2024 à peine amorcée, Kerchak n’a pas le temps de se remettre de l’effervescence de l’année précédente, marquée par son ascension fulgurante, matérialisée par un disque d’or. Sa seconde mixtape, Saison 2, dévoilée le 12 janvier, révèle une facette plus introspective. Mais qu’on ne se méprenne pas ; les pulsations moins frénétiques qu’à l’accoutumée dans certains morceaux ne sont pas synonymes de repos.
Le représentant français de la jersey vit dans l’urgence. Une ébullition constante qui alimente sa musique. Ce nouveau projet, c’est l’essence même de Kerchak. Entre exploration de nouveaux horizons sonores et retour aux sources, il reste fidèle à lui-même. C’est d’ailleurs ainsi qu’il se présente à notre rencontre, abandonnant la carapace de sa cagoule pour dévoiler son vrai visage. Celui qui soufflera sa vingtième bougie dans quelques semaines brille déjà de toute sa grandeur.

Pantalon : 1970
Cagoule : CRUSADE

Qu’est-ce que 2023 t’a apporté ?
2023 c’était l’année des sorties. Cette année m’a donné l’impression que mon travail portait enfin ses fruits. C’était une année de réussite. En vrai, j’étais super fier de moi. Mais j’étais quand même mitigé aussi. J’étais sur la préparation de Saison 2 toute l’année, de janvier à décembre.
Tu as vu ton travail se concrétiser, et en même temps, t’as pas pu apprécier le moment au maximum ?
Exactement. J’ai moins profité qu’en 2022 par exemple. En 2022 j’étais vraiment dans l’euphorie du truc. En 2023, j’étais beaucoup plus dans le travail, parce qu’il fallait que je ponde un projet incroyable.
Elle a aussi été synonyme de pression, parce que tu sentais que t’étais attendu ?
En soi, je me suis mis une pression, mais c’était une bonne pression. Il fallait que je fasse fermer des bouches, en vrai. Parce que des gens commençaient à se questionner : « Ah, c’est redondant », « Il fait tout le temps la même chose », « Est-ce qu’il va savoir se diversifier ? ». Tout ça. Et moi, j’étais totalement serein de mes capacités. Mais il fallait que je les mette en œuvre. Donc en 2023, j’ai fait que travailler pour pouvoir sortir un projet incontestable.
« Fuck les chiffres ! On m’a parlé que de chiffres depuis que le projet est sorti. Mais moi je m’en fous, je veux pas voir. Les gens sont trop matrixés par ça. »
C’était aussi l’année des certifications. Qu’est-ce que tu penses de cette course aux chiffres ?
Maintenant, on juge la musique aux chiffres, en vrai de vrai. Pour certains, si un projet fait des stats de fou en première semaine, c’est forcément un bon projet. On se perd : on focalise trop sur ça, on cherche trop à faire de meilleurs chiffres que telle ou telle personne. Alors qu’il faut se focaliser sur soi et sur sa musique. Les gens sont trop matrixés par ça.
Je regarde plus les commentaires que les chiffres. Ça a même failli me nuire. Les gens parlent mal parfois et ça peut affecter. Les chiffres, c’est pas totalement représentatif, alors que l’avis des gens est plus direct.

Justement, les gens t’ont vite adopté. T’as trouvé ton public rapidement. Comment t’expliques ça ?
Je pense que c’est un tout. Ma simplicité a joué. Les gens se voyaient grave en moi : je vais à l’école, je suis un mec de 19 ans. Il y a ceux qui ont accroché avec la musique, et la personne que je suis a facilité cette identification. Je prends la parole, je suis sur les réseaux ; ils voient que je fais les mêmes choses qu’eux. Mais parfois ça peut créer trop de proximité.
Est-ce que certaines personnes abusent de cette proximité ?
En soi ça ne me dérange pas. Le fait que les gens viennent me voir, qu’ils soient avenants, ça me fait plaisir. Je peux m’identifier à eux. Même quand je ne suis pas dans un bon mood, je me mets à leur place : ils ne savent pas ce qu’il se passe dans ma journée.
Le premier projet qui t’a marqué c’était Or Noir. 2023 représente aussi ta collaboration avec Kaaris. Comment as-tu vécu votre connexion ?
J’étais grave un petit fan. Le fait qu’il m’ait appelé, qu’il suive ce que je fais, ça m’a fait super plaisir. Et c’est trop un bon vivant. J’ai kiffé la séance avec lui.
Tu participes à ce renouvellement du rap en France comme Kaaris l’a fait avec la trap. Toi, t’as ramené la jersey. Était-ce stratégique ?
Absolument pas ! Je ne savais même pas ce que c’était la jersey avant que mon premier son sorte. Pour moi c’était juste de la drill différente. Après mes recherches, j’ai compris que c’était nouveau ; on a alors tout fait pour pousser le truc.

Full set : No28
Chaussures : ASICS × CP Company

Cagoule : 3moires
« Quand je vais faire un album, ce sera un album de fou malade. Là, Saison 2 c’est un très bon projet ; si je fais un album, il faut qu’il soit excellent. »
Tu en sors un peu de la jersey dans Saison 2. Pourquoi avoir choisi le format mixtape plutôt qu’un album ?
En soi, c’est un album déguisé. Mais pour un vrai album, il faut une direction artistique complète, où tout est lié. Je n’avais pas la prétention de dire que Saison 2 était un album, parce que je peux faire encore mieux.
Dans ta discographie et sur ce projet en particulier, il y a une grosse exigence sur les prods. Comment les choisis-tu ?
La plupart du projet s’est fait sur deux séminaires. Avec les beatmakers, c’était trop fluide : nos cerveaux étaient connectés. J’ai enregistré plus de 160 sons ! Sur la sélection finale, on ne voulait pas que tout se ressemble. Les beatmakers m’ont amené vers de nouvelles couleurs et je suis trop fier du résultat.
On peut parler des samples : il y a un rapport nostalgique ?
Parfois je retombe sur d’anciens sons et je me dis « dinguerie, je peux poser dessus ». Parfois ce sont les beatmakers qui proposent. Et parfois il y a un sample et je ne le sais même pas !

Pantalon : 1970
Cagoule : CRUSADE
Il y a une grande diversité d’instrumentales sur ce projet : drill, jersey, new jazz… Que penses-tu de la catégorisation en sous-genres ?
Je suis totalement contre : ça met les gens dans des cases. T’aimes une prod, tu poses, point. C’est de la musique avant tout. Fuck les cases !
Le feat avec Ziak, “T’aimerais”, est très différent de ce qu’on aurait imaginé. Ça a un peu surpris ta fanbase.
Je savais l’effet. On voulait annoncer la couleur directe : faire quelque chose qui ne ressemble pas à “Peur” pour éviter la comparaison et pour changer.
Vous avez samplé “Je te promets” de Zaho. Comment s’est fait ce choix ?
On était en séminaire, moi j’étais en train de manger des spéculoos. Les beatmakers m’ont dit « viens on sample Zaho ». J’ai dit « allez-y ». Au départ je ne voulais pas l’envoyer à Ziak, mais son couplet était incroyable, donc on y est allé.
Le son est très mélancolique. Tu te livres beaucoup. Comptes-tu proposer plus de morceaux comme ça ?
J’aime trop les sons comme ça, parce que c’est ce que j’écoute. Je fais la musique que je voudrais entendre. J’ai plein de sons dans mes fichiers !
Pourquoi tu ne les sors pas ? Il y a une part de peur ?
Plutôt une part de pudeur, pas de peur. Peut-être à l’avenir, on sait jamais.

Full set : No28
Chaussures : ASICS × CP Company
Il y a Killemv sur le projet. T’aimerais plus collaborer avec des artistes féminines ?
Ouais, je suis branché ! Je discute avec la plupart des artistes féminines françaises. À tout moment ça peut se faire.
Tu as des noms en tête ?
Aya ! Aya s’il te plaît, viens on fait un feat ! Elle est trop forte, c’est la reine. On fait tout : zouk, dancehall, R&B… même de la jersey !
Il y a des refrains chantés sur le projet. Tu as évolué de ce côté-là aussi.
En vrai c’est trop bien ! Parfois je suis posé au studio, je m’amuse, je chante dans la cabine, c’est trop satisfaisant.
Tu écoutes qui comme chanteur/chanteuse ?
Là je me suis remis dans Justin Bieber, j’écoute David Kushner, Merveille… et je me suis remis dans la drill aussi.
« J’ai arrêté l’école, je deviens un adulte. Je ne vais pas dire que je perds mes repères, mais ils changent. »
Est-ce que ce projet-là te ressemble plus que le précédent ?
Exactement, ce projet c’est vraiment moi. J’ai passé un step de ma vie et je voulais que ça se ressente dans la musique.
On sent le step. Il y a des prises de risque, notamment sur tes collaborations. Tu peux parler de ton feat avec Dinos ?
Quand j’ai sorti Confiance, il sortait Un hiver à Paris. Il m’a envoyé un message pour me donner de la force. On s’est croisés en festival, et six mois après je l’ai appelé : « viens on fait un son ». Il est venu le lendemain, séance carré de fou.

Cagoule : 3moires

Pour les prochains projets, tu te vois sortir des formats plus courts pour rester présent ?
Je sais pas, l’omniprésence c’est bien mais après ça saoule. Trop de projets à écouter d’un artiste ça peut lasser.
T’es aussi revenu aux sources dans Saison 2. Pourquoi ce retour à la base ?
J’ai arrêté l’école, je deviens adulte. Mes repères changent. Ça fait du bien de revenir au quartier, petit clip fâché, son drill “Kerchak 2021”.
Est-ce que ton entourage a changé depuis le succès ?
Il s’est réduit. Peu de nouvelles personnes sont apparues. Les gens autour de moi n’ont pas changé. Et de toute façon, à la majorité ta vie change.
T’as été content des retours sur ce projet ?
Ouais, de ouf !
Ça te stressait un peu ?
J’étais confiant, mais il y avait une petite appréhension. J’ai eu les retours que je pensais avoir, donc c’est carré.
Il y a des dates de tournée annoncées : l’Olympia le 10 mai. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Je ne m’en fous pas, c’est la suite logique après La Cigale. C’est trop bien.

Pantalon : 1970
Cagoule : CRUSADE
Au-delà de l’Olympia, tu vas retrouver ton public sur scène.
J’ai trop hâte ! C’est un échange, notre moment. Une sensation inexplicable.
On est en pleine CAN en Côte d’Ivoire, ton pays d’origine. Comptes-tu faire des concerts en Afrique ?
J’espère de tout mon cœur. Le public est archi dans le respect. J’en avais fait un en août 2023. Mon public ivoirien est archi engagé. Je les aime trop.
Vois-tu des similitudes entre ta musique et les sonorités ivoiriennes ?
Grave ! Influence zouglou/coupé-décalé dans les rythmiques. Les kicks jersey, tu changes quelques notes, c’est du logobi !
Niveau mode : tu es arrivé aux Flammes en Givenchy, vu au défilé Jean-Paul Gaultier… Quel est ton rapport à la mode ?
Je découvre et j’aime beaucoup. Les habits, c’est l’image, et l’image c’est important. Les marques de luxe s’intéressent au rap, ça nous donne de l’exposition et ça favorise l’expansion de la culture.
Ta signature, ce sont les cagoules customisées. Pourquoi la porter ? Et vas-tu la garder ?
À la base parce que c’était stylé. Ensuite, l’anonymat m’a trop servi : j’allais à l’école, je prends les transports. On se demande si je vais la garder : la tranquillité de l’anonymat, c’est trop bien.

Full set : No28
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