Comment Dr. Martens s’est imposé comme l’alternative parfaite aux sneakers

La marque a réalisé un retour en force dans les années 2010.

Depuis quelques saisons, Dr. Martens a effectué un come-back fracassant sur le devant de la scène mode. Sur les podiums et dans la rue, la botte d’origine germano-britannique séduit de nouveau. Des stars de tous les horizons s’affichent chaussées de leur modèle préféré et affirment le retour de la bottine aux coutures jaunes. Des Sex Pistols à A$AP Rocky, en passant par Jean Paul II ou Kendrick Lamar, il aura fallu un peu plus de 60 ans à Dr. Martens pour acquérir ce rayonnement mondial, qui fait d’elle aujourd’hui une alternative de choix aux sneakers.

C’est du côté de Munich, en 1946, dans une atmosphère d’après guerre, que l’idée de Dr. Martens voit le jour. Klaus Märtens, un jeune docteur de 25 ans revenu du front blessé à la cheville, recherche une alternative à ses bottes militaires qu’il ne trouve pas assez confortables. De nature créative, il décide, avec l’aide de son ami Herbert Funk, ingénieur en mécanique, de fabriquer son propre modèle de chaussures. Les deux compères parviennent rapidement à commercialiser leur innovation, une botte alors dotée d’une semelle sur coussin d’air, qu’ils vendent essentiellement à des sexagénaires. Dr. Martens acquiert sa nationalité anglaise quelques années plus tard, lorsque Griggs, une entreprise de chaussures reconnue au Royaume-Unie, récupère la licence du docteur allemand.

Après quelques modifications et le retrait du tréma du “ä” de Märtens, jugé trop germanique pour le marché britannique d’après-guerre, un premier modèle est commercialisé le 1er avril 1960. Il s’agit de l’iconique Dr. Martens 1460 (le nom correspond à sa date de création : 01/04/60), qui est vendue 2 livres sterling, soit 43 euros aujourd’hui. Les premiers clients à adopter cette Doc mythique seront alors les ouvriers et les artisans, pour qui cette paire robuste a été pensée. La 1460 devient vite un incontournable de l’uniforme du travailleur anglais.

Skinheads in Chelsa, 1962 – Derek Ridgers

Après avoir conquis les ouvriers, les postier et les policiers, la marque poursuit sa croisade en séduisant une nouvelle clientèle. En effet, ce sont les Hard Mods, un célèbre gang anglais, puis les skinheads apparus dans les années 60 avec l’émergence des “sous-cultures”, qui assoient la popularité de Dr. Martens dans le coeur d’une partie de la jeunesse anglaise, comme un symbole rebelle et anti-conformiste. Ils adoptent la Doc pour son look très identifiable et le symbole prolétaire qu’elle revêt. Grâce à ces nouveaux clients au style très pointu, la marque augmente sa production de 1000 paires à 6000 paires par semaine. Entrainée au fil des années par la jeunesse dans ses diverses évolutions, comme un compagnon de guerre de pensées, Dr Martens atterrie aux pieds du mouvement punk dans les années 70. Les stars des Who, des Sex Pistols ou encore des Clash s’affichent avec leurs paires de DM’s, afin d’affirmer leur proximité avec la classe travailleuse anglaise. C’est eux qui sauveront la marque de son image fasciste, tristement acquise après plusieurs années de dérive du mouvement skinhead. Les rockstars britanniques à l’aura sulfureuse popularisent la marque à travers le monde. La Doc devient alors star des cours de récrées dans les années 80 et ne cesse de se développer.

Après presque 20 ans de succès aux pieds de Joey Ramone, Pete Townshend ou encore Kurt Cobain, la marque s’essouffle au tournant du siècle. Les mouvements culturels qui ont propulsé la bottine au sommet tombent en désuétude ou disparaissent. En effet, les stars du rock se font de plus en plus rares. Les Strokes, Arctic Monkeys et autres Libertines, survivants du genre au début des années 2000, bouderont tous Dr. Martens, notamment au profit de Converse. La hype de la marque s’affaiblit et s’amorce alors un lent déclin. Les ventes du label anglais s’effondrent et de nombreux magasins sont contraints de baisser le rideau. Avec l’arrivée de nouvelles tendances footwear, comme celle de la chaussure basse, mais aussi l’évolution des habitudes de consommation, le cauchemar continue. L’aura de Dr. Martens décline et la botte montante laisse place à un nouvel acteur qui deviendra rapidement un titan : la sneaker.

En quête de nouveaux standards, les consommateurs recherchent alors une chaussure plus adaptée à leur nouveau mode de vie, dans lequel le temps libre occupe une place importante. La sneaker coche ses cases et se démocratise. Dans le même temps, toute la culture qui entoure les sneakers suit le même chemin, les paires à l’allure sportive étant massivement adoptées, aussi bien par la masse que par des collectionneurs et les designers. La culture hip-hop, le streetwear et les sneakers deviennent le symbole du new-cool et finissent d’endormir la hype des Docs. David Suddens, directeur de Dr. Martens à l’époque, doit alors sauver la marque. Une seule solution s’offre à lui, délocaliser ses usines en Asie et produire de nouveaux modèles en plus grosses quantités, afin de pouvoir rivaliser avec les géants du sportswear.

Après plusieurs années de stagnation, Doc revient finalement à partir de 2017. Les évolutions de la mode, l’émergence de nouveaux impératifs écologiques, l’intelligence de la marque sont autant de raisons qui lui valent le triomphe qu’on lui connait aujourd’hui. En effet, porté par l’explosion de la tendance vintage dans les années 2010 et le retour en force de la chaussure de ville sur les podiums, Dr. Martens reprend du poil de la bête et amorce son retour. Si la marque réouvre progressivement des magasins et conquiert de nouvelles parts de marché, ce n’est que récemment qu’elle éclate et atteint son apogée. C’est notamment grâce à sa ligne de Docs végan, sortie en 2017, que la bottine aux 8 oeillets est de nouveau propulsée sous les projecteurs. L’implication des millenials dans l’écologie et la prise de conscience des créateurs, y compris dans le milieu de la haute-couture, concernant notre utilisation massive de matières animales, inscrit Dr. Martens en plein dans les préoccupations actuelles. La marque britannique remportera même un trophée de la mode PETA en 2018.

Ces dernières saisons, ce sont les tendances workwear, le retour du style grunge et de la botte militaire sur les catwalks de marques comme Balenciaga, Maison Margiela ou Gucci qui remettent définitivement Dr. Martens au goût du jour. La Doc s’impose comme une alternative de confiance, pour celles et ceux qui veulent suivre la tendance et limiter les dépenses. Sa simplicité et son large éventail de styles permettent à tous de trouver le modèle qui lui convient et de garder sa singularité. Basse, haute, compensée, en sandale, vegan ou colorée, la marque s’est adaptée et cela fonctionne. Elle est ainsi devenue la coqueluche des artistes, designers et influenceurs du monde entier.

Couronnée marque retail britannique la plus suivie sur Instagram en 2018, Dr. Martens enchaîne les coups de maître en terme de communication. Parallèlement à cette renaissance, la Doc ne s’associe plus qu’avec des griffes branchées, comme en témoigne ses multiples collaborations avec Supreme au cours des 4 dernières années. Dr. Martens comprend les tendances et n’a plus l’intention de se laisser détrôner. La marque anglaise choisit des enseignes qui lui ressemblent, qui parle à la jeunesse et profitent ainsi de leur popularité. 

En 2018, sa collaboration avec la griffe du créateur japonais Jun Takahashi, Undercorver, ou encore avec l’enseigne californienne Stussy, sont de véritables succès. Les marques de luxe frappent de plus en plus régulièrement à la porte de Dr. Martens et il n’est plus rare de voir apparaître des Docs sur les défilés de labels en vue, comme Off-White ou sur les shows du créateur japonais Yohji Yamamoto, avec lequel Dr. Martens travaille depuis plus de 10 ans. Elle s’affiche ensuite aux pieds des mannequins les plus suivies au monde, comme Kendal Jenner et les soeurs Hadid. Parallèlement à sa conquête de la gente féminine, Doc récupère depuis peu son identité mixte et convainc les hommes. Des artistes comme A$AP Rocky, Tyler, The Creator, Kendrick Lamar, Pharrell Williams, Frank Ocean et The Weeknd prennent ainsi le relais des stars du rock du siècle dernier en s’affichant fièrement avec leurs paires de bottes.

Après avoir remporté il y a quelques mois le “Shoe of the Year”, récompense habituellement raflée par les géants de la sneakers, Dr. Martens célèbre désormais en grandes pompes les 60 ans de son iconique modèle 1460 Smooth Boot avec le projet 1460 Remastered. Tout au long de l’année, 12 grands noms de la mode mondiale vont présenter leurs ré-interprétations de la plus ancienne des bottes de la marque. Après les sorties successives, au cours des 3 derniers mois, de modèles en collaboration avec BAPE, Raf Simons et Beams, c’est au tour du plus fidèle compagnon de la marque, Yohji Yamamoto, de rendre hommage à Dr. Martens en proposant la 1460 YY Web. Un modèle sorti ce vendredi 25 avril et sold-out en quelques heures.

Bousculée par les conséquences de la pandémie de Covid-19, Dr. Martens devra certainement se battre pour conserver sa très belle dynamique. Mais avec ses 70% de profits en 2019, la marque n’est pas prête de sombrer à nouveau dans l’oubli et continuera très certainement de faire parler d’elle pendant encore quelques saisons. L’essoufflement relatif de la folie sneakers devrait en tout cas jouer en sa faveur. Les grandes marques abandonnant peu à peu les tendances de la culture hip-hop, comme les collections présentées l’hiver dernier le démontraient, la Doc peut tirer son épingle du jeu. Adoptée par les nouveaux visages de la hype, aidée par une marque très forte et à jamais associée à une image anti-conformiste, la botte créée par Klaus Märtens a encore de beaux jours devant elle. Désormais sexagénaire, elle n’a jamais eu si fière allure.