Tête d’affiche du rap britannique, slowthai a sorti son second album il y a de cela quelques jours. Après l’excellent Nothing Great About Britain, le natif de Northampton fait son grand retour avec TYRON. Un projet ambivalent, oscillant entre une énergie rageuse et une introspection souvent mélancolique. slowthai s’y dévoile comme rarement auparavant, déconstruisant peu à peu le personnage exubérant et ingérable qu’il a longtemps incarné.
Accompagné par des têtes d’affiche comme A$AP Rocky, Skepta, James Blake ou encore Gorillaz, il livre ici l’un des projets les plus intéressants de ce début d’année. Porte-parole d’une jeunesse britannique qui est loin d’avoir jeté l’éponge, malgré le Brexit et la pandémie, slowthai a encore beaucoup de choses à dire. Entretien.
Quelles ont été tes sources d’inspiration pour ce nouvel album ?
Au moment où j’ai écrit les morceaux, j’étais dans une phase négative. J’essayais juste d’en savoir un peu plus sur moi. À travers cet album, je souhaite surtout montrer aux gens qui je suis en tant que personne, parce qu’ils ont l’habitude de me voir en tant que personnage. Je veux montrer que je suis un humain ordinaire, avec mes bons et mes mauvais jours.
Tu ressens une forme de pression liée au fait d’être une personnalité publique ?
Je ne suis pas du genre à avoir besoin de la validation de quelqu’un pour faire ce que je veux. J’ai l’impression que les gens essaient constamment de vous dire ce que vous êtes, comment vous devez agir… Mais en ce qui me concerne, je suis le seul à pouvoir me mettre la pression.
Tu as choisi d’utiliser ton vrai prénom comme titre pour ton projet. C’était un choix pour montrer à quel point cet album est personnel?
Oui bien sûr. Comme je l’ai dit, avec cet album je souhaite m’ouvrir à mon public, qu’il sache qui je suis véritablement, qu’il découvre la personne que je suis avec mes proches. C’est un projet très introspectif.
À propos de la tracklist de l’album, il y a un vrai contraste entre la première partie avec que des titres énergiques et écrits en majuscule, puis une seconde avec des titres plus doux et écrits en minuscule. Même au sein de certains titres, on ressent une dualité. Tu peux nous parler de ce parti-pris ?
C’est effectivement un choix volontaire. L’album est axé sur ce concept de dualité. Il y a ce côté agressif, violent, outrageant de ma personnalité, mais aussi le côté plus sage, réfléchi, timide, que je ne montre pas. Tout se joue dans mon coeur, donc forcément il y a un paquet d’émotions contradictoires. C’est ce que j’essaie de retranscrire quand j’écris, ça peut être un pari audacieux mais c’est ce que je veux transmettre. Je pense que chaque individu se définit par la dualité qui le compose. Les différentes facettes de notre personnalité sont complémentaires, elles forment un tout. Les deux parties de l’album représentent ce tout, cet ensemble qui fait qui je suis.
Le rap repose sur des personnalités arrogantes, bling-bling, égoïstes. C’est notre starter pack, c’est ce que les gens aiment et il ne faut pas que ça change. Cela n’empêche pas de faire de bonnes actions, de prendre la parole sur des sujets importants.
C’est un projet que tu as travaillé avec de nombreux grands noms comme A$AP Rocky, Skepta, Gorillaz, Disclosure ou James Blake. Qu’est-ce que tu as appris en travaillant avec eux ?
Déjà je tiens à dire que je n’ai pas de préférence entre ces collaborations ! Sinon je vais commencer à recevoir des “Va te faire foutre gros ! Je pensais qu’on était potes !” de tous les côtés (rires). Toutes ces rencontres ont donné des morceaux que j’aime, des titres qui sont uniques et qui comprennent leurs lots de souvenirs. J’ai appris des choses aux côtés de toutes les personnes avec lesquelles j’ai travaillé. Bosser avec des artistes comme ça, c’est avant tout des leçons de vie et des beaux moments. Il y a toujours quelque chose à apprendre de quelqu’un.
Tu dirais que tu te nourris de ce genre de collaborations ?
Laisse-moi te parler de mon gars Meekz, un rappeur britannique que je connais bien. Il ne bosse pas avec beaucoup d’autres artistes, mais quand il fait des sessions studio avec quelqu’un, il t’explique que c’est comme du sparing en boxe. Tu vas te prendre des coups et à un moment, tu vas avoir une p*tin envie d’en donner en retour. Tu y vas pour apprendre, mais tu as toujours ce côté compétitif où tu veux aussi montrer ce que tu vaux ! C’est deux comportements très humains au final, cette soif d’apprendre et cette fierté personnelle.
Pour ma génération, le Brexit n’était absolument pas une bonne décision. Il n’y a rien de bénéfique pour nous. Je considère même que c’est un pas en arrière.
J’ai l’impression que tu nourris également beaucoup de ta ville de Northampton, la ville dans laquelle tu a grandi. Ça ressemble à quoi la vie là-bas ?
Northampton est une une ville remplie de personnes créatives, de belles personnes. C’est un endroit qui dégage une bonne énergie. C’est difficile à expliquer… il faut le voir pour comprendre. C’est aussi une ville dont il est très difficile de sortir. Ceux qui partent, ils ne reviennent souvent jamais. Et ceux qui ne partent pas, ils y restent coincés pour toujours ! Il y a un esprit de communion qui y est tout de même très fort. C’est ma maison, il n’y a pas de slowthai sans Northampton. Mais que les français soient bien au jus : il fait froid, il pleut, on ne voit pas le soleil… C’est la vraie Angleterre et il faut le voir pour le croire (rires).
Ces derniers mois, nous avons beaucoup entendu parler du Royaume-Uni à cause du Brexit, un sujet sur lequel tu as ouvertement pris position. Qu’est-ce que tu penses de la situation actuelle, maintenant que le Brexit est officiel ?
Pour moi et pour les personnes de ma génération, ce n’était absolument pas une bonne décision. Il n’y a rien de bénéfique pour nous. Je considère même que le Brexit est un pas en arrière. Mais bon, c’est la majorité qui l’a emporté démocratiquement. C’est ce que la majorité a souhaité et j’espère que les gens qui ont voté pour le Brexit sont satisfaits. Pour ma part, ce n’est pas le cas. Fuck Brexit, Fuck Boris !
Est-ce que tu penses que les artistes, surtout les rappeurs, devraient être plus engagés et donner leur avis sur les questions de société ?
Ça dépend, parce que nous avons tous nos propres problèmes en plus de ceux de la société. Je veux juste que les gens fassent ce qui les rend heureux et qu’ils soient fiers de se qu’ils accomplissent. On est tous dans la même merde. Mais d’un autre côté, je considère que la liberté d’expression est le meilleur droit que nous ayons. Donc pourquoi ne pas l’utiliser ? Je n’essaye pas de dire qui doit prendre la parole ou non, je ne suis personne pour décider de ça. Le rap repose sur des personnalités arrogantes, bling-bling, égoïstes. C’est notre starter pack, c’est ce que les gens aiment et il ne faut pas que ça change. Cela n’empêche pas de faire de bonnes actions, de prendre la parole sur des sujets importants. Il y a tellement de facteurs qui rentrent en compte, tellement d’enjeux, on ne peut pas réduire le débat à un simple : “les artistes doivent s’engager, point barre.” On n’est pas des p*tin de communistes.
En parlant de sujets de société, quelles leçons retiens-tu de l’incident que tu as vécu aux NME Awards 2020 (ndlr : après avoir reçu un prix, slowthai avait fait des remarques sexistes à l’humoriste Katherine Ryan, avant de se battre avec une personne présente dans le public) ?
J’ai beaucoup appris sur moi-même et sur ma consommation d’alcool. Ça m’a aussi appris à ne plus jamais me confronter à l’une des meilleures humoristes d’Angleterre (rires). Ça m’a permis de mieux voir comment les choses peuvent être perçues différemment par certaines personnes. On ne peut pas plaire à tout le monde et chaque personne percevra ce que je fais depuis une perspective qui lui est propre. Cet incident m’a fait grandir en tant que personne, m’a permis d’identifier des démons que j’ignorais avoir au fond de moi. J’ai aussi pu constater à quel point Internet est impardonnable (rires). Mais je dirais que globalement je suis ressorti grandi personnellement de cette histoire.
Est-ce que ça t’a aussi permis de réaliser la dangerosité des réseaux sociaux, à quel point la viralité d’un évènement peut totalement nuire à une carrière ?
Les médias ont toujours fonctionné comme ça, en manipulant les gens et en leur disant comment penser. Ce qui leur importe, c’est de vendre des histoires croustillantes pour générer plus de clics. C’est la société dans laquelle on vit aujourd’hui, mais ce sera toujours ainsi selon moi parce parce que les gens ont soif de ce genres de contenus. Nous sommes entrés dans un système où les êtres humains, les consommateurs, sont eux-même devenus les produits. Et je ne pense pas que ça s’arrangera avec le temps, surtout que la plupart des gens en ont conscience, mais on continue à faire comme si de rien n’était. Les choses n’iront jamais mieux !
En 2019, tu tweetais : “Dans mon monde, Batman meurt et le Joker survit.” Tu le penses toujours?
Oui bien sûr ! Dans la vraie vie, les méchants gagnent toujours et les gentils meurent. Personnellement, dans les films, je veux toujours que le méchant gagne, c’est plus intéressant (rires). Surtout le Joker, il a tellement plus de charisme. C’est un personnage que j’aime beaucoup, il est infiniment plus complexe que Batman ! “Je suis Batman, dans ma batcave. J’ai la masse de thunes, des bonnes voitures, je porte des costumes serrés, avec mon nom dessus, sur mon costume bien serré” (slowthai imite Batman et éclate de rire). Je veux que le Joker l’emporte, vraiment.
Le nouvel album de Slowthai TYRON est à (re)découvrir ci-dessous.
Propos recueillis par Julien Perocheau et retranscrits par Maëlys Kapita