Coming Out sur Spotify : un podcast fondamental pour la libération de la parole

Rencontre avec Élise Goldfarb et Julia Layani, les créatrices du programme audio le plus écouté de la plateforme.

Photo : Julien Perocheau pour Views

Depuis le 4 février, Spotify diffuse la seconde saison du podcast Coming Out. Imaginé par Élise Goldfarb et Julia Layani, il prend la forme d’une conversation intimiste à l’aspect thérapeutique. Une sorte de séance de psy, au cours de laquelle chaque personnalité raconte le moment où elle a révélé son homosexualité au grand jour. Décomplexé et authentique, le podcast diffusé sur la plateforme de streaming cherche à libérer la parole de la communauté LGBTQIA+, déconstruire les idées reçues et inhumer les tabous.

Élise et Julia se sont donné une mission : proposer des représentations et des modèles issus de tous les milieux. Avec “inclusivité” comme mot d’ordre, elles souhaitent toucher le plus de monde possible et sensibiliser le plus large public sur les questions liées au genre. Du côté de Spotify, l’objectif est tout aussi clair : produire des contenus audio inspirants et originaux, qui libèrent la parole sur des sujets de société importants. La plateforme suédoise met ainsi en avant les nouvelles voix du podcast indépendant, porteuses d’un message positif et affirmé.

C’est au sein d’un appartement niché au sommet d’un bel immeuble parisien qu’Elise et Julia nous ont accueillis pour une nouvelle séance de confession. Atmosphère chaleureuse et lénifiante, ambiance décontractée et friendly à souhait. Rencontre avec deux femmes qui respirent la joie de vivre.

Ça fait quoi d’être reçues à l’Elysée (ndlr : une poignée de jours avant notre entretien, Élise et Julia participaient à un débat filmé avec Gabriel Attal) ?

Julia : On n’est jamais très impressionnées par nos interlocuteurs, parce qu’on considère que tout le monde est logé à la même enseigne. Mais l’Elysée est une tribune sympa pour pouvoir s’exprimer, ça fait partie de la suite logique d’un engagement que l’on a depuis quelques années. On n’avait rien préparé, on fonctionne au feeling, la spontanéité est un trait de notre personnalité.

Élise : En vrai, on s’est dit : “Qu’est-ce qu’on fout là ?”

Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Julia : On s’est connues au lycée. On avait des amis en commun et un jour on s’est rencontrées. On a immédiatement eu un coup de foudre amical. On a commencé à avoir une relation totalement exclusive, à se voir tous les jours. Dans nos discussions, on se demandait toujours comment on allait faire pour changer le monde.

Photo : Julien Perocheau pour Views

Pourquoi avez-vous décidé de lancer le podcast Coming Out, comment est venue l’idée?

Élise : On a eu l’idée quand on travaillait encore pour Fraîches (un média féminin fondé par Elise et Julia pour TF1 en 2017, ndlr), c’est venu assez naturellement. On se disait constamment: “C’est hyper dur d’être gay aujourd’hui.” L’homosexualité est notre sujet principal à toutes les deux, on ne parle que de ça, c’est au centre de notre vie. On a réalisé que si on en parlait autant, c’est avant tout car on manquait de modèles. Donc on essaye de se créer nous-même des histoires pour se donner des conseils entre nous. On s’est dit que si on avait eu des témoignages ou des conseils étant plus jeunes, on n’aurait pas rencontré toutes ces difficultés.

Julia : On a surtout constaté que la communauté LGBTQIA+ passe par des moments souffrances, les premières histoires d’amour sont souvent très compliquées. Si des personnalités issues de différents milieux racontent leur coming out, ça va créer des exemples et les jeunes pourront s’identifier. On veut créer des représentations de tous types, c’est pour ça qu’on va voir des chanteurs, des personnalités politiques, des gens de la télé-réalité…

Comment définissez-vous le coming out?

Julia : C’est difficile à définir, mais je dirais que le coming out c’est se révéler, affirmer ouvertement que l’on fait partie de la communauté LGBTQIA+. Mais c’est un sujet extrêmement subjectif. Nous on part du principe que ce concept ne devrait même pas exister. Parce que dire son homosexualité, c’est pour nous l’équivalent de dire que l’on aime chocolat. Il faudrait que le coming out n’ait plus à exister. Mais pour le moment, il reste une épreuve qui peut être douloureuse. À travers le podcast Coming Out, il y a une réelle visée pédagogique. Les témoignages sont des exemples que l’on donne à ceux qui ont des interrogations, qui manquent de repère.

Pourquoi avoir choisi le format podcast?

Élise : Nous voulions que récupérer des témoignages audio car les gens ont plus de facilité à se confier quand il n’y a pas de caméras. Le podcast rend les interviews beaucoup plus intimistes, également pour l’auditeur. On peut les écouter seul, partout, sans crainte. Si quelqu’un vient d’un milieu où l’homosexualité est taboue, ça lui donne la possibilité d’écouter en toute discrétion. Et en plus, ça laisse place à l’imagination. Avec l’audio, on peut plus facilement se projeter.

Julia : Avec ce type de format, il y a aussi une sorte de nostalgie de notre jeunesse, quand on écoutait les radios libres comme celle de Difool. On n’avait pas envie que nos parents sachent qu’on écoute ça, c’était important d’avoir de la discrétion. Il faut aussi savoir que ce sont des moments d’émotion intense, pratiquement tous les invités ont pleuré durant leur témoignage. Et ces personnes n’ont pas forcément envie qu’on les voit dans cet état.

Photo : Julien Perocheau pour Views

Comment se déroule le casting ?

Élise : Généralement, c’est nous qui allons directement voir les personnes pour qu’elles viennent témoigner. On les contacte soit par un message sur Instagram, mais quelques fois ce sont nos potes que l’on connait, ou bien des amis d’amis. On a la chance d’avoir un réseau assez vaste. On leur explique que c’est un podcast d’intérêt général. Mais on a quand même reçu pas mal de refus, parce qu’il y a des personnes qui ne veulent absolument pas que ça se sache. C’est une vraie prise de position et d’engagement de le faire.

Julia : Pour la saison 2, on a eu quelques de surprises. Par exemple, c’est Woodkid qui nous a spontanément envoyé un message pour participer au podcast.

Avez-vous tenté d’entrer en contact avec des artistes et des personnalités issus du milieu du rap ?

Élise : En France, ça n’existe pas un rappeur qui assume son homosexualité. Dans les chansons, c’est encore à la mode de traiter quelqu’un de “pédé.” C’est encore aujourd’hui l’un des plus gros tabous de cette industrie. Ça aurait été notre rêve de faire participer un rappeur, mais on s’est retrouvées face à un mur. De mémoire, le seul rappeur qui a partagé le podcast sur ses réseaux, c’est Oxmo Puccino.

Julia : On a demandé à une personne notamment, qui nous a dit non catégoriquement. Les rappeurs, ça les met en porte-à-faux de parler de ce sujet. Notre objectif c’est justement de sensibiliser les personnes qui écoutent du rap et estiment ne pas être concernées par les questions liées à l’homosexualité. Dans la quasi-totalité des autres milieux, ça commence à être de plus en plus discuté et accepté.

Dans quels autres milieux les personnes se sont montrées réfractaires?

Julia : C’est très compliqué de libérer la parole pour les sportifs. Déjà, parce que la plupart des sportifs connus sont des hommes. Pour les femmes sportives, c’est difficile de parler ouvertement de sexualité, parce ça peut être un frein à leur carrière.

Élise : Le sport et le rap, des milieux essentiellement dirigés par des hommes, mais ce ne sont pas les bons hommes à la tête de ces industries. Le témoignage de Benjamin Siksou est révélateur. Dans son épisode, on apprend que son manager lui a déconseillé de faire une chanson romantique sur un mec. On en est encore là.

Depuis juin 2020, le podcast été écouté dans plus de 60 pays, et a été en tête du classement de trois d’entre eux pendant 110 jours. Vous vous attendiez à un tel succès?

Julia : Pas du tout. On n’a même pas prévenu nos potes qu’on sortait un podcast, personne n’était au courant. Il y a eu un tel engouement dès sa sortie, tous les jours il y avait des retombées positives, c’était imprévisible. J’avais l’impression d’avoir reçu la petite étoile dans Mario Kart.

Élise : On a mis un an à le préparer, c’était un peu notre « side project ». On n’avait pas prévu de le vendre, c’était surtout un projet entre amies, pour faire kiffer les gens qui allaient tomber dessus. Après il y a eu les confinements qui nous sont tombées dessus, les associations étaient pas mal en galère, la Pride a été annulée. C’était l’occasion d’être utiles à la communauté et on a pris la décision de lever des fonds pour elle.

Dans une précédent interview, vous dites avoir “une approche différente du journalisme.” Est-ce que vous vous positionnez en précurseur dans la manière dont vous traitez vos sujets?

Julia : On ne se considère comme rien du tout, on a juste été chercher la forme la plus simple possible pour parler au gens. Dans la vie en général, on a une personnalité très bavarde et intrusive avec les personnes. Il n’y a pas de mise en scène au cours de nos entretiens, on est réelles à 100%.

Élise : Notre approche est différente, dans le sens où elle est avant tout bienveillante. On n’a rien inventé, mais depuis Fraîches, on revendique la rupture avec la culture du scoop et du sensationnel. On souhaite être au plus proche des gens et raconter leurs histoires de la manière la plus fidèle possible.

Est-ce que vous recevez des retours de la part de vos auditeurs ? Quel a été le plus marquant ?

Julia : Oui, on en a énormément. Par exemple on a eu le retour d’un rabbin de la communauté juive orthodoxe de Strasbourg, à la suite du témoignage de Nathan dans la saison 1. Ça a été exceptionnel pour nous, parce qu’étant juives, on sait que c’est vraiment un sujet tabou, comme dans toutes les religions.

Élise : Ce rabbin nous dit qu’il faut absolument que le débat se lance en France, dans le secteur religieux. Ça nous a énormément touché qu’une autorité religieuse prenne ouvertement position en faveur des homosexuels. On s’est dit : “là il se passe quelque chose.” Avec Coming Out, c’est aussi le microcosme religieux qu’on souhaite cibler. La religion n’est pas centrale, mais c’est un sujet qu’on n’hésite pas à aborder.

Est-ce qu’une troisième saison est déjà en préparation?

Élise : C’est prévu pour l’instant, même si c’est très dur émotionnellement d’écouter toute la journée des personnes raconter qu’elles ont vécu des moments terrifiants. Ça ravive des souvenirs assez douloureux pour nous aussi. Mais on fera une saison 3 si on parvient à avoir un casting composé de sportives, et pourquoi pas des sportifs, des plus gros noms de la mode et de la musique.

Julia : Même des plus vieux, des personnalités qui se sont déjà publiquement exprimées sur ce sujet, mais à qui on va poser les bonnes questions, pour se replonger dans une époque que l’on n’a pas vécue. Parce qu’avant, c’était forcément différent. Par exemple, on aimerait bien que Murielle Robin ou Christian Louboutin nous racontent comment c’était de vivre l’homosexualité à leur époque.

Que peut-on vous souhaiter pour la suite?

Julia : Pour nous, il n’y a rien à souhaiter de plus que ce qui se passe déjà, à savoir la chance de s’exprimer librement et d’être écoutées.

Élise : Et pour la communauté, que les lois sur la PMA et la GPA pour tous puissent être adoptées un jour.


L’intégralité des épisodes du podcast Coming Out sont à (re)découvrir ci-dessous.


Propos recueillis par Maëlys Kapita

Photos : Julien Perocheau (@julienperocheau) pour Views