Lidl : analyse d’une hype que personne n’attendait

La collection tant convoitée se dévoile dans notre nouvel édito photo.

2020 est décidément une année pleine de surprises. Qui aurait pu imaginer que des sneakers estampillées Lidl allaient s’installer au sommet de la hype ? C’est pourtant ce qu’il s’est passé au début du mois, lorsque l’enseigne de grande distribution a commercialisé une capsule comprenant une paire de sneakers, des claquettes, des t-shirts ou encore des chaussettes. Alors qu’il aurait pu être anodin, voire devenir source de raillerie, ce drop s’est affirmé comme l’un des plus convoités des derniers mois. Le Covid-19 a-t-il bouleversé les goûts des sneakerheads et redistribué les cartes de la hype ? Pas vraiment. Lorsqu’on se penche dessus, le succès de cette release apparaît même plutôt logique, tant il s’intègre dans une stratégie beaucoup plus globale pour Lidl. Passé du statut de magasin “cheap” à la coqueluche des influenceurs grâce à cette collection, la marque allemande n’a rien laissé au hasard.

En effet, cela fait désormais quelques années que Lidl repositionne son image de marque. Pendant longtemps, l’enseigne a souffert de sa réputation de vendeur hard discount, possédant des magasins hideux et des produits de qualité inférieure. Depuis 2016, Lidl tente pourtant de faire table rase du passé, en bâtissant une nouvelle image dans l’inconscient collectif. Et force est de constater que ça marche. Si l’entreprise allemande se place désormais comme une grande surface traditionnelle, notamment via des points de vente beaucoup plus attrayants que par le passé, elle n’oublie pas de stimuler sa connexion émotionnelle avec les consommateurs. En atteste les nombreuses promotions imbattables sur des produits très populaires, comme les robots cuiseurs ou la PlayStation 4. Chaque rabais de Lidl fait ainsi les choux gras des médias généralistes, tout en faisant du bien aux porte-monnaies des ménages français.

C’est un fait indéniable : la marque sait faire parler d’elle. Outre son repositionnement stratégique, Lidl tente de séduire la jeunesse grâce à une implication toujours plus grande dans la mode. Car si ce raz-de-marée sneakers a enflammé les réseaux sociaux, l’entreprise n’en est pas à son coup d’essai. Il y a trois ans, Lidl s’associait par exemple à la célèbre top model Heidi Klum pour créer une ligne de vêtements intitulée Esmara. Les prix pratiqués étaient évidemment très bas et collaient aux standards de la fast fashion, tandis que la légende allemande du mannequinat apporte une caution glamour et branchée à cette ligne textile casual chic. Esmara rencontrera un joli succès populaire, au point d’organiser une présentation à la Fashion Week d’Amsterdam en 2018.

C’est ce défilé qui posera les fondations de la récente collection de Lidl. Les invités de la présentation Esmara recevront en effet tous une paire de chaussettes blanches, arborant le célèbre logo tricolore de la marque, un clin d’oeil très bien senti. Adopté par de nombreux influenceurs suite à ce défilé, cet accessoire original sera partagé en masse sur les réseaux sociaux. “C’est de là qu’on s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire” a récemment expliqué au Parisien Julien Wathieu, porte-parole de Lidl Belgique. Deux ans plus tard, les paires à 12,99 euros de la marque provoquaient un engouement impressionnant, surprenant de nombreux sneakerheads et confortant Lidl comme une marque à part dans le secteur de la grande distribution.

Pour triompher de la sorte, l’entreprise germanique s’est inspirée de la drop culture, bien connue des amateurs de streetwear et de luxe. À l’instar de ce que fait une marque comme Supreme chaque jeudi, Lidl a commercialisé très peu de produits (2000 paires en tout pour la Belgique et l’Allemagne), à un prix retail (très) accessible et dans ses propres points de ventes. La meilleure stratégie possible pour attirer l’attention sur sa release, tout en donnant aux consommateurs l’impression d’accéder à un produit exclusif et demandé. L’important n’est pas tant d’apprécier le produit : tout ce qui compte, c’est l’obtenir.

Sold-out en quelques heures, la paire imaginée par Lidl s’est donc rapidement retrouvée sur des sites de revente. Son prix au resell grimpera alors à plus de 1250 euros sur certaines annonces, du jamais vu pour une basket de supermarché. Là encore, l’explication est assez simple. L’offre et la demande sont le moteur du marché de la sneakers, ce qui provoque souvent l’explosion de la valeur de certaines paires convoitées. En clair, lorsque l’offre ne peut pas satisfaire la demande, les prix du produit s’envolent. Le drop de Lidl est également symptomatique du dérèglement du marché de la sneakers, où le prix n’est absolument plus indexé sur la valeur réelle des paires. Une mécanique similaire à celle des bulles spéculatives des marchés boursiers traditionnels.

Le carton des snekears Lidl confirme donc que cette bulle continue d’enfler. En plus d’utiliser à bon escient la tendance des ugly shoes et un aspect luxe/populaire (on pense au sac IKEA revisité par Balenciaga ou aux présentations Vetements dans un McDonald’s), la marque allemande prouve qu’elle a très bien compris les codes de la consommation des produits exclusifs. Des codes qui sont donc capables de s’adapter à des pièces a priori ordinaires, tant bien est qu’elles se retrouvent sous le feu des projecteurs. Si chacun se fera un avis sur la valeur esthétique de ces paires, notamment grâce à notre nouvel édito photo, force est de constater que le pari de Lidl est plus que réussi. Et bonne nouvelle pour les consommateurs français, cette paire devrait être disponible à la vente dans l’Hexagone d’ici à la fin de l’année. Un timing qui laisse du temps pour se préparer à prendre sa première L made in Lidl.

Crédits

Photographe : Alex Mouchet
Assistant photographe : Félix Devaux
Direction créative & artistique : Iris Gonzales
Modèles : Sana Chennoufi (@sanadc) & Luca Delombre (@luca_delombre)
Rédaction : Julien Perocheau