Cashmire : « Je n’ai jamais voulu être un rappeur parce que personne ne veut que son enfant en soit un »

Entretien avec une étoile montante du rap français.

cashmire interview
Photo : Laurent Segretier

Après un premier projet Poetic Ghetto Sound en 2018 qui était à la fois brut et prometteur, Cashmire a continué sa marche en avant. Désormais signé chez Sony, il s’apprête à sortir un deuxième projet qui pourrait bien confirmer ses ambitions. L’occasion de faire le point avec lui sur sa carrière, sa vie ou encore ses inspirations. Entretien.

Comment tu vis cete période actuelle où on vit beaucoup enfermés ? 

Franchement, je trouve ça difficile pour toutes les minorités sociales, parce que c’est toujours les gens les plus frappés dans ce genre de situation. J’ai un regard sur ces gens-là. Après personnellement, en tant qu’artiste je me suis fait une liste d’objectifs. 

Donc tu vois ça comme une occasion de travailler plus au studio ? 

Oui, je me la bute toujours au studio. Mais là ça va faire beaucoup de sessions studio, je vais beaucoup me la buter aux prods, sur FL et aux logiciels d’enregistrement. Je fais du sport, je regarde des films, lis des livres… Je me suis fait un petit programme pour bien le vivre et pour m’enrichir. 

Tu t’es noté quoi en film et série à regarder ? 

Franchement, je me suis noté aucun truc pour le moment. Je me suis juste fixé un objectif d’une lecture et deux films par jour au minimum. Tu connais, on est des artistes, il faut rester créatif. 

Pour rebondir sur ce que tu disais sur les les minorités sociales, en 2018 dans une interview avec YARD, tu disais: “Je pense que l’art et l’entertainement vont finir par éteindre les discriminations, c’est ce qui va nous mettre bien, donner une belle image de la France.” Est-ce que tu’y crois toujours ou ton point de vue a évolué ? 

C’est une bonne question. Franchement mon point de vue a évolué parce que j’ai tenu ces propos il y a deux ans, et je me rends compte que ce n’était pas si simple. Mais je pense toujours que c’est le meilleur moyen pour nous de nous faire comprendre et entendre. 

Pour en revenir à ton passé, est-ce que tu peux nous parler du lieu où tu as grandi ? 

J’ai grandi dans le 18ème, dans le quartier de Max Dormoy. C’est un quartier sensible et cosmopolite à la fois, avec une grande richesse culturelle. C’est un lieu un peu malfamé, mais c’est mon habitat naturel. C’est mon quartier, ce qui me donne la force et qui m’inspire. Je suis né dans le 20ème à la base, et vers mes trois ans, le lotissement dans lequel j’habitais a pris feu. On a quitté la France quelques années pour rejoindre mon pays d’origine, le Cameroun, et je suis revenu à cinq ans. C’est à ce moment que j’ai emménagé dans le 18ème et jusqu’à maintenant, c’est toute ma vie. 

Photo : Laurent Segretier

Et est-ce t’es vraiment attaché à ce quartier ou au contraire l’idée de le quitter t’as déjà traversé l’esprit ? 

Moi j’y suis vraiment, vraiment, attaché. Après, comme dans tous les quartiers, l’objectif c’est dans sortir, mais sans le fuir. Le but c’est d’en sortir en étant poussé par une communauté.

C’est au sein du 18ème donc que tu as commencé à rapper et à faire tes premières sessions studio? 

Oui c’est ça. J’y ai connu mes premiers potes, mon premier amour, mon premier rap, mon premier mot dans le cahier de correspondance…  Mon premier tout en vrai. 

Avec quelles musiques as-tu grandi ? Parce que quand on écoute tes morceaux, on entend des influences très diverses. 

Ça dépend. J’écoutais pas les mêmes musiques à la maison qu’en dehors. À la maison j’écoutais Brel, Aznavour, Gainsbourg ou encore Nina Simone. Ces artistes ont bercé mon enfance, je connaissais les chansons par coeur, et je les ai encore plus appréciées en grandissant. Par contre, dehors, j’écoutais du rap, surtout du rap américain à partir de l’adolescence, des artistes comme 50 Cent ou encore A$AP Rocky.

Est-ce que Cashmire est autant un artiste qu’un photographe qui expose dans une galerie ? Notre réponse est oui. On fuck le système élitiste.

A quel moment tu as décidé de te mettre au rap ? C’était une volonté que tu avais depuis longtemps ? 

Non, je n’ai jamais voulu être un rappeur, parce que personne ne veut que son enfant en soit un. Mais j’ai commencé parce que c’était le délire, ça s’est fait naturellement. Et un jour, Jackmaboy m’a poussé à arrêter de faire des freestyles et à aller au studio. À partir de là, j’ai mis de l’auto-tune sur ma voix, j’ai commencé à rapper et j’ai eu un frisson. Ça m’a donné envie de recommencer. J’ai ensuite sorti mon premier morceau en solo, “Tam-Tam”, et j’ai eu de bons retours. J’ai été repéré par un label de mon quartier et c’est là que j’ai commencé à me dire que ça pouvait être une voie pour moi. 

A l’époque, tu avais bien percé sur Soundcloud. Est-ce que tu considères que cette plateforme t’a servi de tremplin ? 

Je ne vois pas Soundcloud comme un tremplin, mais plutôt comme une plateforme qui m’a permis de faire mes premiers pas dans la musique. C’est là où j’ai mis mes premiers sons, sans rien attendre en retour. C’était assez personnel à l’époque. Mais progressivement, il y a eu un engouement au sein de mon quartier et mes proches ont commencé à écouter ma musique.

Dans tes interviews, tu parles souvent de Serge Gainsbourg. Pourquoi le chanteur te fascine autant ? 

Parce que c’est la France, mec. Je le trouve précurseur et son profil se rapproche de celui d’un rappeur au final. Il a ce côté dandy, provocateur et outrageant qui me plait. Quand t’écoutes “Couleur café” (un titre de Gainsbourg, ndlr), c’était une forme de promotion du mouvement “Black is Beautiful.” Il a aussi ce côté controversé qu’a pu avoir Lil Wayne à une certaine époque. C’est une rockstar, il m’inspire et j’arrive à retrouver Cashmire en lui. 

Est-ce que tu penses qu’entre l’époque où Gainsbourg était à son apogée et maintenant, avec des moeurs qui ont évolué, on peut encore avoir ce genre d’artistes aujourd’hui ? 

Non, à l’époque justement il était perçu comme un ovni, quelqu’un de transgressif. Aujourd’hui je pense que Gainsbourg ne serait pas considéré comme choquant. C’est le fait qu’il ait été comme ça à cette époque-là qui le rend fascinant. Je le trouve très proche d’un personnage moderne au final. 

Ton projet “Poetic Ghetto Sound” est sorti il y a deux ans, quel regard portes-tu dessus ?

Je suis très fier de ce projet. A cette époque, j’étais dans la phase du début. Dans ce projet, il y a les sons que je réalisais en totale indépendance et sans rien attendre en retour, les premiers morceaux que j’ai fait avec le label et mes premières sessions studio. Il y a mes premières erreurs et mes premières réussites aussi. En fait, je le vois comme mon premier enfant, je l’aime beaucoup malgré ses imperfections qui font son charme. Je le trouve pur auss,i dans le sens où en sortant Poetic Ghetto Sound, mon objectif n’était pas de percer. Il représente juste la couleur de la musique du jeune artiste que j’étais à l’époque. 

Est-ce que pour toi ce projet venait clore cette première phase de ta carrière ou tu considères toujours y être aujourd’hui ? 

Non pas vraiment, au contraire je pense que Poetic Ghetto Sound a amorcé une nouvelle phase de ma musique. Il m’a permis de véritablement la définir, c’est pour ça que l’album porte ce nom. 

Justement, quelle est ta définition du Poetic Ghetto Sound ? 

C’est les onze tracks qui composent le projet (rires). Non plus sérieusement, Poetic Ghetto Sound c’est une ambivalence, comme on le voit dans la phrase. C’est une expression qu’on a créée et qui correspond à notre philosophie musicale, les aspects identitaires qui en ressortent… C’est « poétique » et « ghetto » en même temps. 

Photo : Laurent Segretier

Tu as un style musical assez unique, est-ce que tu as l’impression d’être en avance par rapport aux autres dans le rap français ? 

Je trouve que ce serait prétentieux de dire ça, c’est au public d’en décider. Je me considère comme un rappeur dans l’ère du temps, ni précurseur ni dans le futur. Je fais juste mon truc. 

Quelles sont tes principales sources d’inspiration ? 

Je m’inspire de ma vie quotidienne et mes cinq sens, voire de mes six sens, et de ma sensibilité. Si quelque chose me procure une émotion, positive comme négative, je vais m’en inspirer. 

Est-ce que tu peux nous parler du collectif RKO”, avec qui tu fais tes visuels et dont tu fais partie? 

Dans le “RKO”, on est un noyau dur de six personnes, mais on tourne autour d’une dizaine d’artistes en tout. On se définit comme un collectif artistique global, qui va à l’encontre l’élitisme dans le monde de l’art. On est un groupe de jeunes créatifs, avec des ambitions et de envies de montrer qu’on existe et qu’on a envie de s’émanciper. 

De quels types de profils est composé le collectif ? Des vidéastes, des DA..?

Le collectif est composé d’artistes peintres, de photographes, de stylistes, un artiste musicien aussi… Des profils très diversifiés. On essaye un peu de redéfinir le terme “d’artiste” et de montrer que pour l’être, il ne faut pas obligatoirement exposer ses oeuvres dans une galerie. Est-ce que Cashmire est autant un artiste qu’un photographe qui expose dans une galerie ? Notre réponse est oui. On fuck le système élitiste. Nous sommes la définition de ce que nous montrons. 

Qu’est-ce qui a changé depuis que tu as signé chez Sony ? 

Je suis devenu plus professionnel et j’ai gagné en visibilité. Ça a beaucoup changé pour ma famille. Ma mère est plus rassurée de savoir qu’il y a un gros label derrière, c’est plus sérieux.

La sortie d’un prochain album, c’est pour bientôt? 

Je pense qu’il faut l’attendre pour bientôt. Mon projet est fini, il est génial. J’ai hâte pour vous ! Moi je sais ce qui en résulte. On va juste sortir les premiers clips et voir comment les gens réagissent. Déjà, à la base, je ne crois pas trop aux étiquettes de l’album. Moi je veux juste sortir de la musique, sans me conformer forcément à un modèle. 

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter maintenant pour les prochains mois ? 

Je te retourne la question, qu’est-ce que tu me souhaites ? 

Le succès, peut-être des concerts, aller défendre tes titres devant un public..? 

Ouais, là tu touches un point sensible. C’est vrai que ça me manque de jouer ma musique sur scène en cette période très compliquée. On peut souhaiter à toute la France qu’elle se relève du Covid, que les industries artistiques reprennent du souffle, que Cashmire puisse faire des concerts… et que j’ai la santé. Le reste on gère. 

En attendant son prochain projet, Poetic Ghetto Sound est toujours disponible.