, il m’a demandé : “Qu’est-ce-qu’il te faut pour que tu gagnes ta vie grâce à ta musique ?” Je lui ai répondu que je n’avais pas trop envie, que j’avais peur de perdre la passion si je commençais à le faire pour l’argent. J’avais peur que ça devienne une obsession et que ça dépasse la musique. J’ai connu la hess donc à tout moment, l’argent peut me faire vriller. Je n’ai pas envie de prendre ce risque pour une passion. Au final, mon père m’a dit de me donner à fond pendant deux ans en précisant : “Si ça prend, tant mieux. Si ça ne prend pas, laisse ça, mais au moins, tu n’auras pas de regret.” Je ne regrette pas du tout d’avoir décidé de l’écouter. Ça fait à peine un an que l’on travaille avec Soukey. 

Tu trouves ça dangereux de faire de sa passion son métier ?

Oui très. Mais la musique m’a attrapée, Paris aussi. Tu rencontres plein de gens trop intéressants tout le temps.

Il y a des rencontres particulières qui t’ont fait prendre un nouveau chemin ?

Franchement, toutes. Il se passe plein de choses quand je rencontre des gens dans l’artistique. Et puis j’avais l’impression que musicalement, on ne me comprenait plus ici qu’à Strasbourg. Les gens ont cru que j’étais partie à Paris pour la musique alors que j’avais commencé bien avant ! C’est juste que ne m’affichait pas. Quand je suis arrivée ici, il fallait que je vois, que je regarde, que j’expérimente.

Tu as encore ce sentiment d’émerveillement et d’euphorie? 

Ces gens-là et ces endroits-là, quand je les fréquentais, je rappais mais je n’avais encore rien dévoilé. À la sortie de “Sentiments”, mon premier single, j’ai commencé à gagner une petite crédibilité et ensuite, c’est allé crescendo. À tout moment ça peut s’arrêter et j’en suis consciente. Mais pour l’instant, tout prend de l’ampleur de manière exponentielle. 

Tu penses qu’il y a d’autres villes qui pourraient t’inspirer et te booster autant que Paris ?

New-York. On y pense avec Soukey mais pour l’instant, j’ai envie d’attraper Paris. Je me suis rendue compte que j’étais capable, autant que les autres. Il n’y a plus rien qui me retient.

Tu pourrais me décrire ta méthode de travail ?

À partir du moment où j’ai eu Band Lab c’est allé plus vite pour moi. Souvent, c’est d’abord la prod qui m’attrape et qui me donne envie d’écrire. Parfois, c’est l’inverse : j’ai un texte et je tombe sur une prod qui colle bien. Par exemple, à la base “Prestige”, c’était un freestyle. Pour “Soleil Levant”, je n’ai rien écrit. Tout est sorti en studio et j’étais fière de moi.

Je voulais revenir à ce qui me plait le plus et ce qui m’inspire le plus. C’est-à-dire, tout ce qui tourne autour de la trap.

Comment tu arrives à dénicher des prods qui t’inspirent ?

Pour mon premier EP, Eastern Wind, en collaboration avec Mezzo Millo, ça s’est fait sur un coup de tête. On était au mois de novembre, je lui ai demandé s’il voulait que l’on fasse un projet ensemble, c’était spontané. Pour Triple Kay Supremacy, je voulais autre chose. J’étais un peu fatiguée que l’on ne me parle que de sample drill, je ne fais pas que ça. Je voulais m’émanciper de ces sonorités pour que l’on ne m’appose pas d’étiquette. Du coup, j’ai fait une story privée avec tous les beatmakers que j’appréciais pour qu’ils m’envoient leurs prods. J’ai fait une session avec Meel B, Richie… Au final, je suis beaucoup allée en studio avec des producteurs pour ne garder que sept titres.

Qu’est-ce-qui a motivé tes choix dans la sélection des titres ?

Je voulais vraiment revenir à ce qui me plait le plus et ce qui m’inspire le plus, c’est-à-dire tout ce qui tourne autour de la trap. Il y a vraiment plein de déclinaisons de la trap. Par exemple, dans la sample drill les rythmiques de kick sont très plug mais c’est un mélange magique. J’ai choisi de faire appel à des beatmakers calés dans ça.

C’est qui le roi ou la reine de la trap à tes yeux ?

En vrai, il y a tellement de scènes différentes selon les régions. Pour moi, les vrais rois de la trap ce sont les mecs de Memphis, la Three 6 Mafia, Juicy J. Sinon évidemment, Chief Keef, Young Thug, Migos. Plus jeune, c’est vraiment à A$AP Mob et Joke que je me suis butée. Je suis une meuf de l’est donc tout ce qui traîne un peu à New York et ses environs, ça me parle [Rires].

En parlant de l’est, ton premier projet, Eastern Wind, c’est justement un clin d’œil à tes origines strasbourgeoises. Pourquoi c’était important pour toi d’y faire référence ?

On aime beaucoup cette ville, même s’il y a énormément à redire. On y tient, on a envie de faire de belles choses, exploiter le potentiel de Strasbourg. C’est dommage qu’en France, ce soit une région invisibilisée. Si je te demande de me citer des rappeurs de Strasbourg, tu seras peut-être incapable de le faire. Alors qu’il y en a. Larry, il vient de là. Ash Kid aussi. Il y a énormément de gens talentueux. Et surtout, je ne veux pas oublier d’où je viens. Que ce soit Mezzo ou Soukey, quand on est ici, on se sent différent. On n’a pas la même mentalité, on sent qu’on est en mode survie.

En quoi les mentalités diffèrent entre Strasbourg et Paris ?

J’ai le sentiment que tous les Strasbourgeois venus à Paris pour la musique pensent la même chose et sont dans la même mentale : on sait que personne ne parle de nous, mais la réalité, c’est qu’on peut faire comme vous. On ne vient même pas d’ici, mais on arrive à s’asseoir à la même table que vous. Point final. Le son « Soleil Levant » je l’aime beaucoup parce qu’il résume bien notre état d’esprit : « Front line comme Jeanne je prends les devants. La cavalerie vient côté soleil levant ». Soukey fait trop la modeste, mais elle nous a ramené une de ces artilleries [Rires]. Si j’en suis là aujourd’hui, c’est aussi parce que, en amont, elle avait fait un bête de travail de repérage pour voir ce que l’on était capable de faire. Elle fait des relations presse, elle comprend comment ça marche. J’ai envie de la suivre et puis même, on a envie de tirer tout le monde avec.

Pour toi, il y a vraiment une mentalité propre à la capitale et une propre aux autres villes ?
Oui clairement. En arrivant, j’ai très vite compris qu’il y avait 60% voire 70% de capping dans cette ville. Et un bon 40% de personnes réelles et sérieuses dans leur proposition et intention artistique. À Strasbourg, on n’est pas matrixés par ce truc de fame un peu malsain. Ici, surtout pendant la Fashion Week, tu comprends qu’il faut être invité à tel endroit, sappé d’une certaine manière. C’est la culture du m’as-tu-vu. Nous ça nous fait rire franchement. Il fallait voir comment on était sapé à l’un de ces événements-là ! On était en short, baskets, insoutenables, comme les trois cancres du fond de la classe [Rires]. Évidemment, tout le monde n’est pas comme ça et heureusement, mais il y a vraiment un poison ici qu’il vaut mieux ne pas attraper.

Tu crains d’être contaminée par ce poison dont tu parles ?

Je ne sais pas de quoi est fait demain, mais pour l’heure, je ne pense pas parce que je ne cours pas après la fame. Souvent, je me dis que rien n’est acquis. Tout est éphémère donc je garde les pieds sur terre et je me dis que le hard work continue.

Ce que j’aime avec l’égotrip, c’est que c’est une façon de se prouver qu’on a confiance.

Tu as conscience que ta proposition musicale et artistique détonne de ce qui se fait, qu’elle est différente ?

Je ne trouve pas tant que ça. J’ai l’impression d’appartenir à une toile, d’en être une branche. Même si ça fait 10 ans que je rappe, c’est comme si je venais à peine de commencer. Je suis sur cette toile, tout en faisant mon parcours. Je veux quand même rester dans l’ère musicale de ce que j’écoute aussi.

Tu écoutes quoi en artistes francophones ?

Dernièrement, j’ai beaucoup écouté Baby Neelou. Gapman et Dafliky, ils sont trop chauds, ils vont aller super loin. Ce sont des gros trappeurs ! Le projet de The Homey, je l’ai beaucoup aimé. Après, c’est vrai que j’écoute quand même beaucoup plus de ricains.

Depuis le début de notre discussion, j’ai le sentiment que tu accordes une importance toute particulière à l’humilité. Pourtant, tu as fait de l’égotrip ton terrain de jeu favori. Pourquoi cet attrait ?

Ce que j’aime avec l’égotrip c’est que c’est une façon de se prouver qu’on a confiance. Pour moi, ça reste encore thérapeutique le rap donc ça m’aide sur ce point-là. Quand je fais de l’egotrip, c’est soit hardcore avec des lines très explicites, soit métaphorique et drôle. Et c’est ça que j’aime avec le rap, c’est la capacité à créer des images avec des trucs bateaux.

Beaucoup de métaphores sexuelles aussi.

Encore une fois, c’est la trap ça ! J’ai mis du temps à trouver comment faire de l’hardcore sans être trop dégueulasse. Je commence tout doucement à y arriver et je suis contente de l’entre-deux que j’ai trouvé. Il fallait voir les premiers textes que j’écrivais, c’était salace [Rires]. Et cette progression, c’est à force d’écrire, de s’écouter. J’essaye toujours d’avoir du recul sur ce que j’écris.

Avec tes textes, tu as la volonté de briser certains tabous qui entourent la sexualité ?

Même pas. C’est juste que c’est autour de nous tout le temps. Donc, j’en parle aussi. Parmi toutes les choses que je dis, il n’y a rien que l’on ne sache pas.

La Triple Kay Supremacy, c’est un moyen de rêver d’une suprématie féminine ?

Mais moi j’aspire à un monde matriarcal !

Pourquoi ?

C’est la seule manière d’atteindre à l’égalité non ? Tu imagines un peu, si demain les femmes décident de ne plus vouloir faire des enfants… On est plus de femmes que d’hommes sur Terre. Il faut vraiment qu’ils commencent à être gentils avec nous parce que sinon… [Rires]

Tu es en colère ?

Contre les hommes ? Oui ! Dieu merci, j’ai rencontré des hommes incroyables. Même mon frère, il n’est pas comme ça. Mais sinon, c’est épuisant. En tant que meuf, on te reprend sur tout constamment. Raplume m’avait partagé sur Twitter un jour. J’ai reçu beaucoup tellement de hate que les gens m’envoyaient des messages pour me demander si j’allais bien. On m’a envoyé des dingueries, beaucoup de misogynie. Moi, j’étais juste en mode : “ok, là ce qui se passe, c’est monnaie courante dans la vie d’une femme”. On est plein à se dire que l’on en a marre.

La seule différence, c’est que pour une fois ce sont les hommes qui sont sexualisés.

Ooops [Rires]. C’est totalement ça. Eux, ils nous sexualisent tout le temps, on peut inverser la tendance aussi. Il y a des mecs, il faut leur faire comprendre que ce n’est pas que dans un sens. Nous aussi, on peut te play. Je trouve ça cool que l’on soit à un moment où l’on parvient à reprendre possession de notre sexualité, à ravoir le contrôle. Et puis je me dis que si je peux parler comme ça de ces sujets-là, tout le monde peut le faire aussi. Je ne perds pas espoir. Les meufs peuvent aborder ces thèmes-là sans avoir l’air de trou du c*l. Sans avoir peur d’être jugée. 

Scéniquement, je n’ai pas vu mieux que Makala. Pour moi, c’est un exemple sur ce créneau là.

C’est important pour toi d’avoir une proximité avec ton public ?

Plus je faisais des scènes, plus je voyais des gens et plus, j’avais le sentiment que quelque chose se passait entre eux et moi. De plus en plus, j’ai envie de faire des vrais shows. Je voulais que les gens ressortent en se disant : « Wow, il s’est passé un truc de fou ». Moi, j’ai déjà eu ce sentiment. Tu as déjà vu Makala en concert ?! Frère, c’est une dinguerie ! C’est sérieux. Le mec a quatre souffles, huit poumons [Rires]. Pour moi, c’est clairement un exemple sur ce créneau-là. Scéniquement je n’ai pas vu mieux. Je l’ai vu, je lui ai directement envoyé un message en lui disant « je veux faire comme toi ». Il est trop gentil, il m’a dit qu’avec de la confiance, je pouvais largement le faire. On a beaucoup parlé de ça. Sinon, sur la connexion avec le public, PNL m’ont impressionnée. Je ne les écoute même pas tant que ça, mais j’ai ressenti quelque chose de fou à leur concert. J’avais des frissons.

Tu t’entraines comment pour la scène ?

Les résidences coûtent cher donc on n’a pas encore la possibilité d’en faire beaucoup. Du coup, l’entraînement se fait essentiellement sur le tas. À chaque nouvelle scène, je me sens un peu plus à l’aise qu’à la précédente. Depuis janvier, on en a fait 20 ! Aussi, je me suis rendue compte que c’était important de faire des sons compatibles avec l’exercice du concert. Parfois, la DMV me rattrape parce que je reste une trap girl, mais il y a des sons que je ne fais pas en entier parce que ça s’enchaîne trop vite [Rires].

La scène où tu t’es sentie le plus en connivence avec le public ?

Toulouse et Mulhouse. La première date de la tournée de 1863 était à Mulhouse, près de chez moi. Il y avait ma petite cousine, ma belle-sœur, j’étais super contente. J’étais persuadée qu’à Strasbourg, on ne me calculait pas. J’avais l’impression que je devais encore faire mes preuves et que je n’étais pas encore pleinement considérée. À Mulhouse, on connaissait mes paroles, j’étais choquée. Et je l’étais encore plus à Toulouse, c’est encore plus loin en France [Rires]. C’était la première fois de ma vie que je faisais un Pogo. C’est un rêve. Je me suis sentie hyper proche des gens à ce moment-là. J’ai envie de faire des vrais shows et la saison des festivals, c’est une bonne manière de s’y exercer.

Dans ton dernier projet, tu fais explicitement référence à ta triple identité. Tu peux m’expliquer ce que ça représente pour toi ?

En vrai, c’est quelque chose qui se retranscrit dans ma musique sans même que ce soit volontaire. Je ne sais pas si tu l’as ressenti, mais j’ai trois types de voix par exemple. Sur « Lurk », j’ai deux voix. Je ne rappe pas de la même manière sur « Threesome » que sur « Soleil Levant » ou sur « Don Quichotte ». Et en même temps, quand je suis en phase d’écriture, j’ai trois états d’esprit qui reviennent. Il y a une Kay capable de prendre du recul sur tout. Il y en a une autre, plus émotionnelle, qui n’a pas peur de se confier dans l’intime. Et une dernière qui est plus en colère. Elle a trop de choses à dire, elle a du mal à tout garder pour elle. Pendant longtemps, je voulais qu’on me prenne au sérieux. Il m’a fallu beaucoup de patience et de travail pour réaliser que j’étais douée, que j’étais capable de rapper. Honnêtement, le fait d’être une femme ça n’aide pas. Rien que par rapport à ça, il y a de quoi être énervée. Du coup, je fais une distinction entre Kay le rappeur et Kay la meuf. Je l’ai toujours dit, je me sens comme un rappeur avec une chatte.

Pourquoi tu dis ça ?

Parce qu’en vérité, il n’y a rien qui change fondamentalement entre leurs discours et le mien. C’est simplement une question de point de vue. Un peu comme si tu avais toute une série sur un date et que tu n’avais que la version du gars et pas celle de la meuf. Et j’ai vraiment le sentiment que le point de vue des meufs n’existait pas dans le rap français. Je ne lâche pas le morceau, je sais qu’il y a des go qui savent rapper et qui sont capables. Le rap, c’est un monde où il n’y a que des hommes, donc forcément, ils ont l’ascendant et numériquement, il y a plus de mecs qui rappent. C’est pour ça qu’ils se permettent de juger et de considérer qu’ils sont meilleurs que nous. Je n’ai rien montré encore. Quand on me parle de sample drill, je réponds « non non, attendez, il n’y a pas que ça, vous n’avez encore rien vu ».

Tu la définis comment ta musique quand on te demande ?

Je dis que je rappe, et que ça m’arrive de chanter. Ce qui m’a permis de mettre un vrai pied dans la musique et d’y apporter beaucoup d’intérêt, c’est le rap. En soi, j’écoute de la musique depuis toujours, mais je ne me suis jamais dit « je vais chanter ». Je me suis toujours dit « je vais rapper ». Je peux encore mieux faire évidemment.

Les premiers rappeurs ou rappeuses que tu as écoutés ?

J’ai grandi avec la Sexion D’Assaut, Eminem, Snoop Dogg, Lil Wayne. Et sinon, Nicki Minaj, elle a changé ma vie. Je n’avais jamais vu une meuf comme ça. Elle rappe bien, elle était versatile, reconnaissable de partout. Elle ne perdra jamais son flow, il est imitable mais vraiment inégalable. Dès le départ, elle a assumé son BBL [ndlr : Brazilian Butt Liftt]. Elle s’en fout ! Elle a dit “j’ai peut-être des seins en plastique, mais je rappe mieux que toi”.

C’est ce à quoi tu aspires ?

Pas à un BBL non [Rires], mais sa mentale oui ! Que j’arrive avec des lunettes, un gros t-shirt, qu’importe, s’il faut te terrasser, je vais te terrasser.

Toujours en totale indépendance ?

Pour l’instant, avec Soukey, on veut voir jusqu’où l’on peut aller. On veut viser le plus loin possible à deux. Dernier étage hein, une marche après l’autre.

Photographie : Dr. Rayan
D.A et Graphisme : Noémi Bonzi
Production : Léa Cartagena
Stylisme : Chloé Froehlich
Interview : Nouma Ben