Ou comment de nombreux artistes ont commis une grosse erreur de jugement.
En seulement huit mois à la maison blanche, Donald Trump a provoqué un nombre incalculable de scandales. Ses choix politiques et son comportement souvent grossier n’ont fait que confirmer que le 45ème président des Etats-Unis n’a rien à voir avec ses prédécesseurs dans le bureau ovale. Magnat de l’immobilier et figure mythique du divertissement américain, Donald Trump n’a pas un parcours comme les autres. Très longtemps considéré comme un milliardaire excentrique, symbole resplendissant du pouvoir de l’argent, Trump a régulièrement été cité comme un modèle de réussite par les artistes hip-hop. De JAY-Z à Kendrick Lamar, nombreux sont ceux à avoir loué la figure du futur président des Etats-Unis d’Amérique.
Car si la majeure partie du monde a découvert la figure clownesque de Donald Trump à l’occasion de sa tristement célèbre campagne présidentielle, les Etats-Unis sont bercés par ses apparitions depuis plus de 30 ans. Avant de remporter la primaire républicaine puis l’élection présidentielle, Donald Trump était surtout connu pour incarner la figure du golden boy new-yorkais, possédant des hôtels comme des restaurants, des émissions de télévision comme des luxueuses villas aux quatre coins du globe. Le “personnage Trump” de l’époque plaisait logiquement à une multitude de rappeurs, ces derniers voyant en lui une image évoquant facilement la richesse, la réussite et un train de vie luxueux. Retour sur une époque qui paraît si lointaine à la lumière des récents événements.
Afin de montrer le revirement de l’opinion du milieu du hip-hop sur Donald Trump, le site FiveThirtyEight a collaboré avec Genius pour répertorier le nombre exacte de citations du nom “Donald Trump” dans des morceaux hip-hop entre 1989 et 2016. Le site d’actualité nous apprend que Donald Trump a été évoqué dans pas moins de 266 titres de cette période. Chaque citation a ensuite été replacée dans son contexte au sein du morceau, pour savoir si Donald Trump est évoqué positivement, de façon neutre, ou négativement. Et là, grosse surprise : 60% de ces 266 références à Trump sont positives, contre seulement 13% de négatives. Jusqu’au début de sa campagne en 2015, le rap US louait donc majoritairement la personnalité et les succès du milliardaire.
Les exemples ne manquent pas. Rae Sremmund et son titre “Up Like Trump” en 2014 en est un, tout comme le célèbre “Donald Trump” de Mac Miller en 2011. En 2009 dans “Determined“, un jeune Kendrick Lamar rappait : “I don’t wanna be a dealer, I wanna be a Trump, Donald that is – Je ne veux pas être un dealer, je veux être un Trump, c’est de Donald dont il s’agit.” Sujet idéal pour faire part de son désir de réussite, le magnat de l’immobilier a souvent été cité dans le hip-hop, et ce dès le début des années 90. Sur “Da Funk” en 1992, Redman déclarait par exemple “I’m well known like Donald Trump – Je suis célèbre comme Donald Trump”, tandis qu’Ice Cube se servait du futur président pour évoquer ses aspirations sur “Three Strikes You In” : “I’m just tryin’ to get rich like Trump – J’essaie simplement de devenir riche comme Trump.”
Rick Ross est l’artiste à avoir le plus cité Donald Trump dans sa discographie, avec pas moins de 9 références, toutes positives, jusqu’au titre “Free Enterprise” en 2015. Un track au cours duquel le rappeur menace d’assassiner le candidat républicain. Jacques Dutronc n’est visiblement pas le seul à retourner sa veste. Le new-yorkais Nas est second dans la liste des références à Trump, avec 8 citations dans sa discographie. Aucune négative. Migos complète le podium avec 6 citations de Donald Trump, sans une seule négative là encore, la plus récente datant du titre “Bars” en 2016 : “Billionaire looking my way I’m on pace, Feeling like Donald Trump back in the day – Milliardaire qui me ressemble, je suis en feu, me sens comme Donald Trump à l’époque.”
De nombreux artistes ont découvert le “vrai” Donald Trump au moment de l’élection américaine, comme l’expliquait les Migos pour se défendre d’avoir cité le milliardaire dans leurs morceaux : “On parlait d’être riche et de peser, qu’on se sentait comme les Donald Trump du quartier, de la trap, de la street. Maintenant, au lieu que les gens disent qu’ils ont autant d’argent que lui, c’est ‘va te faire enc*ler, parce qu’il montre la personne qu’il est véritablement.” Le problème est que Donald Trump n’a pas attendu l’élection présidentielle de 2016 pour créer des polémiques raciales. En 1989, il dépense $85,000 pour publier une lettre dans le NY Daily News afin de demander à l’état de New York de rétablir la peine de mort pour exécuter cinq jeunes adolescents afro-américains accusés à tort d’avoir violé collectivement une joggeuse dans Central Park.
En 1991, son ancien associé John O’Donnell publie un best-seller sur les coulisses de l’empire Trump et le racisme pathologique de son leader, expliquant que ce dernier “trouvait les noirs fainéants” et qu’il n’aimait pas que des personnes de couleur compte son argent. Les scandales de Donald Trump ne datent pas d’hier, et pourtant, le monde du hip-hop a globalement fermé les yeux sur cette facette de sa personnalité, jusqu’aux deux dernières années. Les opinions xénophobes, sexistes et racistes du candidat républicain ont logiquement retourné le monde du hip-hop contre lui. Le héros est rapidement devenu un paria.
JAY-Z a fait campagne pour Hillary Clinton, bien qu’il citait Trump comme inspiration dans plusieurs de ses titres au début des années 2000, J. Cole et Kendrick Lamar sont devenus les figures de proue de l’activisme américain, tandis que Snoop Dogg a mis un terme à son amitié publique avec Trump en allant jusqu’à le kidnapper dans le clip de “BADBADNOTGOOD”. Quelques mois avant la parution de ce clip et l’élection du milliardaire, le rappeur californien déclarait pourtant être relativement neutre par rapport aux idées politiques du candidat à la maison blanche : “J’apprécie des choses qu’il a fait et qu’il fait maintenant, mais je ne suis pas d’accord avec beaucoup de trucs qu’il dit, donc j’ai des sentiments partagés à son sujet. (…) Je ne suis ni fan ni hostile.”
Désormais à la tête de la première puissance mondiale, le magnat de l’immobilier est en guerre avec la quasi-totalité du paysage culturel de son pays. Et le milieu du hip-hop se retrouve logiquement en première ligne de cette vague contestataire. Des titres comme “Land of the Free” de Joey Bada$$, “Fuck Donald Trump” de YG & Nipsey Hussle ou encore “Campaign Speech” d’Eminem sont des attaques directes contre l’administration Trump. Habité par une conscience sociale depuis sa création, le hip-hop doit plus que jamais jouer son rôle de musique contestataire ces derniers mois. La présidence Obama avait sans doute ouvert une porte vers plus d’égalité. L’élection de Trump l’a brutalement refermé.
Néanmoins, on ne peut que regretter la prise de conscience tardive des artistes hip-hop à propos de la véritable personnalité de Donald Trump. À trop s’extasier devant ses succès et sa réussite matérielle, nombreux sont ceux à être passés à côté des opinions nauséabondes d’un homme ayant récolté seulement 8% des voix de la communauté afro-américaine lors de la dernière élection. Le milieu du hip-hop a trop longtemps tressé des lauriers à Donald Trump et il s’est trompé. Désormais, il a quatre ans pour rattraper cette erreur.