krisy euphoria

Krisy : « Je veux qu’Euphoria inspire les gens à réussir sans rentrer dans une case »

Jeune Julio, De la Fuentes ou simplement Chris… Il existe peut-être autant de manières de nommer Krisy que de façon qu’il a d’exprimer sa créativité et son amour de la musique. Monstre d’éclectisme, ce Bruxellois d’origine congolaise compose des morceaux, mixe des projets, enregistre d’autres artistes et dirige son propre label, le tout en même temps. Mais c’est lorsque l’euphorie le frappe, lorsque l’ivresse d’écrire le rattrape, que Christopher se transforme en Krisy. Entre les métaphores inspirées, les références à Julio Iglesias et son amour de la gente féminine, c’est peut-être derrière un micro que se retranscrit au mieux la passion de Krisy pour la musique. Mais si l’euphorie inspire, elle peut aussi dévorer.

Dans son premier album, nommé Euphoria, c’est son cheminement à travers l’adrénaline et les illusions de son euphorie que Krisy raconte. Un album qui arrive après près de 6 ans d’attente, mais sans pression pour le Belge qui, loin des standards de l’industrie, fait sa musique quand vient l’euphorie. C’est donc un Krisy détendu qu’on a rencontré quelques jours avant la sortie de son album pour discuter d’euphorie, des normes du rap et de variété française. 

Peignoir Craig green x THE STANDARD / Pantalon Cabbeen / Mocassins Filling Pieces

Je suis obligé de commencer par cette question : Qu’est-ce qui a autant ralenti la sortie d’Euphoria ? En 2017, on en parlait déjà, en 2020 on pensait que ça sortirait…

Déjà 2017, quand j’en parlais, j’avais fini, mais je n’étais pas encore satisfait à fond. Donc j’ai revu quelques morceaux, on va dire. Et puis je devais le sortir en 2020 il me semble, on avait envoyé le clip de “Sisyphe” et on devait enchaîner par la suite. Sauf que je crois que deux trois jours après, il y avait le confinement. Et c’est ce qui a retardé la sortie.  

Du coup, il n’y a pas eu de vrais changements entre l’Euphoria que tu vas sortir ce vendredi, et celle que tu avais en tête 2017 ?

La même vision, tout pareil. C’est juste qu’il y a eu quelques sons qui ont été changés et quelques autres petites modifications, sinon on aurait pu le sortir en 2020. C’est juste que j’ai signé deux producteurs entre-temps, GXLDENBOY et ChrisUptow, sur le Jeune Club (son label ndlr) et je les ai mis sur le tout dernier morceau qu’on a fait pour Euphoria. C’est l’intro, “Euphorie”.

Ton album s’appelle Euphoria. On pourrait s’attendre à quelque chose de très positif, même joyeux etc… Mais ce n’est pas vraiment le cas. Il y a beaucoup de moments profonds, de moments durs dans le projet. Et j’ai l’impression que l’Euphoria que tu décris, c’est quelque chose d’illusoire, un sentiment passager qui t’empêche de garder les pieds sur terre. C’est ça pour toi l’Euphoria ? 

C’est exactement ça, vraiment pile poil. 

Ce sentiment d’euphorie, comment tu le gères aujourd’hui tout en gardant les pieds sur terre ? C’est quelque chose que tu arrives à faire ? 

J’ai fini ce projet il y a longtemps donc j’ai eu le temps d’apprendre à gérer ça. Maintenant quand je sens que cette euphorie arrive, j’écris juste. Je ne suis pas obligé d’aller directement au studio, d’ailleurs c’est ce que je faisais avant et c’est comme ça que ça s’est passé pour Euphoria : dès que j’avais ce pic, de tristesse, de joie ou quoi que ce soit, j’allais au studio, je faisais un morceau. Dans l’ivresse du truc, il y a même des titres que j’ai enregistrés avec le micro à l’envers. Je ne l’avais pas fait exprès, mais j’ai laissé comme ça (rires). Aujourd’hui, même si je n’enregistre pas forcément tout de suite, quand j’ai une inspiration qui arrive, j’ai toujours mon carnet dans mon sac. Je vais noter deux ou trois petites phrases par-ci par-là et puis je vais revenir dessus plus tard, au calme. 

Pour toi, c’est comme une sorte d’exutoire ? 

C’est totalement ça. En fait, tu as compris un truc sur ta personne, tu l’écris et tu espères peut-être que ça va aider des personnes qui passent par ces moments d’euphorie là.

Haut P.O.VIEWS / Pantalon Lemaire / Clarks Wallabee
Haut Drôle de Monsieur / Pantalon Paul Smith / Mocassins Paraboot

Justement, l’histoire d’Euphoria, c’est quelque chose qui est à la fois personnel et universel. C’est-à-dire qu’on a l’impression que tu racontes ton histoire, mais que tu avais à cœur que les gens puissent s’identifier et s’y reconnaître. C’était volontaire de ta part ? 

Oui et surtout, je pense que je l’ai plus fait pour les enfants. Les enfants et les parents. Je n’ai pas pensé “Je vais faire un album top stream, il me faut des singles…”. Non, je pense qu’à 12 ans, j’aurais aimé tomber sur un projet comme ça. Ça m’aurait peut-être aidé par la suite, peu importe mon choix de vie, à éviter l’influence de mauvaises personnes, à ne pas trop écouter les mauvais conseils qui viennent parfois lorsqu’on est mal entouré.

Et pourquoi les parents ?

Parce que déjà, moi, je viens de Bruxelles. Les personnages publics, auxquels on peut s’identifier en Belgique, sont arrivés super tard chez nous, à la période de Stromae, ou en tout cas grâce à lui. Donc si tu veux faire du son, tu n’as pas d’exemple à Bruxelles. Va expliquer à tes parents que tu veux faire de la musique sans modèle à suivre. En plus ma mère est Congolaise, elle ne voulait rien savoir, même si elle aime la musique etc, son fils qui veut faire du son, elle ne comprenait pas trop. Si à l’époque, j’avais eu un projet comme Euphoria, j’aurais peut-être pu lui dire “Écoute ça. En fait je passe par là, voilà ce que je traverse en ce moment.” 

Malgré ce côté universel, ça reste ton histoire. Tu parles et tu mets en scène tes proches par exemple, et on sent qu’ils sont essentiels pour toi, sur ce projet. A quel point l’entourage est important pour toi ? 

Ça a toujours été important et c’est quelque chose que j’ai réalisé bien avant mon projet. J’ai réalisé ça, notamment en travaillant avec plusieurs artistes. J’ai vu comment ça se passait pour eux. J’ai vu à quel point l’entourage est important, que ce soit quand ça fonctionne pour toi et même quand ça ne fonctionne pas, justement. Peu importe ce qui va se passer, tes proches ce sont les personnes qui seront là du début jusqu’à la fin. Donc quand ça marche pour toi, il vaut mieux leur donner le même amour que quand ça ne fonctionne pas ou quand il n’y a rien. C’est surtout ça pour moi le plus important.

En plus de tes proches, tu abordes tout un panel de sujets assez profonds, assez personnels comme la religion, la solitude, l’amour, la trahison…  Est-ce que pour toi ça a été compliqué de t’ouvrir comme ça et d’aborder des sujets plus personnels ? 

Oh non. Moi, je suis tranquille avec ça. Ce sont des discussions que je peux avoir avec tout le monde. Je suis dehors, je fume ma clope, il y a quelqu’un qui vient, on discute et si à un moment donné, il veut parler des darons par exemple, il n’y a aucun problème. C’est plus quand mon entourage écoute le projet et qu’ils me disent “Ah ouais quand même t’as dit ça ?!” et moi, je suis en mode “Ah ouais ! Peut-être que je suis allé loin…” (rires). Mais au final, je n’ai aucun problème avec ça. 

Ensemble Drôle de Monsieur / Clarks Wallabee

Sur “hors de ma vue” tu dis “Attrape ton ego par la laisse, regarde son visage plein de stress”. Quelle place à l’ego dans l’Euphoria, est-ce que c’est ce qui la provoque ? 

Bien sûr, c’est un combat d’égo. L’ego, c’est cette petite voix là, c’est la conscience qui va te dire “fais ci, fais ça”. Parfois, c’est bien, c’est un boost, mais parfois, c’est mauvais. Il y en a qui se font avoir et d’autres non. Et moi, Dieu merci, aujourd’hui, j’arrive à dompter ça. Je sais quand ne pas écouter cette voix-là, parce que j’arrive à voir que ça ne mènera à rien de bon. 

Un premier album, c’est une grosse étape pour un artiste, même si tu as beaucoup de casquettes (beatmaker, ingénieur du son, réalisateur, chef de son propre label) et que tu n’es pas un artiste classique, on va dire. Qu’est-ce qui a évolué entre l’interprète Krisy avant Euphoria et celui qui se présente aujourd’hui ?

Le sens. Tout ce que j’enregistre maintenant, il faut que ça ait du sens. S’il n’y en a pas, je ne vais pas au studio. Avant, j’allais tout le temps au studio pour tout et n’importe quoi. Mais maintenant, quand il s’agit de Krisy, c’est vraiment si j’ai quelque chose à raconter. Sinon, je vais faire autre chose comme dessiner des vêtements ou aider d’autres personnes à faire du son. Mais quand il s’agit de Krisy, je prends vraiment le temps de me dire “Ok là j’ai de l’inspi, je vais au studio”, c’est ma passion. 

C’est marrant parce que lorsque tu parles de Krisy, c’est à la troisième personne, comme si c’était justement une personne à part entière, presque un personnage. 

Oui, c’est à part. Quand je vais au studio, je sais que c’est le moment de me lâcher, le moment du “Vas-y, fais toi plaisir, fais ton truc”. C’est vraiment à part. Tu vois même De la Fuentes (son identité de beatmaker), j’en parle d’une autre manière. Quand je dis “je”, c’est quand je parle de ma mère ou de choses très simples de la vie. A ce moment-là, c’est Christopher. 

Tu parlais de faire de la musique qui a du sens, et on sent dans cet album que tu veux raconter quelque chose. Pourquoi c’est important pour toi d’avoir ce storytelling, cette dimension de récit dans ta musique ? 

Parce que ce sont les morceaux qui racontaient quelque chose qui m’ont fait grandir. Je suis un grand fan de Singuila par exemple. Il est trop fort. Son storytelling est incroyable. Les gens sont un peu passés à côté mais… Quand il parle de sa conscience du fait qu’il a une femme et qu’au travail sa boss essaie de le gérer… Il me fait rêver et raconter quelque chose, ça peut faire rêver les gens en fait. Comme je le dis à chaque fois, si tu dis à une personne que la vie c’est de la merde tout le temps, elle va grandir en se disant que la vie c’est de la merde. Et donc je me dis que moi je vais raconter des choses et en espérant qu’il y ai ce truc, qu’il y ait un rêve. 

Singuila le faisait très bien, Dr Dre aussi avec son album 2001, il racontait des histoires. Eminem c’est la même chose. Disiz avec Jeu de société, son deuxième album, pareil aussi. Et puis, il faut dire aussi que je ne parle pas français à la base, je parle Néerlandais. Donc pour me faire comprendre, c’est beaucoup plus simple pour moi de vraiment raconter les choses. C’est pour ça que mon écriture est très imagée : je vais essayer de trouver une forme pour décrire tout ce qui se passe dans ma tête et autour de moi.

Peignoir Craig green x THE STANDARD / Pantalon Cabbeen / Mocassins Filling Pieces

Du coup, tu abordes la langue avec une sorte d’humilité aussi ?

Oui. Je connais ma place dans la langue française, on va dire. Même si on me parle d’écrivain, on me dit “super ton écriture !” Mais les gars, si seulement vous saviez, parfois, c’est compliqué ! Mais bon, on fait avec, maintenant, j’ai trouvé ma technique et je suis assez à l’aise avec le français. J’ai capté comment tu pouvais faire comprendre quelque chose à quelqu’un en deux phrases. Ça, c’était le taf que j’ai pu faire en dehors des sons, à force de discuter avec les gens, de chercher, de trouver les bonnes métaphores. J’ai des notes ici à en mourir, avec plein de phrases comme ça. 

Il y a des personnes, des artistes qui t’ont aidé à comprendre l’importance des métaphores ? Parce que ce qui est fort, dans l’écriture, c’est cette capacité à créer des images dans la tête des gens en seulement quelques mots.

Bien sûr, il y a le meilleur rappeur au monde, Kendrick Lamar, J. Cole également. En francophonie, Stromae, c’est sûr. Orelsan aussi, très fort… Et Julio Iglesias, bien évidemment. 

Julio Iglesias. On peut en parler, c’est une grosse référence pour toi, même une sorte d’obsession. Ça fait longtemps que tu glisses des références par rapport à lui dans ta musique. Comment tu l’as découvert et pourquoi il te fascine ? 

Je l’ai découvert un jour où je faisais des prods, je cherchais des samples. Je suis tombé sur Julio, je crois que c’était le morceau “Manuela”, je me dis directement “putain, c’est incroyable”. Et là je creuse. Je vais voir ses concerts sur internet, à l’ancienne. Sur scène, il dégage un charisme de fou : costume, le public en folie crie son nom et lui, il arrive, aucun pas de danse ou quoi, non. Carré…

Classe. 

Ouais classe, trop classe et ce qu’il chante, ce qu’il raconte pareil. Trop classe. Du coup, j’ai commencé à écouter sa discographie un peu tout le temps en aléatoire, même quand je bossais en même temps. Il y a eu une phrase qui m’a choqué, puis une deuxième et ainsi de suite. Après, c’était déjà fini, c’était trop tard, j’étais tombé dedans.

Et j’en parle dans Euphoria, parce que justement, il y en a beaucoup qui se disent que l’inspiration d’un rappeur, ça doit être comme ci ou comme ça, avec souvent les mêmes noms qui reviennent. Mais je pense que les rappeurs français ont tous grandi avec la variété. J’en suis certain.

Haut P.O.VIEWS / Pantalon Lemaire / Clarks Wallabee
Haut Drôle de Monsieur / Pantalon Paul Smith / Mocassins Paraboot

C’est vrai qu’on entend plus souvent parler de Rohff, Booba ou Salif, que de chanteurs de variété française, en termes d’influences. 

Oui, bien sûr, parce que c’est un milieu rempli d’égo et de choses comme ça. Donc, les rappeurs ne vont pas vraiment en parler. 

C’est quelque chose que tu évoques sur Euphoria d’ailleurs. Il y a des piques, du style “il y a des hommes qui n’assument pas de l’être”. Il y a cette réflexion par rapport au statut de rappeur et même à la masculinité dans l’industrie rap, quand sur la première interlude, ton ami César te dit que pour percer “il faut être un vrai bonhomme” ou qu’il faut remplacer ton petit chien par un pitbull. Tu penses qu’il y a une sorte de norme d’attitude dans le rap ? 

C’est ça. Encore une fois, j’ai travaillé avec tellement d’artistes, j’en ai vu tellement faire semblant… Même leur entourage, les managers, etc. Et dans mon album César, en fait, c’est une caricature de tout ça, de tout ce que j’ai pu voir dans l’industrie, dans les studios, dans les radios. J’étais là, je suivais, j’étais juste dans mon coin, je regardais, j’observais les artistes faire semblant et je me disais  “Oh la la le pauvre !”. Parce qu’après, lorsque tu parles avec l’artiste seul, sa vision n’a parfois rien à voir avec ce qu’il montre. C’est autre chose. Même quand je me retrouvais seul avec certains rappeurs au studio, on faisait des titres et il y en a qui m’ont déjà dit “ouais, non, ne fait pas écouter à mon équipe, on garde ça pour moi.” Et je trouve ça dommage. Et justement, Euphoria, j’espère que ça va inspirer les gens, surtout les plus jeunes à se dire que pour réussir, on n’est pas obligés de rentrer dans des cases ou dans des formats. 

Justement, j’allais te parler des formats. Parce que c’est vrai que César m’a fait l’effet de cette caricature du milieu rap, et en même temps cette industrie permet au rap d’exister. Comment tu gères le fait de rester toi-même dans cette industrie justement ? Tu as déjà été tenté de changer ta musique pour lui correspondre ? 

Ouais, ça m’a pris quoi ? Deux semaines ?! Je crois que j’ai fait deux ou trois morceaux. Je les ai réécoutés, j’ai dit “Ah non, qu’est-ce que ça ?”. Et puis j’ai arrêté. Ces morceaux, je les ai vendus à droite, à gauche à des artistes qui cherchaient ce genre de chose. Mais non, moi, je retourne sur mon “érotiquement vôtre”, c’est ça ma vibe. Après, ce genre de proposition très codifié ça arrive quand tu rêves de succès. Mais quand tu fais la différence entre le succès et la réussite, c’est là que tu réalises, en tout cas pour moi, qu’en fait ce que tu veux ce n’est pas le succès, c’est juste réussir dans la vie.

On a parlé de Julio Iglesias, l’autre nom qui sort un peu de la norme sur cet album, c’est Marc Lavoine, l’un des feat. Dans la trame de l’histoire d’Euphoria, c’est un feat que tu fais dans un rêve. Est-ce que c’était un rêve de poser avec Marc Lavoine pour toi ? 

Ouais…. En fait, je crois que poser avec une personne qui a déjà plus de trente ans de carrière, c’est déjà un rêve. Parce que c’est incroyable, quelle expérience de fou. Marc Lavoine c’était peut-être le Chris Brown de ma mère à l’ancienne. Donc l’avoir sur mon projet, le fait qu’il vienne dans mon studio, dans ma petite chambre… Wow laisse tomber ! Bien sûr que c’était un rêve. 

Et il y a ce truc-là, dans ta musique de player, de parler d’amour, de parler de femmes. Pourquoi tu en parles autant, qu’est-ce qui te fascine avec les femmes ? 

Moi, je suis fasciné par la vie, c’est ce qui m’inspire. Et qui donne la vie ? C’est la femme, donc c’est normal que j’en parle. C’est quelque chose que je ne faisais pas du tout, plus jeune. Je pense que quand tu es un homme et que tu grandis, c’est important d’avoir une figure paternelle qui t’explique un peu, qui t’aiguille par rapport aux femmes. Et quand tu n’as pas ça, tu t’inspires de la télé, tu t’inspires de tout ce que tu vois et ce n’est pas forcément de bonnes choses. Et c’est avec le temps, quand je regardais un peu ma mère, mes tantes, même mes exs, que je me suis dit “attends, il y a quand même un truc à dire là”. Et puis quand j’ai vu que les gens commençaient vraiment à écouter ce que je racontais dans mes sons…. 

Oui parce qu’en plus, tu es vraiment catégorisé. Quand on pense à Krisy, on pense à Julio et sa gogo danseuse, à ce truc de séduction directement.

Ça, c’est fait exprès, je voulais qu’on me mette dans une catégorie. Comme ça, je ne suis pas perdu dans la masse et on ne se dit pas juste que je fais juste du son. 

Peignoir Craig green x THE STANDARD / Pantalon Cabbeen / Mocassins Filling Pieces
Haut P.O.VIEWS / Pantalon Lemaire / Clarks Wallabee

Donc il y a quand même cette conscience chez toi de se dire que tu évolues dans une industrie et que tu dois être identifié ?

Oui. Tu es obligé. En fait moi, je l’ai vu avec les artistes avec qui j’ai travaillé encore une fois. Il y en a qui sont trop chauds, mais ils font la même musique que X ou Y. Donc ils ne s’en sortent pas. Parce que quand tu n’es pas connu, il faut arriver trop chaud avec quelque chose qui va casser les réseaux sociaux, du genre une phrase dont tout le monde parle. Et puis on va rentrer dans ta proposition, tu vois, mais tu dois à chaque fois aller dans des calculs etc. Moi, je me suis dit que bon, je sais écrire un peu sur la femme, je vais écrire là-dessus et puis ça m’inspire beaucoup aussi. Je peux être dans un bar, je croise juste une demoiselle et vais m’imaginer toute une histoire que je vais écrire. Je n’ai même pas besoin de discuter avec elle. C’est très bien, tu fais ta vie, je fais mon morceau. Merci pour l’inspiration.

Ça veut dire que souvent, les femmes qui t’inspirent pour tes morceaux l’écoutent, mais ne savent même pas que c’est d’elles que tu parles ? 

Oui, il y en a beaucoup dans mon entourage, elles ne savent pas. Je ne dis rien. Ou alors peut-être qu’un jour je lui dirai tu m’as inspiré ci ou ça. Et puis bon… on est Congolais. Les Congolais aiment les femmes (rires). 

Dans cette façon que tu as de parler des femmes, j’entends plus ce côté crooner, ce côté chanteur que rappeur. Un morceau comme “sensuellement vôtre”, c’est presque du R&B même. 

Mais moi, je suis dans Barry White, carrément. Je suis là-bas, je suis loin là-bas ! Il m’a inspiré de fou. Avec sa grosse voix, il vient, il croone. Moi, quand je l’écoute, je m’imagine dans ma voiture, je suis dans un monde à ces moments-là, je ne pense pas du tout au rap, j’aime trop ça. Je crois qu’un jour, je ferai un projet 100% croon, c’est sûr et certain. D’ailleurs, c’est ce qu’on devait faire à l’ancienne, avec Damso. C’était un projet qu’on avait en tête avant la sortie de son troisième album et que ça devienne vraiment une star. Mais tu vois, un morceau comme “911” ? Quand il a sorti ça, je me suis dit “enfin”. Ça, c’est lui. Parce qu’on a des morceaux à l’ancienne, c’était “crooner music” hein ! Dans “érotiquement vôtre”, je lui fais un shout out par rapport à ça : “Je suis avec Damso et je croone, érotique musique, c’est really soul”. Parce qu’on était vraiment dans ce truc de “viens on croone un peu”, on s’imaginait verre de cognac dans un bar, ces ambiances-là. 

J’ai l’impression que tu as énormément d’appétence pour le chant et beaucoup d’éclectisme dans ce que tu écoutes, même si tu rappes. C’était déjà le cas plus jeune ? 

Oui, ce sont des choses avec lesquelles j’ai grandi. Tu vois je t’ai cité Singuila par exemple, on a parlé de Marc Lavoine, de Julio Iglesias, mais on aurait pu partir dans le R&B que j’écoutais grâce à mes tantes, les Jojo & K-ci, les 112… J’ai grandi avec ça avant même le rap. Le rap est arrivé super tard pour moi. Je devais déjà avoir 18, 19 ans, je crois. Mais avant ça, moi, j’écoutais du rock, de la house, du R&B. Rien à voir avec le rap. Surtout le rap français, j’ai commencé à vraiment en écouter en 2010, quelque chose comme ça. 

Haut Drôle de Monsieur / Pantalon Paul Smith / Mocassins Paraboot

Tu écoutais quoi à l’époque ? 

2010… Ça devait être Booba, c’est sûr même. J’écoutais aussi La Fouine et Rohff. C’était ce trio-là. Vu que j’ai grandi en Belgique, on avait MCM, mais on n’avait que les plus gros rappeurs. Donc, tu voyais passer les trois que j’ai cité, Doc Gynéco, un peu de MC Solaar, du Disiz…

Tu es un artiste qui a beaucoup de casquettes, tu fais des prods, tu mixes des albums, tu rappes… Sur Euphoria tu as peut-être composé des titres ou mixé le projet par exemple ? 

Oui, j’ai bossé sur plusieurs prods et c’est moi qui ai mixé l’album. 

En même temps, tu as aussi invité d’autres artistes, que ce soit des interprètes ou des compositeurs. Comment tu gères, alors que c’est ton propre album, le fait de partager le travail et d’incorporer la vision de tes invités à la tienne. Est-ce que ça a été un effort pour toi en faisant peut-être des concessions ? Ou au contraire, c’était très facile ?

Ah non ! Moi, je n’ai pas d’ego par rapport à ça. Pour moi, toutes les personnes qui ont travaillé sur le projet sont 10 fois plus fortes que moi. Quand j’ai une prod de Freakey par exemple, je suis comme un gosse parce qu’il est trop fort. D’ailleurs il me semble que je suis le premier francophone en Europe à avoir posé sur ses prods. Avant ça, c’était uniquement Rowjay, le rappeur canadien. Après qu’on a commencé à travailler ensemble, je lui ai fait des passes, avec Spri noir par exemple pour Middle Finger. Donc, on a gardé ce lien. Et pour moi, c’était une évidence d’inviter un Freakey sur mon projet parce qu’il est trop fort, comme toutes les personnes qui ont bossé sur l’album en réalité. 

Ce qui est intéressant aussi, c’est que Freakey, aujourd’hui, il a pris une ampleur impressionnante. Pareil pour Alpha Wann, peut-être même plus encore. Tu avais cette vision-là sur eux avant ? Tu savais qu’ils allaient avoir autant de succès ? 

Bien sûr, moi, je suis un digueur. Alpha, je diguais avant même les Rap Contenders. Pour Freakey, je regardais ce qui se passait au Canada, j’étais déjà connecté à cette scène depuis longtemps. Donc j’ai toujours eu cette vision par rapport à eux et je le répète, ils sont juste trop forts, donc je ne vois pas pourquoi je n’irai pas les appeler pour mon projet alors que je les connais et qu’ils sont chauds pour travailler avec moi. 

Un Alpha par exemple, au moment où je lui propose de poser sur l’album, il se passe plein de choses pour lui. Il venait de sortir UMLA, donc il avait des concerts, des dates de tournée et plein de choses à gérer. Donc, je n’ai pas reçu le couplet directement, donc en 2019 je rends une version d’Euphoria et il n’est pas dessus. Sauf que c’est lui qui m’a envoyé un message pour me demander si j’avais toujours besoin du couplet. Je lui ai répondu : “tu arrives dans le money time mais si tu es chaud, il n’y a pas de problème, mais si ce n’est pas possible.” Deux jours après, je l’ai reçu. Donc oui, des artistes comme ça, je sais que ça va bien se passer avec eux et qu’on va faire de la bonne musique.

Il y a un moment dans l’album où tu dis que tu n’es pas rappeur. Comment tu te considères quand c’est toi qui es derrière le micro ? 

Comme un interprète tout simplement. Mais après attention, je rappe et je peux comprendre que pour certains, je suis un rappeur. Quand je dis que je ne suis pas rappeur, c’est que ce n’est pas mon métier. Parce qu’au final, aujourd’hui, c’est devenu un travail. Pour moi, à la base ça n’en est pas un, mais avec l’industrie, ça l’est devenu. Mais non, je ne suis pas du tout un rappeur dans le sens où je ne compte pas là-dessus pour gagner ma vie. Honnêtement, je ne sais même pas si je veux faire un deuxième album. Par contre, monter des projets que j’ai en tête à Bruxelles, monter des structures, je ne suis plus là-dedans. En fait, je suis plus un entrepreneur qui fait du rap qu’un rappeur, finalement. 

Ah oui, des ambiances de Hustler ! 

Moi, je suis là-bas ! Les Nipsey tout ça, les Larry June, je suis complètement là-bas ! Parce que si tu comptes uniquement sur le rap, en fait, tu vas devenir fou. Déjà, parce que la créativité, tu ne la réveilles pas juste en allant en studio. Il faut vivre.

Et c’est pour ça que, souvent, les bons albums arrivent après une période d’attente assez longue. C’est le cas pour UMLA par exemple…

Oui, Alpha, il a vécu, il a vu, il a fait des choses. Après, peut-être que tu peux vivre des choses en deux mois et tu fais un EP de 7 titres. C’est le feu aussi, mais tu as besoin de vivre. Et puis si tu comptes sur le rap et l’industrie, ta musique va changer. Parce que tu vas vouloir t’adapter à ce qui fonctionne. Tu rentres dans une logique où pour être premier en streams, il faut ci, il faut ça, il faut peut-être un feat avec untel ou untel… Tu le vois de toute façon dans les albums mainstreams. Les feats, ce sont toujours les mêmes, les mêmes sonorités, les mêmes styles de prod, jusqu’aux compositeurs qui sont, eux aussi, toujours les mêmes ! Après, il y a un public pour ça. Mais je n’ai pas envie de faire partie de cette catégorie d’artistes. Et si eux se disent rappeurs, je ne peux pas dire que moi, je le suis aussi. Alors je rappe, ça  c’est sûr, mais ce n’est pas mon travail, c’est ma passion. Je comprends quand même que certaines personnes me considèrent comme un rappeur. Par exemple, quand les amis de ma mère me demandent si je suis rappeur, je réponds oui. Mais en même temps, j’essaie de leur expliquer mon positionnement. Quand ce sont d’autres personnes, je dis non. Je préfère dire que je suis producteur ou ingé son.

Ensemble Drôle de Monsieur / Clarks Wallabee

Dernière question, on ne sait pas si on va revoir Krisy là. Si ça se trouve, on le reverra dans cinq ans ou dans ou peut-être un EP dans trois mois.

Là, en ce moment, j’ai beaucoup trop d’inspi, mais j’essaie de me concentrer sur la sortie d’Euphoria. Je voulais tellement envoyer des trucs, mais je me suis dit non, il faut que je reste concentré là tout de suite sur Euphoria (rires). Après, on va voir, hein ! Moi, je me connais, je ne vais pas me mettre de pression. Je vais juste continuer à travailler. Mais là, j’ai beaucoup d’inspiration. 

Et au niveau du reste de tes projets, qu’est-ce qu’on peut te souhaiter ?

Franchement, juste une bonne santé pour toutes mes casquettes hein ! C’est tout. Pour le reste, je crois en Dieu, tout va bien se passer. Si tu te donnes les moyens, je ne vois pas pourquoi ça ne fonctionnerait pas, si tu fais les choses avec des bonnes intentions aussi. Moi, j’ai mon slogan avec les gens du Club : c’est amour, respect et partage. C’est tout ce qu’on veut, c’est comme ça qu’on voit les choses.

Photos : Moïse Luzolo
DA : Iris Gonzales, Noémi Bonzi & Alice Poireau-Metge
Interview : Lucas Désirée
Stylisme : Luca Delombre & Iris Gonzales
Production : Alice Poireau-Metge
et Nicolas Pruvost