En seulement cinq ans, Sally s’est imposée comme une créatrice de contenus incontournable, réussissant à passer des vidéos capillaires sur YouTube à des contenus plus sérieux sur Instagram et sur Spotify avec son podcast Chez Sally. Véritable self-made women et juriste de formation, Sally se définit comme un “haut-parleur”, elle qui ose parler à ses 1,3 million d’abonnés des sujets politiques et sociétaux qui la touchent et la choquent. Comme la crise contre la vie chère en Martinique ou la mort tragique de la jeune Meggy.
Si son franc-parler et les vidéos sérieuses sont devenus sa marque de fabrique et ont contribué à son succès, comme toute personnalité publique Sally n’échappe pas aux critiques. Elle reçoit régulièrement des attaques virulentes sur sa personnalité ou son physique. On l’accuse de s’éparpiller lorsqu’elle anime la cérémonie des Flammes sur un ton détendu ou qu’elle a posté une vidéo d’elle portant une robe dos nu en vacances.
Malgré les critiques, Sally poursuit son ascension et avance dans sa carrière pour réaliser ses objectifs, inspirer et ouvrir la porte aux autres. Car elle est à 28 ans un exemple pour les femmes et la communauté noire.
Tu as posté ta première vidéo il y a cinq ans, où tu donnais des conseils capillaires. Puis tu as commencé à parler de sujets plus sérieux. Est-ce que c’était un besoin personnel ou un besoin que tu as ressenti chez les autres et auquel tu as voulu répondre ?
Faire des vidéos sur des sujets sérieux a commencé comme un besoin qui s’est transformé en devoir. Un besoin, parce qu’au début, ça me passionnait. Je me souviens que j’appelais mes vidéos « une juriste réagit… » pour montrer aux gens que j’étais qualifiée pour parler de sujets importants. J’ai compris que c’était aussi un besoin pour les autres en voyant tous les remerciements que je recevais. Petit à petit, lorsque des événements marquants ont eu lieu, comme le mouvement Black Lives Matter, j’ai décidé de m’engager davantage sur des sujets politiques.
Aujourd’hui, tu ne fais plus de vidéos de conseils capillaires, mais on ressent une forte présence du cheveu afro dans tes vidéos, car tu portes toujours une coupe afro. C’est important pour toi de maintenir ce lien ?
Oui, dans chaque vidéo sérieuse, si je n’ai pas mon afro, je suis énervée. J’adapte ma coiffure à l’actualité parce que quand je poste mes vidéos, je veux absolument avoir mon afro. Ce n’est pas juste ma marque de fabrique c’est crucial pour moi d’être présente dans le feed des gens avec un afro pour que tout le monde s’habitue à voir des femmes noires avec leur afro. Les perruques afro ou bouclées sont devenues courantes aujourd’hui mais quand j’ai commencé sur YouTube, je pense qu’on était moins de dix en France à mettre en avant nos cheveux afros. Il y avait Mini Bn, Naturally Yayou, ou TiaEssiane. Ça a toujours été essentiel pour moi de montrer mon africanité et ça l’est encore plus maintenant que mon image est publique.
Je sais que je peux inspirer les jeunes filles et les femmes, qu’elles me ressemblent ou non, en leur donnant l’envie de faire bouger les choses, de s’indigner.
Est-ce que tu te rends compte de l’impact qu’a ta voix sur les gens ?
Je suis toujours dans mon coin, je fais mes petits trucs… Je ne me rends pas vraiment compte de l’impact que j’ai. Parfois j’ai conscience de prendre des risques énormes, je cite des gens dans mes vidéos qui pourraient me blacklister, et c’est déjà arrivé plusieurs fois. Par exemple, sur le conflit israélo-palestinien, mon équipe m’a prévenue que des contrats allaient être annulés, et ça a été le cas. Mais quand une situation me dérange en tant qu’être humain, je prends mes réseaux et j’en parle comme si j’étais la Sally d’il y a cinq ans avec ses 1 000 abonnés.
Cela me fait plaisir quand je croise des abonnés et qu’ils me demandent de parler de certains sujets. Mais j’ai du mal à réaliser que je suis devenue celle que je voulais être que je suis devenue ce haut-parleur.
Il y a quelques semaines, l’association Capital Filles a publié un sondage où un panel de 405 jeunes filles t’a désignée comme deuxième modèle d’influence après Léna Situations et devant Ayna Tiari. Tu as dit avoir du mal à réaliser ton influence, mais est-ce quelque chose auquel tu penses ?
La transmission et la représentation sont importantes pour moi. Je sais que je peux inspirer les jeunes filles et les femmes, qu’elles me ressemblent ou non, en leur donnant l’envie de faire bouger les choses, de s’indigner. Je suis très fière d’être mentionnée par ces jeunes filles.
Est-ce que le fait d’être autant admirée par cette génération te fait dire que le rôle de l’influenceur a évolué ?
Oui, je pense que c’est de l’influence poussée à son maximum. Je n’aimais pas le mot influenceur au début parce qu’il était associé à des personnalités avec lesquelles on n’avait pas forcément envie d’être assimilé. Mais en réalité, faire de la politique ou du journalisme subjectif c’est aussi de l’influence. Le fait que moi ou n’importe quel média abordions un sujet d’une certaine manière influence forcément d’autres personnes, qu’on le veuille ou non.
Ce rôle d’exemple t’apporte-t-il une certaine pression ?
Oui la pression est forte, surtout depuis le mouvement Black Lives Matter en 2020. Je suis perçue comme l’une de ces nouvelles figures de la communauté noire parisienne qui prend la parole. Donc, au-delà de m’exprimer et d’être entendue, je me dois de m’intéresser aux problèmes de ma communauté, d’essayer de les visibiliser, tout comme ceux des autres communautés. J’exerce le métier de mes rêves, celui d’avocate, en parlant de ceux qui sont souvent oubliés ou mis de côté par les politiciens.
Je suis heureuse de pouvoir ouvrir ces portes et de pouvoir multiplier ces chaises afin que d’autres puissent me rejoindre
Tu es juriste de formation et tes vidéos sont bien structurées et sourcées. Comment ton parcours juridique t’aide-t-il dans la création de tes contenus informationnels ?
Je pense qu’une fois que tu as acquis le raisonnement juridique, tu ne le perds plus. Mes profs de droit seraient fiers de voir que j’ai bien écouté les cours de méthodologie. Honnêtement, je me considère comme une journaliste, mais je n’aime pas le dire par respect pour ceux qui ont étudié le journalisme. Parce que si j’étais journaliste et qu’une juriste, aussi compétente soit-elle, se disait journaliste sans carte de presse, ça m’agacerait. Alors, par respect pour mes pairs je ne dis pas que je suis journaliste, mais j’ai conscience de réaliser un travail de journaliste. J’ai même envisagé de passer des équivalences pour obtenir un diplôme. Mais je veux passer le barreau, ce sera mon cadeau pour mes 30 ans car j’avais arrêté ma prépa pour l’examen afin de me consacrer aux réseaux sociaux.
Dans un épisode de Chez Sally avec la bloggeuse Black Beauty Bag, vous discutiez de la pression que ressentent les femmes noires en France quand elles sont les premières dans un domaine. Les minorités ressentent-elles toujours cette pression lorsqu’elles sont dans un secteur où elles sont peu représentées ?
Oui totalement, et c’est ce que j’appelle le syndrome de la chaise unique : on a l’impression, et parfois c’est une réalité, qu’il n’y a qu’une seule place pour des gens « comme nous ». Pour conserver cette place, il faut bien se comporter pour que le groupe dominant envisage d’ajouter d’autres chaises pour ceux qui nous suivront. En plus de tout ça, toute la communauté nous observe, et on veut rendre tout le monde fier. C’est un cercle à la fois vicieux et vertueux qui concerne toutes les minorités. Mais je suis heureuse de pouvoir ouvrir ces portes et de pouvoir multiplier ces chaises afin que d’autres puissent me rejoindre, comme d’autres l’ont fait avant moi, comme Black Beauty Bag.
Et comment gères-tu cette pression ?
Il n’y a pas de remède : face à la pression, soit tu as les épaules pour la supporter, soit tu ne les as pas. Et si tu les as, tu dois encore te renforcer pour être capable de tenir. Je ne suis pas à plaindre, je n’ai pas vécu de gros bad buzz, je m’en suis plutôt bien sortie. Mais il faut être prêt à resserrer son cercle, à être souvent seul. C’est une expérience de solitude, mais on se dit qu’on le fait pour de bonnes raisons.
Je ne peux pas répondre de façon tranchée, parce que je ne sais pas encore si ça en vaut vraiment la peine. J’aimais trop ma vie d’avant, l’influence et la notoriété n’ont pas rendu ma vie extraordinaire.
Donc, ça vaut le coup ?
En termes de bien-être, ça ne vaut pas le coup. Mais en termes d’impact que j’espère avoir sur les gens, sur le monde, oui, ça vaut le coup. C’est un équilibre à trouver, entre ne pas trop perdre pour rester soi-même et penser suffisamment aux autres pour se sentir utile.
Il y a beaucoup d’attentes sur toi, et souvent les critiques que tu reçois viennent de la communauté noire, surtout de femmes noires. Comment fais-tu pour te protéger de ces attaques, surtout quand elles viennent de gens que tu représentes ?
Tu apprends à ne plus y penser et tu te dis qu’ils comprendront plus tard. On prend du recul et on essaye de rester soi-même à 100 %.
Quand on est sur les réseaux sociaux et, de manière générale, quand on est une personnalité publique, les gens projettent leurs insécurités sur nous. Par exemple, si je porte une robe dos nu qui me va bien, je peux recevoir des commentaires de femmes qui n’aiment pas leur dos ou ne se sentent pas à l’aise dans ce genre de robe, et qui vont me dire « ça ne te va pas ». Les gens ont des attentes précises : si tu es une femme cultivée, tu dois correspondre à l’image que eux d’une femme cultivée, qui porte toujours un costume avec un col roulé en laine. Mais au-delà de la femme que j’ai acceptée de montrer sur les réseaux sociaux, je suis Salima dans la vraie vie, 24 heures sur 24. Je suis la fille de mes parents, la sœur de mes frères et sœurs, l’amie de mes amis, et ça s’arrête là.
J’ai les crocs pour mon travail, pour ma passion, et pour toutes les personnes derrière moi.
Tu as vite compris qu’il y avait un plafond de verre pour les créatrices de contenu noires, notamment dans le monde des marques : elles doivent faire plus pour être vues et obtenir des opportunités. Est-ce pour cela que tu as participé à des programmes télé, comme récemment Les Traîtres sur M6 ? Ou est-ce simplement que le concept t’a plu ?
Pour Les Traîtres, c’était surtout pour le fun ; je me suis dit que c’était une nouvelle expérience et que ça me permettait de toucher un public qui ne me connaissait pas encore, donc de gagner en visibilité. J’aime aller là où on ne m’attend pas.
Le plafond de verre pour les influenceuses noires est une réalité : il faut prouver que l’investissement que la marque fait sur toi sera rentable. Pendant longtemps, il y avait cette idée reçue que la communauté noire ne consommait pas, donc les campagnes de pub ne la visaient pas, et on faisait encore moins appel à une créatrice de contenu noire pour la promotion. Ça a changé grâce à Rihanna mais cette absence de réflexion renforce encore l’idée du syndrome de la chaise unique. Quand tu es une marque, l’objectif est de toucher tous les consommateurs, la diversité est importante elle doit être visible et respectée.
Dans notre société actuelle, on te perçoit comme métisse, mais toi, comment te définis-tu ?
Ce sont les gens sur les réseaux sociaux qui m’ont appris que j’étais métisse ! [rires] Je ne m’étais jamais posé cette question, car je me suis toujours considérée comme une femme noire. Je me rappelle d’une vidéo « Ethnicity Tag » où j’expliquais que ma mère est marocaine et mon père camerounais, et les gens ont réagi de manière tellement excessive ! Ma mère est Sahraouie, donc elle est à peine plus claire que moi; petite, elle se faisait insulter au Maroc parce qu’elle était foncée.
As-tu souvent été victime de discrimination à cause de tes origines ?
J’ai été attaquée des deux côtés, et c’est encore une preuve du syndrome de la chaise unique : il y a si peu de représentations en France que, dès qu’une personne réussit à intégrer certains milieux, toutes les attentes se projettent sur elle.
Ta série Motherland rend hommage aux pays africains. Elle a connu un succès immédiat dès son lancement. Y aura-t-il bientôt de nouveaux épisodes ?
C’est une exclu : on part en tournage en décembre ! Motherland est un de mes projets préférés, mais il demande beaucoup de temps. Le dernier que j’ai tourné était Motherland Congo, un énorme investissement personnel : j’étais en autoproduction, j’ai fait le montage seule, et ça a coûté très cher. Émotionnellement, c’était difficile aussi, mais ça va sortir !
Est-ce que la guerre au Congo a joué un rôle dans ce délai ?
Oui, le conflit entre le Rwanda et le Congo, la guerre contre le M23 [le Mouvement du 23 mars] durent depuis longtemps, et ce qui s’y passe est dramatique. Quand je suis allée au Congo, j’ai pris des risques : je suis allée dans des zones dangereuses, j’ai insisté pour me rendre dans des mines à Goma, j’ai interviewé le Dr Denis Mukwege. À mon retour, l’ampleur de la situation était telle que je ne pouvais plus sortir un simple Motherland Congo, il fallait ajouter une partie importante sur les événements à l’est.
Tu te verrais dans le futur travailler sur une création originale : une série, un film, comme l’actrice et productrice Issa Rae que tu adores ?
Totalement, c’est exactement ce que j’ai envie de faire. C’est ce que je fais déjà avec Motherland, mais j’aimerais aller encore plus loin, en faire un film, réaliser de la fiction. Je suis passionnée par la réalisation, l’image, j’adore raconter des histoires. Pourquoi ne pas passer derrière la caméra ou jouer un rôle ? C’est un projet que j’aimerais concrétiser dans le futur. Peut-être que j’aurai ma robe d’avocate à 30 ans, et mon premier film au cinéma à 35 ans, on manifeste !
Quand tu regardes le chemin parcouru ces cinq dernières années, est-ce que tu es consciente de ta réussite ou tu te dis que tu n’en es encore qu’au début ?
Je ne suis pas encore arrivée là où je veux être [rires]. Je n’ai pas l’impression d’avoir accompli tout ce que je devais faire, mais je suis très fière. Quand je prends du recul, je pense à la petite version de moi-même, et elle serait tellement heureuse de me voir aujourd’hui. Ça m’aide à réaliser que j’ai réussi. Mais j’ai toujours les crocs, j’ai les crocs pour mon travail, pour ma passion, et pour toutes les personnes derrière moi.
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