Éthique et mode – Partie 1 : Entre prise de conscience et greenwashing

L'industrie de la mode réalise enfin qu'elle doit changer.

upcycling mode greenwashing

Selon un rapport des Nations Unies, il faut 7 500 litres d’eau pour fabriquer un jean, ce qui équivaut à l’eau bue par un être humain pendant sept ans. Entre le gaspillage massif et la problématique de la violation des droits de l’homme, l’industrie de la mode nécessite un réel changement. Ces dernières années, l’idée de développer de nouvelles façons de produire et de sortir des collections plus éthiques gagne du terrain dans le monde de la mode : les groupes Kering, LVMH et les marques Nike, The North Face, Lacoste et adidas entre autres, redéfinissent leurs engagements.

Tous les ans, le cabinet américain de conseil en stratégie McKinsey et le BoF (Business of Fashion) dévoilent leur rapport « State of Fashion » sur l’état du marché de la mode. Depuis deux ans, c’est la question de la durabilité dans la mode qui devient prioritaire. Le rapport de novembre 2019 montre une volonté d’utiliser des matières plus respectueuses de l’environnement et une plus grande transparence vis-à-vis du consommateur. L’industrie doit donc revoir son fonctionnement et mettre en place des actions concrètes pour atteindre son objectif de durabilité.

Des consommateurs de plus en plus exigeants

Les réseaux sociaux ont accéléré la transparence vis-à-vis de tout. Aujourd’hui, on peut dialoguer en direct avec n’importe quelle marque et n’importe quel personnage médiatique ou politique. Donc finalement la transparence on la veut partout. On la veut aussi dans la mode.

Carol Girod, fondatrice de Low Impact

Après plusieurs années de carrière chez Nike puis chez Kering, Carol Girod s’aperçoit que ses valeurs ne sont plus en phase avec les produits de ces marques. En 2020, elle fonde le label éco-responsable Low Impact. Selon Carol Girod à l’ère des réseaux sociaux, les marques n’ont plus d’autre choix que de s’engager pour une mode éthique. « Les réseaux sociaux ont accéléré la transparence vis-à-vis de tout. Aujourd’hui, on peut dialoguer en direct avec n’importe quelle marque et n’importe quel personnage médiatique ou politique. La transparence on la veut partout et aussi dans la mode » explique-t-elle.

Tout part des consommateurs et surtout des plus jeunes : « Aujourd’hui ça ne suffit pas de dire que l’on est green ou que l’on source équitable. On veut des chiffres, on veut voir ce qu’il y a derrière. La jeunesse a grandi avec Instagram et a complètement conscience de ce qui est fake ». Les marques savent que la détérioration de leurs images peut avoir de graves conséquences sur leur économie. Récemment, face à des menaces de boycott, des marques comme Nike ou H&M ont été contraintes de s’engager à ne plus utiliser de coton du Xinjiang, où les Ouïghours sont soumis au travail forcé. La preuve qu’elles ne peuvent plus rien cacher aux consommateurs.

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Pour Rubi Pigeon, fondatrice de la marque d’upcycling Rusmin, l’argent est un langage. « Les gens réfléchissent plus à comment ils dépensent leur argent qu’avant. Le consommateur a un vrai pouvoir. On l’a vu avec les produits végétariens. Quand on remarque que de plus en plus de gens sont intéressés par un régime végétarien, on trouve de plus en plus de produits végétariens. » constate la créatrice.

Le directeur mondial de la stratégie de durabilité d’adidas, David Quass, fait également part de l’importante influence du consommateur dans la position adoptée par la marque allemande : « Nos consommateurs clament haut et fort que la durabilité leur tient à cœur et qu’ils veulent voir les marques progresser ». La pression mise sur les mastodontes de la mode est donc colossale.

Un engagement éthique accru

En août 2019, 32 entreprises du textile allant des groupes adidas à Nike en passant par Gap, Chanel, Prada ou encore H&M signent un « Fashion Pact » visant à atteindre le taux zéro d’émission de CO2 d’ici à 2050. Quelques mois plus tard, Kering et l’Institut Français de la Mode lancent la « Chaire Sustainability IFM – Kering » avec l’objectif de former de futurs professionnels au développement durable dans le secteur de la mode. En janvier 2020, les maisons italiennes Ermenegildo Zegna et Giorgio Armani présentent des collections composées à 50% de matériaux recyclés au deuxième jour de la Fashion Week de Milan. « L’industrie peut être nocive pour la terre sur laquelle nous vivons. Nous cherchons à résoudre le problème en trouvant un équilibre entre les exigences industrielles et celles de respirer » affirme alors Giorgio Armani.

La même année, c’est au tour de LVMH de s’engager : Hélène Valade, ex-vice-présidente du développement durable de Suez est nommée Directrice de Développement Environnemental. Des initiatives comme celles-ci ces dernières années, il y en a eu des dizaines d’autres. La protection de la planète, la qualité des produits et le respect de l’humain lors de leurs confections sont plus que jamais primordiales pour les consommateurs. L’opportunité commerciale est énorme, et ça, toutes les marques l’ont compris.

Une course à l’écoresponsabilité est lancée et toutes les marques veulent en être. Si l’on se focalise uniquement sur ce début d’année 2021, Gucci, Balienciaga, Versace, H&M, Burberry, Moncler, Asics, The North Face, Timberland, Lacoste, Louis Vuitton, Hermès, Stüssy, Noah, Nike, ou encore Prada ont sorti des collections comportant des articles faits de matériaux en partie recyclés. Alors qu’il y a encore quelques années, ce qui était particulièrement mis en avant par les marques de prêt-à-porter étaient les coupes ou la qualité de leurs vêtements, aujourd’hui, ce qui prévaut, c’est indéniablement la dimension éthique du produit.

Désormais, quand une marque présente un nouveau produit plus éco-responsable, le nom de celui-ci doit comporter un terme faisant référence à l’engagement éthique. On peut par exemple citer la « Loop Polo » de Lacoste, la paire de sneakers recyclable à l’infini « Futurcraft Loop » d’adidas dévoilée en 2019, ou encore la « Stan Smith Prime Green » sortie en mars 2021.

Démarche sincère ou stratégie marketing ?

Le revirement éthique de groupes de luxe et marques qui pèsent lourd dans l’industrie de la mode pose question. En effet, nombreuses sont les entreprises de prêt-à-porter qui cherchent à se mettre au vert en sortant de nouvelles collections prétendument « éthiques » mais ne revoient en aucun cas leurs systèmes de productions. Souvent, les productions éco-responsables ne remplacent pas, mais s’ajoutent aux autres collections.

Le green est à la mode donc forcément les grosses marques surfent dessus. Ce sont des parts de marché qu’elles n’ont pas, donc il faut aller les chercher.

Stéphanie Calvino, fondatrice d’Anti-Fashion

Le greenwashing, c’est-à-dire le fait d’adopter un positionnement écologique à des fins marketing, est un procédé très présent dans l’industrie comme nous l’affirme Stéphanie Calvino, fondatrice du projet « Anti-Fashion » : « Le green est à la mode donc forcément les grosses marques surfent dessus. Ce sont des parts de marché qu’elles n’ont pas, donc il faut aller les chercher. C’est une réalité ». Pour Marion Aïdara, chargée de communication du label de sneakers éthiques Umòja, le consommateur se doit d’être méfiant face à ces positionnements éthiques. « On est dans une période où chacun essaie de produire sa basket, sa chemise ou sa gourde 100% verte. Il faut bien lire les petits astérisques et voir ce qui se cache derrière » explique-t-elle.

adidas, l’une des entreprises qui génère le plus de bénéfices au monde rejette toute accusation d’utilisation d’arguments écologiques à des fins uniquement commerciales. « Le développement durable est une priorité. Cela fait partie de l’ADN d’adidas. Notre poids dans l’industrie fait que nous devons être un exemple en termes d’innovation » affirme David Quass. La marque a par ailleurs été fortement critiqué en 2019 pour sa relocalisation en Asie du Sud-Est deux usines européennes qui limitaient pourtant l’impact carbone. Une contradiction qui montre à quel point il est dur de se crédibiliser dans un positionnement éthique pour des marques qui peinent à radicalement changer leurs systèmes productions.

Le début de nombreuses innovations

Les marques essaient de mettre en place des initiatives pour faire progresser leurs engagements. Avec « Move to Zero » (atteindre le 0 déchet et de réduire son empreinte carbone), Nike développe son tout nouveau programme de circularité intitulé « Nike Refurbished ». Le processus est le suivant : les baskets des consommateurs qui sont retournées dans les 60 jours après l’achat sont soit restaurées dans certains magasins et revendues dans les rayons, soit recyclées en matériaux Nike Grind. Une opération conçue pour prolonger la durée de vie de leurs produits.

Toujours dans le milieu du sportswear, adidas affiche depuis plusieurs années sa volonté de devenir leader en termes d’éco-responsabilité. La marque ne cesse d’innover. « Nous avons mis en place diverses innovations comme l’upcycling. Notre travail sur le développement de la technologie mylo est un autre excellent exemple de la façon dont nous innovons et conduisons notre programme de durabilité » explique David Quass. Le matériau innovant nommé « Mylo » est une alternative au cuir créé à partir du mycélium issu du champignon.

En association avec les entreprises All Birds et Bold Threads – qui fabrique le matériau Mylo – adidas a développé la première paire de sneakers en Mylo qui devrait prochainement être commercialisée. « Nous avons également pris l’engagement, en tant qu’entreprise, de réduire notre empreinte carbone d’ici à 2030 et atteindre la neutralité climatique en 2050 » ajoute David Quass. Des objectifs qui seront atteints avec des innovations mais surtout avec des sacrifices que les grosses marques ne sont pour le moment pas toutes prêtes à faire. Au-delà de celles-ci, de jeunes labels éthiques prennent de plus en plus de place ces dernières années. Ceux-ci ont pour ambition de concurrencer les marques standards avec des positions bien plus radicales et tout aussi créatives. Une nouvelle forme de production est en train de naître.

La partie 2 : Créer et consommer différemment est à lire ici.